Questions juridiques autour de la programmation pluriannuelle de l’énergie


lundi 28 mai 20187 min
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La programmation pluriannuelle de l’énergie (ci-après « PPE ») est un rendez-vous central que le ministère de l’Écologie – et de manière plus large, le gouvernement – donne à l’économie et à tous les Français sur l’évolution de leur avenir énergétique, lequel conditionne dans une large mesure notre effort contributif à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, l’évolution de notre santé, la lutte contre la précarité énergétique, le développement économique global, la création de nouvelles filières et le développement de celles qui existent déjà, en particulier dans le domaine de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables, ainsi que les perspectives d’emplois associées.

Malheureusement, le débat public qui s’est ouvert le 19 mars 2018 dernier sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (1) est non seulement très éloigné de l’esprit et même de la lettre des textes, mais risque de déboucher sur un projet parfaitement incohérent et incompatible avec les documents censés l’orienter.


 


Les objectifs de la PPE


Selon l’article L. 141-1 du Code de l’énergie, la PPE a pour vocation d’établir : « les priorités d’action des pouvoirs publics pour la gestion de l’ensemble des formes d’énergie sur le territoire métropolitain continental, afin d’atteindre les objectifs définis aux articles L. 100-1, L. 100-2 et L. 100-4 du présent code». Parmi ceux-ci, larticle L.  100-4I. du Code de l’énergie fixe neuf objectifs, pour la plupart quantitatifs, dont les PPE successives doivent permettre la satisfaction :


la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030, ainsi que la division par quatre des émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2050, un budget carbone devant préciser la trajectoire ;


La réduction de la consommation énergétique finale de 50 % en 2050 par rapport à la référence 2012, en visant un objectif intermédiaire de 20 % en 2030 ;


la réduction de la consommation énergétique primaire des énergies fossiles de 30 % en 2030 par rapport à l’année de référence 2012 ;


l’augmentation de la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation finale brute d’énergie en 2020 et à 32 % de cette consommation en 2030, en visant 40 % d’énergies renouvelables dans la production d’électricité, 38 % de la consommation finale de chaleur, 15 % de la consommation finale de carburant et 10 % de la consommation de gaz ;


la réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2025 ;


la contribution à l’atteinte des objectifs de réduction de la pollution atmosphérique prévus par le plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques défini à l’article L. 222-9 du Code de l’énergie ;


la rénovation de l’ensemble du parc immobilier, à l’horizon 2050, en fonction des normes « bâtiment basse consommation » ou assimilés ;


une autonomie énergétique dans les DOM à l’horizon 2030 avec un objectif intermédiaire de 50 % d’énergies renouvelables à l’horizon 2020 ;


et enfin, la multiplication par cinq de la quantité de chaleur et de froid renouvelable ainsi que la récupération livrée par les réseaux de chaleur et de froid à l’horizon 2030.


L’article L. 141-3 prévoit en outre que chaque programmation couvre deux périodes successives de cinq ans, hormis pour la première période de la première programmation qui s’achèvera fin 2018.


La PPE définit en outre les objectifs quantitatifs de la programmation et l’enveloppe maximale indicative des ressources publiques de l’État et de ses établissements publics mobilisées pour les atteindre. Elle est accompagnée d’une étude d’impact qui non seulement évalue l’impact économique social et environnemental mais également l’impact sur la soutenabilité des finances publiques, les modalités de développement des réseaux et le prix de l’énergie (art. L. 141-3).


 


Les interrogations quant à la validité de la procédure actuellement suivie


La première PPE publiée par décret en date du 27 octobre 2016 (2) avait été largement critiquée pour le caractère sommaire du décret, se contentant pour une large part de renvoyer à une page du site internet du ministère de l’Écologie, ne comportant qu’un calendrier à titre indicatif, oubliant les énergies marines et ne comportant aucun élément sur le nucléaire si ce n’est le renvoi à l’article L. 311-5-7 du Code de l’énergie pour qu’EDF établisse un plan stratégique compatible avec les orientations de la PPE.


Les conditions dans lesquelles s’est récemment engagé le débat public sur la PPE sont tout autant discutables et en définitive assez éloignées des obligations de la loi.


En effet, si la Commission nationale du débat public a ouvert un débat public le 19 mars dernier qui doit se terminer le 30 juin 2018, force est de constater que ne figure aucun document spécifique concernant la période 2018-2023 dans ce débat. Celui-ci semble en effet compromis étant donné que les documents soumis au public sont ceux qui avaient servi à l’élaboration du décret du 27 octobre 2016 ; en outre, le projet de PPE lui-même pour la période 2018-2023 ne devrait pas être connu avant la fin du mois de juin 2018, soit quelques jours avant la fin du débat public, ce qui semble pour le moins paradoxal.


Ce paradoxe est d’autant plus grand que le sujet majeur de la part du nucléaire dans le mix électrique a récemment été bouleversé depuis que le gouvernement a annoncé son intention de ne pas respecter les objectifs de la loi, en particulier concernant l’objectif de 50 % à l’horizon 2025. En conséquence, les documents soumis au débat public auraient dû comporter de nouveaux documents concernant le changement d’objectif et ses implications à la fois sur la filière nucléaire (augmentation du coût) et sur les filières de renouvelables. Afin que le débat ne soit pas faussé, il aurait donc fallu refaire une étude d’impact ou tout au moins mettre à jour celle qui existait, ce qui n’a pas été fait.


De plus, le dossier soumis au débat public ne comporte aucun élément sur les conditions dans lesquelles s’est déroulée la première période, la manière dont les objectifs ont été ou n’ont pas été atteints, et les changements de stratégie qu’il conviendrait éventuellement de mettre en place. Par exemple, chacun sait qu’il nous sera impossible d’atteindre 23 % d’énergies renouvelables en 2020. C’est pourtant toujours l’objectif qui figure sans aucun changement.


Or, en application de l’article L. 100-4 II du Code de l’énergie, un rapport au Parlement doit être déposé dans les six mois qui précèdent l’échéance de la période permettant d’indiquer la manière dont les objectifs ont été atteints. Il va de soi qu’il eût été indispensable pour le débat public que ce rapport ait été mis à disposition des citoyens. Compte tenu de ce que le délai de six mois précédant la fin de l’année 2018 n’est pas atteint ce jour, il aurait été opportun de reporter le débat public ou d’avancer la remise du rapport. Le fait de demander au public son avis sur la deuxième période de la première PPE sans qu’il ait pu être informé des conditions de réalisation de la première est en effet fortement regrettable.


 


L’absence de réels scénarios différents


L’article L. 141-2 du Code de l’énergie prévoit également l’élaboration de scénarios différents « reposant sur différentes hypothèses d’évolution de la démographie, de la situation économique, de la balance commerciale et d’efficacité énergétique », afin de permettre le choix le plus éclairé possible.


En novembre 2017, RTE a réalisé un document de plus de quatre cents pages proposant cinq scénarios très divers allant du quasi-maintien de la part du nucléaire à un scénario visant à terme à sa réduction quasi complète (3). Or, le gouvernement a exclu tout débat en ne retenant que deux scénarios sur les cinq, très proches l’un de l’autre, pour le moins favorables au nucléaire et en tout cas en contradiction avec l’objectif de la loi visant à la réduction de la part du nucléaire à 50 % à l’horizon 2025. Ainsi, le débat majeur sur la place du nucléaire dans notre mix électrique est-il évacué dès le départ.


Dès lors, sur la procédure suivie pour le débat public, et de manière générale pour l’élaboration de cette PPE, les plus grandes réserves méritent d’être faites puisque la procédure suivie ne paraît pas conforme aux dispositions prévues par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (4).


 


Sur les risques d’incompatibilité et d’incohérence du document à venir


La PPE a un effet juridique certain puisque les stratégies territoriales et les documents de planification concernant l’énergie doivent être compatibles, qu’il s’agisse des appels d’offres pour les installations de production d’électricité ou encore l’injection du méthane dans les réseaux de gaz, du plan stratégique d’EDF, ou du niveau de sécurité d’approvisionnement. Or, tout laisse à supposer que c’est la logique inverse qui prévaut. Le niveau de sécurité d’approvisionnement, la volonté d’EDF de maintenir le tout nucléaire sont préalables à la PPE de telle sorte que celle-ci devient en réalité un habillage de choix.


Cette situation est d’autant plus préoccupante que la PPE doit s’articuler avec nombre de documents opérationnels : stratégie nationale de mobilisation de la biomasse (article 175 de la loi du 17 août 2015), stratégie pour le développement de la mobilité propre (art. 40), plan de programmation de l’emploi et des compétences (art. 182), stratégie bas carbone (art. 173), plan stratégique d’EDF (art. 181) ou encore plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (art. 64). Or, si ces différents documents figurent dans le dossier de la PPE, ils lui sont préalables et par voie de conséquence, soit la PPE devient compatible avec ces documents et la logique de la loi est renversée, soit ils devront être modifiés et dans ce cas, des indications en ce sens devraient être données.


L’explication de cette « politique de gribouille » se trouve sans doute dans l’avis rendu le 28 février 2018 par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) (5).


Observant que « 

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