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En France, la procédure des questions au gouvernement est un
fondement de la Ve République. Les QAG vont toutefois changer plusieurs fois de
modalités et être émaillées de moments marquants, à l’instar du sombrage « en
direct » de l’ancien ministre du Budget Jérôme Cahuzac.
L'exercice
est rarissime avant un discours de politique générale. Le nouveau Premier
ministre François Bayrou s’est plié avant-hier, mardi 17 décembre, aux
questions au gouvernement (QAG), en répondant seul aux vives interpellations
des députés, les autres ministres étant considérés comme démissionnaires.
Critiqué de toutes parts pour avoir choisi d'aller à Pau en pleine crise à
Mayotte, François Bayrou a finalement annoncé qu’il se rendrait dans l’archipel
dès que son gouvernement serait formé.
Réagir
à l’actualité, demander des comptes, exercer un contrôle parlementaire,...
c’est l’objet des « questions au gouvernement » qui fêtent leur 50
ans d’existence cette année. Un rite fait de diatribes enflammées, de débats
énergiques, de brouhahas généralisés, maintes fois critiqué, mais structurant
pour la vie politique française. « C’est
assurément le moment de la vie parlementaire le mieux connu des citoyens »,
rappelle Jean-Éric Gicquel, docteur en droit public.
En
France, la procédure des questions est un fondement de la Ve République ; l’article 48 de la Constitution française
dispose qu’ « une séance par
semaine au moins, est réservée par priorité aux questions des membres du
Parlement et aux réponses du gouvernement ». À l'intérieur de ce cadre
constitutionnel, les QAG vont changer plusieurs fois de modalités. Retour sur
leur histoire en six dates-clés.
C’est
en 1974 que naissent les questions au gouvernement en direct et télévisées,
sous l’impulsion de Valéry-Giscard d’Estaing. Le 30 mai 1974, le président
nouvellement élu adresse un message au Parlement. Pour « renforcer la
vie démocratique », le chef de l'État souhaite adapter en France la
procédure du Prime Minister's Question time britannique. Et par la
voie d’une convention de la Constitution, c’est-à-dire d’une règle non écrite,
il suggère que l’Assemblée nationale « aménage
son règlement de manière à réserver chaque mercredi (...) une heure pour des
questions d’actualité, posées à égalité de temps, par la majorité et par
l’opposition ».
Mais la nouveauté réside dans cette phrase : « Je demanderai alors au Premier ministre et à l’ensemble des ministres d’être présents à cette séance afin de répondre personnellement et directement aux questions ». La formule fait tilt. Quelques semaines plus tard, le président de l’Assemblée nationale de l’époque, Edgar Faure, décide de tenter l’expérience. Le succès est immédiat auprès des parlementaires qui louent la spontanéité des échanges et trouvent là l’occasion de faire valoir leur travail auprès des citoyens…. par l’entremise du petit écran.
Mais
le succès médiatique et populaire des QAG survient avec la systématisation de
la retransmission télévisée, en octobre 1981. « Entre 1974 et 1981, c'était déjà diffusé mais cela venait comme un
cheveu sur la soupe. Cela débarquait comme ça à la télévision, sans prévenir.
Et c'est devenu un peu construit en 1981 », se souvient sur France Culture Fernand Tavarès, ancien journaliste
politique à FR3.
A
partir de 1981, et la programmation régulière des QAG tous les mardis, « la télé contribue fortement à faire
connaître cette procédure tout en suscitant la présence de nombreux députés
(300 à 350 par séance) », rappelle René Dosière, président de
l’Observatoire de l’éthique publique, dans un ouvrage consacré au contrôle parlementaire.
A
l’heure des réseaux sociaux, les QAG ne sont aujourd’hui plus qu’un moment
parlementaire parmi d’autres. Toutefois, avant cela et pendant longtemps, elles
constituent le phare de la semaine. Si la retransmission donne à voir un côté
très humain et vivant de la vie politique, elle fait aussi naître la
politique-spectacle dans l’hémicycle. « La finalité d’origine des QAG s’en trouve modifiée », les
questions devenant en réalité, « un
exercice de communication politique auprès de l’opinion publique beaucoup plus
qu’une séance de contrôle de la politique gouvernementale », écrit
René Dosière.
Par ailleurs, « les députés de la majorité soucieux d’intervenir dans une séance retransmise à la télévision fournissent au gouvernement l’occasion de justifier sa politique. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’un ministre sollicite lui-même un parlementaire ami pour suggérer une question – quand il ne la rédige pas lui-même – lui permettant de valoriser son département ministériel ».
Vient
ensuite la révision constitutionnelle de 2008, étape importante pour les
Questions. Cette dernière institue une distinction entre majorité et
opposition, en réservant certains droits aux groupes minoritaires et
d'opposition, traduits ensuite dans les règlements des assemblées.
« Le partage des questions n'obéit désormais plus à l'arithmétique, mais à des règles discriminantes au profit des forces politiques plus faibles », explique Dorothée Reignier, maître de conférences en droit public à Sciences Po Lille. Concrètement, les oppositions obtiennent un peu plus de questions que la majorité. En dehors de la fabrique de la loi, elles s’approprient un peu plus leur fonction de contrôle.
Difficile
d’isoler une séance de QAG dans 50 ans de colles posées au gouvernement. Qui
plus est quand un grand nombre de questions relèvent de la provocation de
l'opposition ou de la flagornerie de la majorité. Si l'exercice n'a pas forgé
de destins politiques, il a en revanche fait sombrer certains élus, en direct,
devant des centaines de milliers de spectateurs.
Ce fut le cas pour Jérôme Cahuzac. Au lendemain de la publication de l’article de Mediapart révélant l’existence d’un compte caché en Suisse, le ministre du Budget, chantre de la lutte contre l’évasion fiscale, est confronté par un député UMP lors de la séance de questions au gouvernement du 5 décembre 2012. Réponse de Jérôme Cahuzac : « Je démens catégoriquement les allégations contenues dans Mediapart. Je n’ai pas, je n’ai jamais eu de compte à l’étranger. Ni maintenant ni avant. » Une séance de communication extrêmement destructrice pour le ministre, qui restera dans les annales comme celle d’un mensonge éhonté devant la représentation nationale.
Sous
le premier mandat d’Emmanuel Macron, les questions au gouvernement sont revues.
Les deux séances d’une heure chacune les mardi et mercredi fusionnent en une
seule séance de deux heures le mardi. Un format qui fait bayer aux corneilles
députés et aficionados branchés sur LCP.
« D’abord, en deux heures, les députés ont plus que largement le temps de balayer les sujets d’actualité. Rapidement, les sujets de questions se recoupent (pour ne pas dire qu’ils deviennent identiques) et l’intérêt pour la séance publique la plus connue des Français fond comme neige au soleil. Surtout, en supprimant la séance du mercredi, l’Assemblée s’est elle-même amputée de l’occasion d’un débat sur le conseil des ministres de la matinée même », explique le blog Les cuisines de l’Assemblée. Conséquence : les bancs de l’hémicycle sont plus clairsemés que jamais, « les députés préférant travailler leurs dossiers, fixer leurs rendez-vous ou les réunions de leurs groupes d’études ou d’amitié sur la longue plage du mardi après-midi ». En 2023, le Palais-Bourbon revient à l’ancienne formule avec deux séances.
Le 3 avril
dernier, juste avant les élections européennes 2024, le Premier ministre
Gabriel Attal a inauguré une nouvelle formule expérimentale des questions au gouvernement
: les questions au Premier ministre. « Le
Conseil constitutionnel le dit : rien
n’oblige un ministre visé par une question, qui plus est le locataire de
Matignon, à répondre personnellement à l’interpellation d’un député. Le
gouvernement peut envoyer l’interlocuteur de son choix. Seul l’usage veut que
le Premier ministre réponde personnellement aux questions posées par un
président de groupe », explique la maître de conférences Dorothée
Reignier.
En avril
2024, le chef du gouvernement répond donc seul aux interpellations. Même s’il
y a là une part évidente de calcul - défense d’un bilan politique avant une
échéance électorale notamment -, l’expérimentation n’en demeure pas moins « intéressante »,
estime Dorothée Reignier, qui rappelle que la pratique est inspirée de ce qui
se fait Outre-manche, où le Palais de Westminster est par ailleurs un modèle de
vivacité du débat politique. « Le
Premier ministre est l’arbitre des décisions : il est censé avoir la vision la
plus large de l’action gouvernementale. Par ailleurs, ce format a contribué à
rénover le dialogue parlement/gouvernement ». La dissolution a eu
raison de cette expérimentation, mais il n’est pas exclu que la formule
revienne. Pour s’imposer ?
Delphine Schiltz
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