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Réglementation financière européenne : refusons l'obscurantisme paralysant


jeudi 17 avril7 min
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17/04/2025 18:00:00 1 14 6310 13 0 4271 5600 5797 Assurance maladie : une économie de plus de 20 milliards d’euros est possible, selon la Cour des comptes

La juridiction financière préconise un renforcement de la lutte contre la fraude à l’assurance, qui représente 4 milliards d’euros de pertes. La piste d’un remboursement des soins en fonction des revenus et celle d’une réduction des soins avec une efficacité limitée tels que les cures thermales sont également envisagées.

Envié par de nombreux pays étrangers, le système de santé français, particulièrement protecteur, reste peu efficient et en crise. Bien que le déficit de la sécurité sociale se soit avéré moins alarmant que prévu en 2024 (15,3 milliards d’euros), les dépenses de l’objectif national des dépenses d’assurance (Ondam) qu’elle finance « progressent fortement », observe en effet la Cour des comptes dans une note de synthèse rendue publique lundi 14 avril.

Voté en loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, l’Ondam atteint 265,4 milliards d’euros, soit + 4,8 % par an depuis 2019 contre +2,4 % entre 2015 et 2019, hors Covid, précise la Cour. « Ce faisant, sa part dans le produit intérieur brut passerait de 8,2 % en 2019 à 8,9 % en 2025, et 13 milliards non comptabilisés dans l’Ondam ont aussi été empruntés par la Caisse d’amortissement de la dette sociale pour financer le désendettement et la relance de l’investissement des établissements de santé de 2021 à 2029 (Ségur de la santé) ».

Les trois branches de la sécurité sociale pilotées par l’Ondam (maladie, autonomie et accidents du travail/maladies professionnelles) cumulent quant à elles un déficit annuel qui passerait de 11,8 milliards d’euros en 2024, à 20,1 milliards en 2028.

Un remboursement des soins selon les revenus ?

Alors, « comment améliorer l’efficacité des dépenses de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie tout en assurant le même niveau de prise en charge ? » Parmi la quinzaine de propositions identifiées par la Cour pour réaliser entre 19 et 21 milliards d’euros d’économie, la mesure qui promet de faire le plus grincer des dents les Français suggère de repenser le champ du remboursement en fonction du niveau de revenus des assurés, en s’inspirant du « bouclier sanitaire » pratiqué en Allemagne.

Concrètement, chaque patient contribuerait à ses frais de santé « à proportion de ses revenus, dans la limite d’un plafond au-delà duquel les frais sont pris en charge à 100 % par l’assurance maladie ». Une façon, selon la juridiction financière, de limiter les importantes disparités de reste à charge entre les assurés.

Les personnes dont les revenus sont les plus bas pourraient pour leur part être prises en charge au premier euro, de même que pour les soins pour les affections longue durée. Reste à savoir quelle serait la tranche de salaires jugée comme la plus basse et ainsi la part de population qui devra s’acquitter d’une reste à charge plus élevé, la Cour n’ayant pas apporté de précision sur ce point.

Cette idée d’un remboursement selon les revenus, déjà évoquée par le ministre de l’Economie Eric Lombard en janvier dernier, semble toutefois aller à l’encontre du système de santé français, selon lequel chaque assuré bénéficie du même niveau de couverture de la Sécurité sociale pour les soins et les médicaments, quels que soient ses revenus. Quant à ceux qui excèdent le plafond de prise en charge, une complémentaire santé payante devenue obligatoire pour les salariés vient rembourser la différence.

La Cour avance également l’idée d’alléger la charge des indemnités journalières maladie des salariés pour l’assurance maladie obligatoire. Elle détaille : « L’effet financier de cette prise en charge pour la sécurité sociale est en forte augmentation » et représente 12 milliards d’euros en 2022, soit +57 % au regard de 2017. En limitant la prise en charge par la branche maladie et le transfert vers les employeurs et les salariés, une économie de 950 millions pourrait être réalisée, selon la juridiction financière.

Lutter contre la fraude pour limiter les dépenses

Pour tenter de réaliser les 20 milliards d’euros d’économie annoncés par la Cour, celle-ci insiste sur l’importance de lutter de manière « renforcée » contre la fraude à l’assurance maladie ; estimée entre 3,8 et 4,5 milliards d’euros, selon des données recueillies avant 2022, et en « progrès significatif » depuis. En 2024 seuls 622 millions ont pu être recouvrés.

Une situation « qui appelle un changement d’échelle des actions engagées, en accordant la priorité aux contrôles », pointe la juridiction financière, qui vise aussi bien du côté des patients que des médecins. « Les fraudes relèvent moins des assurés eux-mêmes (18 % des montants) que des professionnels de santé (68 % des montants) », note-t-elle.

Les établissements de santé ne sont pas en reste, puisqu’ils représentent 14 % des fraudes, ce qui, selon la Cour, tient à la suspension des contrôles depuis la crise sanitaire. Repris en fin 2024, les contrôles feront l’objet d’un bilan d’ici quelques mois, est-il par ailleurs indiqué.

Pour lutter contre les fraudes dans les trois branches qui financent l’Ondam, la Cour propose non seulement de rehausser l’objectif de détection de la fraude au tiers au moins du préjudice estimé, mais également de bloquer le règlement des facturations irrégulières des professionnels et des établissements de santé, et de renforcer les actions de lutte contre les fraudes de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).

D’après ses calculs, plus d’un milliard et demi d’euros d’économie pourrait être réalisé avec un renfort contre la fraude. Les actions de lutte contre les fraudes de la branche autonomie sont quand à elles jugées « encore limitées », et à renforcer, ajoute la Cour.

Rabot sur les frais de remboursement de certains soins

La pertinence des soins et des prises en charge est également dans le viseur, la Cour appelant par exemple à envisager des efforts de réduction de les dépenses telles les transports sanitaires « en forte progression ». D’autres dépenses, comme le recours à un séjour hospitalier plutôt qu’une prise en charge anticipée et conforme aux bonnes pratiques en ville, pourraient également être évitées et mériteraient un meilleur encadrement, estime la juridiction financière.

Celle-ci avance également l’idée de baisser les taux de remboursement sur des actes ou produits de santé dont les effets ont une efficacité limitée. La Cour prend notamment l’exemple des cures thermales, dont le taux de remboursement par l’assurance maladie est compris entre 65 et 70 % et a représenté en 2023 une prise en charge de 250 millions d’euros, alors même « que leur service médical n’ait été démontré ». « Dans le contexte actuel des finances sociales, il serait nécessaire de remettre en cause cette prise en charge », insiste-t-elle.

Autre piste envisagée, celle de diminuer les tarifs de remboursement des séances de dialyse en centres et en unités de dialyse médicalisée, et favoriser la prise en charge des patients par les structures les plus efficientes. Une économie d’un million d’euros pourrait ainsi être réalisée, anticipe-t-elle. « L’auto-dialyse et la dialyse à domicile pourraient être davantage promues », est-il également préconisé.

Prévenir plutôt que guérir

Pour le reste, la Cour appelle à la prévention. Alors que de plus en plus de personnes sont atteintes par l’insuffisance rénale chronique, en raison du vieillissement de la population ainsi d’une sensibilisation insuffisante, une prévention ciblée pour mieux anticiper la maladie permettrait de réduire d’un tiers le nombre de nouveaux patients admis, augure la juridiction.

Cette dernière préconise également un recours plus généralisé à la greffe rénale, qui représente « un meilleur bénéfice » pour les patients et moins de soins onéreux pour l’assurance maladie, contrairement à la dialyse. Bonne idée ? Pas si sûr. Car encore faut-il que le patient malade, outre la longue liste d’attente, trouve un donneur compatible potentiel rapidement pour se soustraire à la dialyse, qui reste alors le mode de suppléance obligatoire en attendant une greffe.

La juridiction appelle également à améliorer et anticiper la prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées et ainsi amoindrir les chutes et les décès induits qui coûtent entre 800 000 et 1,2 milliard d’euros chaque année. La note le souligne, les Français vivent plus longtemps, contrairement à d’autres pays européens, mais en moins bonne santé, augmentant ainsi ce poste de dépense.

« Le gain d’un an d’espérance de vie sans incapacité ferait économiser un montant de dépenses de santé de 1,5 Md€ à l’assurance maladie. Les chutes de personnes âgées ont un coût de prise en charge estimé à 0,9 Md€ dans l’année qui suit l’accident et causent plus de 10 000 décès par an », poursuit la Cour.

C’est pourquoi cette dernière encourage les professionnels de santé à adapter leurs pratiques avec la détection des signes de fragilité, la prescription d’activité physique adaptée ou encore le réexamen de la pertinence des médicaments, mais aussi à limiter les hospitalisations évitables des personnes âgées en adaptant les parcours de soins.

Autant de propositions « partielles » qui pourraient être complétées, indique la Cour. La juridiction financière ajoute que la mise en œuvre des propositions, dans la continuité de celles déjà existantes, peut se faire « à plus ou moins brève échéance d’ici 2029 ».

Allison Vaslin

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