Les enjeux de l’autoconsommation collective


mardi 29 mai 20188 min
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L’autoconsommation collective est l’opération par laquelle un groupe de producteur et de consommateur d’électricité consomment eux-mêmes l’électricité qu’ils produisent par leurs installations. Son développement actuel est rendu possible par la baisse du coût de production des énergies renouvelables décentralisées. C’est dans le cadre d’une stratégie de transition énergétique reposant sur la démocratisation de la production décentralisée d’énergie renouvelable, mais aussi pour rattraper le retard pris sur l’Allemagne, que la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte et l’ordonnance n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité ont procuré un cadre légal à l’autoconsommation collective (I). Pour autant, le développement des collectifs de production et de consommation d’énergie lance d’importants défis au système français de production et de distribution d’électricité. La réflexion sur la définition des moyens propre à faciliter l’essor de l’autoconsommation collective n’en est ainsi qu’à son commencement et s’annonce d’autant plus difficile que les réticences sont grandes (II).


I. Le cadre légal de l’autoconsommation collective : un statut à parfaire


L’autoconsommation collective est entièrement adossée dans sa définition au réseau public de transport et de distribution d’électricité (A). Son régime juridique vise en conséquence, pour l’essentiel, à définir la nature de ses rapports avec le gestionnaire dudit réseau (B).


A. La notion d’autoconsommation collective


D’après l’article L. 315-2 du Code de l’énergie (Cde En.), « l’opération d’autoconsommation est collective lorsque la fourniture d’électricité est effectuée entre un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs finals liés entre au sein d’une personne morale et dont les points de soutirage et d’injection sont situés en aval d’un même poste public de transformation d’électricité de moyenne en basse tension ». Le service de fourniture d’électricité se rattache ainsi à une opération d’autoconsommation collective, dès lors qu’il s’effectue au sein d’un collectif de producteurs et de consommateurs d’électricité, que le législateur caractérise à partir du critère d’une double appartenance de ses membres : appartenance, d’une part, à un même périmètre géographique, défini en termes de situation des points d’injection et de soutirage de chacun de ses membres au sein du réseau public de distribution d’électricité ; appartenance, d’autre part, à une même personne morale.


L’opération d’autoconsommation collective s’appuie donc a priori entièrement sur le réseau public de distribution d’électricité, même si elle est par ailleurs combinable avec le recours à un réseau fermé de distribution d’électricité. Cette dernière faculté est ouverte aux consommateurs exerçant des activités de nature industrielle, commerciale ou de partages de services à l’intérieur d’un site géographique limité. Son exercice doit être motivé soit par des raisons spécifiques ayant trait à la technique ou à la sécurité des opérations ou des processus de production intégrés dans ledit réseau, soit par le contrôle économique exercé sur ses utilisateurs, par le propriétaire ou le gestionnaire dudit réseau, au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce. Elle est en revanche fermée aux consommateurs résidentiels, qui devront nécessairement inscrire leur collectif dans le cadre ouvert du réseau public (art. L. 344-1 Cde En).


Conformément à la recommandation de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), le législateur ne s’est pas prononcé sur la forme juridique de la personnalité morale du collectif. Elle peut donc résulter des relations contractuelles autres que celles caractérisant les seules associations, coopératives ou syndicats de copropriétaires, initialement visés. Le collectif énergétique reste ainsi libre de définir la forme de sa gouvernance.


B. L’organisation des rapports avec le gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité


Le régime juridique organisant les relations entre l’opération d’autoconsommation collective et le gestionnaire du réseau public de distribution d’énergie est empreint de libéralité. Une obligation de déclaration incombe à chacun des exploitants d’installations de production d’électricité participant à l’opération, préalablement à leur mise en service (art. L. 315-7 Cde En.). Il appartient par ailleurs à la personne morale organisatrice de l’opération de saisir le gestionnaire du réseau d’une demande d’autoconsommation collective en vue de conclure avec lui un contrat de raccordement adapté (art. D. 315-8 et D. 315.9 Cde En.). Le gestionnaire n’est pas libre de le refuser. Le droit d’accès aux réseaux de transport et de distribution d’électricité est en effet garanti aux opérations d’autoconsommation collective (art. L. 111-91, §I, 4° Cde En.). Il est tenu au contraire de mettre en œuvre les dispositifs techniques et contractuels nécessaires pour permettre la réalisation desdites opérations dans des conditions transparentes et non discriminatoires, notamment en ce qui concerne le comptage de l’électricité produite et consommée (art. L. 315-6 Cde. En.).



Le processus est évidemment beaucoup plus lourd en cas de constitution d’un réseau fermé de distribution, dès lors que son propriétaire ou gestionnaire est substitué au gestionnaire du réseau public dans l’exercice de ses responsabilités d’exploitant, en matière notamment d’équilibre et de sécurité (art. L. 344-5 et L. 344-6 Cde En.). Une autorisation préalable devra donc être obtenue (art. L. 344-7 Cde En.).


II. La politique publique d’incitation à l’autoconsommation collective : une réticence certaine


Les questions que soulève le développement de l’autoconsommation collective sont principalement de deux ordres. Les premières sont liées au problème technique délicat de la synchronisation des opérations d’autoconsommation et d’autoproduction (A). Les secondes procèdent du lien étroit existant traditionnellement entre la centralisation du réseau de distribution d’électricité et les principes cardinaux de solidarité énergétique gouvernant la définition des tarifs réglementés d’accès au réseau et d’achat d’électricité et révèlent les freins considérables opposés en France à l’autoconsommation collective (B).


A. Le décompte des écarts entre injection et soutirage d’électricité


L’efficacité de l’autoconsommation collective, c’est-à-dire sa capacité à diminuer la sollicitation du réseau public de distribution, que ce soit en termes d’injection ou de soutirage d’électricité, dépend directement de l’aptitude de chaque collectif à synchroniser les profils de production et de consommation en son sein, aptitude qui est elle-même directement corrélée aux capacités de stockage disponibles. C’est dans cette perspective que le législateur s’est appliqué à exclure la méthode du comptage compensé (« net metering »), consistant à compenser des KWh injectés par des KWh soutirés au cours d’une même journée, quel que soit le moment auquel intervient chacune de ces opérations. Dans le cadre d’une opération d’autoconsommation, « la part de l’électricité produite qui est consommée l’est soit instantanément, soit après une période de stockage » (art. L. 315-1 Cde En.). Les écarts entre les injections et les soutirages d’électricité se calculent selon la méthode du pas de mesure mise en œuvre, dans le cadre de l’article L. 321-15, pour le règlement des écarts dont sont responsables les producteurs d’électricité et les consommateurs ayant exercé leur droit de choisir son fournisseur d’électricité (art. D. 315-1 Cde En.), en fonction du coefficient de répartition de la production autoconsommée entre les consommateurs finals concernés, tel que stipulé par le contrat liant le gestionnaire du réseau public à la personne morale organisatrice de l’opération (art. L. 315-4 et D. 315-4 Cde En.). L’unité de stockage d’électricité éventuellement comprise dans l’opération est assimilée à un consommateur final, quant aux quantités stockées, et à un producteur, quant aux quantités déstockées (art. D. 315-5 Cde En.).


Pour l’heure, le format retenu par le législateur est celui d’opérations d’autoconsommation collective de petite taille, afin de tenir compte des difficultés techniques pendantes. Leur raccordement au réseau est circonscrit aux seuls départs basse tension et non aux postes de moyenne tension. De même, la dérogation à l’obligation de conclure un contrat de vente avec un tiers pour le surplus de l’électricité non consommée (art. L. 315-5 Cde En.) est limitée aux opérations disposant d’une puissance installée maximale de 3 KWh, ce qui correspond aux opérations domestiques.


B. L’adaptation des tarifs aux spécificités de l’autoconsommation collective


En dépit des réticences affichées de la CRE, le législateur s’est efforcé de mettre en place un cadre fiscal et réglementaire favorable à l’autoconsommation collective, tenant compte notamment de la diminution des coûts de gestion du réseau public susceptible d’être engendré du fait d’une moindre sollicitation.


C’est ainsi que les opérations d’autoconsommation collective sont exonérées de la contribution des fournisseurs à la sécurité d’approvisionnement en électricité, de l’obligation de mettre en place une tarification spéciale « produit de première nécessité », ainsi que des diverses obligations, notamment d’information, que prescrit le code de la consommation relativement aux contrats de fourniture d’électricité (art. L. 315-2 Cde En). La CRE est chargée de son côté d’établir des tarifs spécifiques d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) pour les consommateurs participant aux opérations d’autoconsommation, lorsque la puissance installée est inférieure à 100 KWh (art. L. 315-3). Ce soutien indirect est complété par une série d’aides directes sous forme de tarifs d’achat et d’appel d’offre pour l’allocation de primes en fonction du taux consommation, mis en œuvre dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie.


Avant qu’elle ne soit finalement chargée de les mettre en œuvre, la CRE a manifesté à plusieurs reprises, dans ses différents avis, son hostilité à la création de catégories tarifaires spécifiques. Selon elle, le développement de l’autoconsommation collective tend à remettre en cause les mécanismes nationaux de solidarité énergétique, tels que le principe du timbre-poste – consistant à découpler tarification de l’accès au réseau et distance entre site d’injection et site de soutirage – ou celui de la péréquation tarifaire – consistant à appliquer des tarifs identiques sur l’ensemble du territoire national –. Il est frappant de constater que l’argumentaire ainsi développé valorise en creux les garanties censées être apportées auxdits principes par l’électricité nucléaire. C’est dans cette perspective plus générale que doit être replacée la proposition récente d’introduire dans le TURPE applicable à l’autoconsommation collective une composante de soutirage spécifique visant à inciter les auto-consommateurs collectifs à privilégier les flux locaux d’électricité. Cette composante serait « fondée sur une distinction entre flux locaux et autre flux » et permettrait ce faisant de « valoriser la sollicitation moindre des réseaux amont ». Cette proposition a d’ores et déjà été dénoncée comme discriminatoire par les professionnels du secteur, qui constate qu’elle aboutit à leur faire supporter une composante de soutirage supérieure de 15 % à celle du TURPE standard et que ne justifie aucun coût supplémentaire propre à l’autoconsommation collective.


La CRE s’inquiète également d’un risque de réduction de l’assiette de la contribution au service public de l’électricité (CSPE), dont s’accompagnerait, selon elle, l’essor de l’autoconsommation collective. Elle recommande, en conséquence, de ne pas étendre à l’autoconsommation collective l’exemption de CSPE et de diverses taxes locales de l’énergie, bénéficiant à l’autoconsommation individuelle. L’autoconsommation collective serait, ce faisant, doublement discriminée. La CRE fonde son rejet de l’exemption de CSPE sur une préférence de principe pour un soutien direct (tarif d’achat ou appel d’offres). L’échec du dernier appel d’offre autoconsommation, qui n’a sélectionné que 2,2 MW de projets autoconsommation, contre les 50 MW initialement prévus, permet de douter du bien-fondé de ce postulat.

 


Matthieu Galey,

Huglo Lepage Avocats,

Avocat à la Cour

,Chargé d’enseignement à l’Université Paris-Est Créteil


 


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