Réchauffement climatique


lundi 25 juin 20184 min
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Le droit climatique d’aujourd’hui, en l’absence de convention internationale et de juridiction contraignante, est constitué essentiellement du contentieux qui fleurit devant les juridictions nationales de tous les continents.

 

Le droit climatique a été officialisé au Sommet de la Terre en 1992 duquel est issue la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Par la suite, la société civile a manifesté son intérêt pour faire face aux défis du réchauffement climatique ; c’est ainsi que sont nées des coalitions d’organisation pour promouvoir la justice climatique comme l’initiative pour la justice environnementale et le changement climatique. Un certain nombre d’observateurs estiment que le nombre de procès de ce type devrait atteindre actuellement près d’un petit million, ce qui est loin d’être négligeable.

 

C’est d’abord au cours des années 2000 que le juge américain va ouvrir la voie du contentieux climatique national dans l’affaire dite Massachussetts v. EPA[i] (n° 05-1120) jugée en avril 2007 selon laquelle la plus haute juridiction des États-Unis a imposé à l’Agence américaine de protection de l’environnement de réglementer les émissions des gaz à effet de serre sur le fondement du Clean Air Act. Par la suite, en 2015 parallèlement à la conférence qui a abouti à l’Accord de Paris, la justice climatique a été mise en œuvre par d’autres juridictions nationales à travers le monde comme l’illustrent les affaires Urgenda Fondations v. Kingdom of the Netherlands[ii] (Pays-Bas), Ashgar Leghari v. Federation of Pakistan[iii] (Pakistan) qui vont rélargir les règles traditionnelles de procédure contentieuses (compétence, preuve, causalité). Le succès du contentieux climatique repose entre les mains des juges nationaux lesquels s’appuient généralement sur les travaux du GIEC relatifs à l’évaluation des risques climatiques. Aujourd’hui, certaines décisions de justice sont allées jusqu’à proclamer et à reconnaître des droits supérieurs au droit constitutionnel interne.

 

En 2015, la professeure Meredith Wilensky, directrice du Sabin Center for Climate Change Law, a poursuivi les travaux menés par les professeurs David Markell de la Florida State University College of Law et J. B. Ruhl de Vanderbilt University Law school, en ce qui concerne la typologie de recours relatifs au contentieux climatique[iv] : d’une part, les recours dirigés contre les États, et d’autre part ceux dirigés contre les entreprises. C’est à la lumière de cette classification que doit être analysé le contentieux climatique national.

 

S’agissant des recours dirigés contre les États, quatre types de recours contentieux dirigés contre l’État ont été identifiés. D’abord celles relatives aux mesures d’adaptation et/ou d’atténuation, celles qui concernent l’obligation d’évaluer l’impact environnemental en y insérant une dimension liée aux bouleversements climatiques prévisibles, les recours qui ont pris en compte des droits fondamentaux tels que les droits de l’Homme, et enfin les recours consacrés à la science climatique elle-même.

 

S’agissant des recours contre les entreprises, on distinguera les recours visant les entreprises pour greenwashing, d’autre part les recours intentés contre les entreprises liés, soit de façon directe soit de façon indirecte, à leur responsabilité dans le développement du réchauffement climatique.

 

Tout d’abord, les recours dirigés sur la base du greenwashing sont intéressants car le juge trace ici des limites à ne pas franchir et n’hésite pas à condamner des postures critiquables. Des contentieux liés au greenwashing climatique[v] ont été répertoriés en Australie. Dans toutes ces affaires, les sociétés ont été condamnées à changer leurs pratiques. L’affaire la plus connue est celle des manipulations du constructeur automobile allemand Volkswagen[vi] concernant des tests de ses véhicules diesel.

 

En ce qui concernent les recours en responsabilité dirigés contre les entreprises, les règles de duty of care ou de due diligence sont finalement complémentaires et tournent toutes deux autour de l’idée d’un devoir particulier à accomplir face à une situation créée par l’entreprise et susceptible d’entraîner des dommages à l’extérieur de celle-ci. En droit anglo-saxon, le duty of care a été illustré par l’affaire dite de la pétition Greenpeace Asie du sud-est[vii] basé sur le rapport Heede qui relevait la part de responsabilité de certaines entreprises dans le réchauffement climatique, ainsi que dans l’affaire Lliuya v. RWE[viii] de l’agriculteur péruvien.

 

À cela s’ajoutent, à titre d’exemples, les procédures engagées par la Californie et l’État de New York contre de multiples sociétés pétrolières importantes américaines, notamment Chevron.

 

En fait, les effets du contentieux de l’environnement se font sentir à tous les niveaux du droit public comme du droit privé.

 

L’essentiel de la jurisprudence américaine concerne la procédure et le fond du droit invoqué, celui de la preuve est sujet délicat quand il s’agit d’aborder ce qui est un dommage causé à tous finalement par tous bien qu’il y ait des secteurs plus responsables que d’autres (les villes représentant plus de 50 % de l’augmentation des gaz à effet de serre, les grandes industries, plus de 40 %) (voir article avec Raphaëlle Jeannel) et sur la preuve et l’expertise (article de Chancia Plaine).

 

Mais comme le sujet intéresse tous les pouvoirs publics, les citoyens, le secteur économique, bancaire et financier, il nous est apparu nécessaire d’en montrer l’impact d’abord au niveau constitutionnel (article de Corinne Lepage et Benjamin Huglo), l’impact sur les principes du droit de l’environnement en-deçà du principe pollueur payeur, à savoir notamment, les principes de prévention, de précaution sur lesquels est fondée la jurisprudence climatique (article de Pauline Schaal) et enfin, un sujet qui a de plus en plus d’intérêt tant pour les investisseurs que pour les usagers de l’environnement, le droit des études d’impact (article de Corinne Lepage et Roxane Sageloli).

 

C’est un nouveau droit qui commence à s’ouvrir. Le Doyen Georges Vedel n’avait-il pas écrit en 1992, dans sa préface au jurisclasseur environnement, que le droit de l’environnement sera demain le droit du patrimoine commun de l’humanité ?

 

Christian Huglo

Avocat à la Cour,

Docteur en droit,

Co-Directeur du Jurisclasseur Environnement

 



[i] C. supr. États-Unis, avril 2007, Massachusetts v. EPA, aff. 549 U.S 497.

[ii] La Haye District Ct, 24 juin 2015, Urgenda foundation v. Kingdom of the Netherlands, aff. C/09/456689/HA ZA 13-1396.

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