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CHRONIQUE. Dans un recoin du tribunal judiciaire de Créteil, une audience à juge unique est dédiée aux « VIF », pour violences intra familiales. Bien que les affaires soient de moindre gravité qu’en correctionnelle collégiale, les traumatismes demeurent souvent vifs, et les débats passionnés. Et parfois, c’est le juge lui-même qui s’emporte.
C’est une
affaire déjà renvoyée, dont les faits - très simples - remontent à la fin de
l’année 2023. Sur le banc des parties civiles : personne. « Madame nous
a écrit à deux reprises en disant qu’elle ne souhaite pas se présenter à
l’audience, encore traumatisée et sous le choc des évènements »,
explique le juge.
En face de
lui, se tiennent le prévenu et son avocate, navrés de ce fait qu’ils ne peuvent
pas contester. En ayant l’air de s’appliquer à trouver les bons mots, le juge
énonce : « Les faits ne sont pas longs à expliquer. Contexte : un
divorce est en cours. Monsieur insiste pour voir les enfants à la maison, dont
ils sont co-propriétaires mais Madame ne veut pas qu’il vienne. Elle est
d’accord pour qu’il passe les prendre, mais pas pour qu’il rentre. Ce jour-là,
Monsieur souhaite entrer pour pouvoir ‘parler’ avec madame. Une dispute éclate,
des violences sont commises de part et d’autre. Madame a eu une composition
pénale qui s’est soldée par un stage sur les violences conjugales. Elle reconnaît
les faits qui lui ont été reprochés. »
Mais « Monsieur »,
lui, les conteste ; c’est probablement pour cette raison que Yoël, 33 ans, est
renvoyé devant un tribunal correctionnel.
Ni Yoël ni
son ex-compagne n’ont eu d’ITT, et les photos prises par les policiers montrent
de légères dermabrasions sur le corps de chacun d’eux. Que dit le prévenu ?
« Ça
n’a pas été un moment agréable »
D’abord, il
refait le divorce : « Elle avait une emprise sur moi, insultait mes
parents, c’était très violent », pose-t-il en contexte. « Concernant
les enfants, on s’était mis d’accord pour un week-end sur deux, et la semaine
j’allais chercher les enfants et je les ramenais au domicile de Madame. Je me
suis plié à sa demande. Puis elle a changé d’avis : elle n’a plus voulu que je
rentre au domicile. »
Ce jour-là,
il entre quand même : après tout, pense-t-il, il est chez lui. Elle le repousse
et jette son manteau dehors, lui prend ses clefs. Il lui vole son portable pour
récupérer ses clefs. Ils se poussent (il le conteste), elle trébuche et tombe.
Elle le mord au bras.
En réplique,
le juge demande au prévenu : « Comment expliquez-vous qu’elle ne
souhaite pas vous affronter au regard du retentissement psychologique qui
pourrait en résulter ?
-
Ça n’a
pas été un moment agréable. Elle a envie de passer à autre chose et elle se dit
que la justice fera son travail.
-
Madame a
des déclarations opposées aux vôtres. Elle dit que vous vous en prenez à elle,
c’est nettement différent. Pourquoi vous prenez son téléphone ?
-
Parce
qu’elle me prend les clefs ?
- Madame ne veut pas que vous entriez, pourquoi
vouloir entrer ? »
Yoël dit
qu’il est chez lui et que c’est son droit. « Certes, c’est votre droit. »
Le juge prend un air réfléchi : « Je vais faire un parallèle. Un homme
veut une relation avec sa femme, elle dit qu’elle ne veut pas, mais lui, il
insiste, parce qu’il a envie. On pourrait considérer que… »
« La
prochaine fois, je m’énerve ! »
L’avocate du
prévenu se lève d’un bond et interrompt vivement le magistrat ; ce dernier
s’offusque qu’on l’interrompe et hausse le ton ; elle insiste : pense-t-il que
c’est comparable de vouloir imposer un rapport sexuel et de vouloir rentrer
chez soi ? Le juge dit que ce n’est pas ce qu’il a voulu dire et commence à
s’énerver franchement, mais l’avocate ne lâche pas. « Vous faites un
parallèle scandaleux entre une relation sexuelle imposée et un homme qui essaie
de rentrer à son domicile !
- Maître, vous avez réussi à m’interrompre : la
prochaine fois, je m’énerve ! »
L’avocate dit
qu’elle ne peut pas ne pas réagir face au traitement réservé à son client.
« Maître, vous êtes en train de m’accuser de partialité ?
-
Franchement,
je me questionne.
-
Très
bien, on va renvoyer cette affaire.
-
(…)
-
Soyez
contents, vous allez passer devant un autre magistrat. Sachez que si jamais
c’est moi, je saurai me déporter. J’ai trop de respect pour les justiciables
pour juger une affaire qui prend cette tournure-là. Renvoi au 1er décembre
2025. Ce sera avec un grand plaisir que nous ne nous reverrons pas, Maître.
- Plaisir partagé ! » souffle l’avocate qui plie ses
affaires bruyamment et quitte effarée et à grandes enjambées la petite salle du
fond du tribunal. Son client reste les bras ballants, puis la suit en
trottinant.
Julien Mucchielli
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