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Remboursement des PGE : quel avenir pour l’entrepreneuriat français ?


mercredi 30 mars 202210 min
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30/03/2022 09:09:30 1 1 2915 10 0 4935 2747 2832 L’AFAS dévoile les vices et vertus du protoxyde d’azote (N²O)

Invités par l’Association française pour l’avancement des sciences (AFAS), Claude Monneret, directeur de recherche émérite du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), et Caroline Victorri-Vigneau, professeure des universités-praticien hospitalier, responsable du Centre nantais d’addictovigilance, se sont exprimés sur le protoxyde d’azote. Les caractéristiques de ce gaz apportent en médecine une aide qualitative incontestable. Indépendamment, son détournement récréatif s’apparente à un fléau de santé publique.

 

 

 


Découvert par Humphrey Davy (1778-1828), le protoxyde d’azote (N²O) a mis longtemps à s’imposer dans l’univers hospitalier. Connu au XIXe siècle sous le nom de gaz hilarant, il a eu une première carrière dans l’industrie du divertissement, particulièrement aux États-Unis. En réalité, le rire qu’il provoque par inhalation est dû à une hypoxie aiguë transitoire conséquente à l’administration du produit pur, précise le directeur de recherche émérite du CNRS Claude Monneret. Ce gaz sert de nos jours en médecine pour ses qualités anesthésiques et analgésiques. Incolore et inodore, c’est également un propulseur utile à l’art culinaire. Il est librement commercialisé sous forme de cartouches ou de bonbonnes. Le E942 – son nom selon la nomenclature des additifs alimentaires – sert principalement de propulseur dans les siphons de cuisine. En médecine, il est employé comme anesthésique de courte durée en unité de chirurgie et d’urgence, notamment en pédiatrie où il est associé à l’oxygène (dans un mélange tant pour tant) sous le nom de MEOPA. Ce médicament fait partie de la liste 1 des substances vénéneuses et suit une partie de la réglementation des stupéfiants. Pourtant, en tant qu’additif alimentaire, le N²O pur est disponible dans les supermarchés ou sur Internet sans restriction, s’étonne le directeur de recherche.

 

 


Mission d’addictovigilance

La professeur Caroline Victorri-Vigneau indique que le Centre d’addictovigilance des Pays de la Loire est responsable de la surveillance du protoxyde d’azote. En France, deux vigilances sanitaires opèrent : la pharmacovigilance, qui relève les effets indésirables des médicaments, et l’addictovigilance, qui évalue le potentiel d’abus et de dépendance des médicaments, mais aussi des autres substances. La mission d’un centre d’addictovigilance pourrait se résumer à quelques points : le produit considéré a-t-il un potentiel d’excès ? Quel est le risque ? Comment le prévenir en santé publique ? Ses analyses reposent sur la collecte directe d’informations recueillies sous forme de déclarations (notifications spontanées) obligatoires pour les professionnels de santé des cas constatés dans le cadre de l’exercice de leur métier. Ce formulaire comporte tous les items de la définition officielle de la dépendance. La responsable souligne qu’en addictovigilance, le patient ne se plaint pas nécessairement. Son comportement éventuellement occulté, tant qu’il n’admet pas son problème, ne facilite pas le recueil des données. C’est pourquoi, complémentairement aux déclarations, ont été développés des outils épidémiologiques qui établissent une vision indirecte par différents indicateurs significatifs des phénomènes addictifs. En France, chaque centre enregistre les informations pour sa région, leur ensemble fournissant une cartographie nationale.

Le premier outil épidémiologique des centres d’addictovigilance est la surveillance des ordonnances falsifiées. 10 % des officines de pharmacie du territoire collectent de fausses ordonnances qui leur sont présentées. Les médicaments présents sont détournés. Des enquêtes de terrain sont également diligentées auprès des usagers pharmaco-dépendants dans les centres de soins pour toxicomanes. De plus, les décès liés à l’utilisation de médicaments ou d’autres substances sont pris en compte, ainsi que la soumission chimique obtenue par administration à l’insu de la victime, ou encore l’utilisation de produits à dessein délictueux. Enfin, les centres d’addictovigilance scrutent en permanence l’émergence de comportements inédits en la matière (rave party, discothèque…). Caroline Victorri-Vigneau estime que la circulation des produits fait partie des éléments fondamentaux à connaître pour comprendre l’ensemble du problème.

Par ailleurs, les centres d’addictovigilance informent les professionnels de santé sur les produits susceptibles d’entraîner des pharmaco dépendances. Ils répondent également aux interrogations des autorités telles l’Agence nationale du médicament (ANSM) et mènent éventuellement les enquêtes nécessaires. Sur les questions mal connues, des protocoles de recherche sont mis en place. Notre pays compte 13 centres d’addictovigilance qui couvrent l’intégralité du territoire et multiplient les partenariats avec les médecins, les pharmaciens, les magistrats…

 

 


Indicateurs de dépendance

Pour beaucoup, la dépendance se définit comme la perte de la liberté de s’abstenir. Dans le DSM (le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), la dépendance est évaluée selon différents types de critères. D’abord, ceux pharmacologiques montrent qu’un sujet qui prend une quantité constante ne ressent plus d’effet après un certain temps parce qu’il devient tolérant. En conséquence, il augmente la dose par prise. A contrario, l’arrêt d’absorption provoque des signes de manque, c’est le sevrage. Ensuite, la compulsion occupe une place centrale. Elle se caractérise par l’impossibilité de maîtriser sa consommation (un médicament est pris au-delà de la durée et de la dose prévue). Derniers critères, la dépendance entraîne des conséquences dommageables. Le temps est déraisonnablement consacré à se fournir, à prendre et enfin à récupérer. À ce stade, l’individu se désocialise. Il perd amis, emploi, etc. Il est conscient de subir des dommages physiques et psychiques, il désire arrêter, mais il continue.

Selon le produit consommé, la dépendance est très pharmacologique (héroïne, benzodiazépines), très psychique (cocaïne)… les centres regroupent des pharmacologues qui décrivent les comportements pour chaque substance et avancent des voies d’amélioration en termes de santé publique. L’ANSM coordonne et finance leur action. Distincte des services d’addictologie et de la pharmacovigilance, l’addictovigilance se concentre sur l’utilisation anormale des produits.

En France, la pharmacodépendance est un problème de santé publique important, rappelle Caroline Victorri-Vigneau. Les Français se situent parmi les champions des consommateurs de psychotropes, de benzodiazépines, de cannabis. Les benzodiazépines, par exemple, occasionnent divers asservissements. Identifier leur degré de sûreté permet d’émettre des recommandations. Les centres d’addictovigilance scrutent également l’émergence de nouvelles tendances, de nouveaux produits. Ils assument « une veille des addictions ».

 

 








Le détournement du N²O

Depuis 2018, la consommation de protoxyde d’azote a explosé. L’évaluation de l’emprise d’un médicament se pratique à plusieurs niveaux : préclinique, galénique, clinique, mais en réalité, c’est lors de la phase 4, c’est-à-dire lorsqu’il est distribué dans le commerce, qu’apparaissent des enseignements essentiels.

Le protoxyde d’azote pur, utilisé uniquement dans les blocs opératoires, est classé en liste 1 des substances vénéneuses. Pour sa part, le MEOPA (protoxyde d’azote plus oxygène) permet de favoriser la prise en charge de patients.

À titre d’exemple, en odontologie pédiatrique, il permet de soigner des patients handicapés, anxieux, sans avoir recourt à une anesthésie générale. Il s’avère irremplaçable, particulièrement en art dentaire. Son intérêt est indéniable. En plus d’appartenir à la liste 1 des substances vénéneuses, il répond à une partie de la réglementation des stupéfiants. Il faut donc le garder dans une armoire fermée à clé et les vols de bouteilles doivent être déclarés. D’un autre côté, le protoxyde d’azote en tant qu’additif alimentaire E942?est distribué dans le commerce sous forme de cartouches et même de bonbonnes (de tailles variables équivalent au moins à plusieurs dizaines de cartouches), sans aucun contrôle. Ce paradoxe vient du fait que la version médicamenteuse est gérée par l’Agence du médicament qui assume son suivi et sa sécurité, quand le E942  dépend de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). En tant qu’analgésique et qu’anxiolytique, le protoxyde d’azote aide l’exercice de la médecine.

Il occupe une place importante dans la sédation consciente au cours d’actes de courte durée.


 


Prise de conscience du mésusage et réaction

Initialement, personne ne parlait du protoxyde d’azote. Il était censé rester cantonné au bloc opératoire dans un cadre strict. Quant au MEOPA, il se trouvait en réserve hospitalière. Il a obtenu son autorisation de mise sur le marché en 2001. Son service médical important était au début réservé à l’enceinte de l’hôpital ainsi qu’aux véhicules du SAMU. Le décret « rétrocession », n° 2004-546 du 15 juin 2004 est relatif aux catégories de médicaments à prescription restreinte et à la vente de médicaments au public par certains établissements de santé et modifiant le Code de la santé publique et le Code de la Sécurité sociale (deuxième partie : décrets en Conseil d’État). À l’époque, il a impliqué d’évaluer les médicaments demeurant dans la réserve hospitalière et ceux qui en sortaient. Le MEOPA aurait dû y rester, mais face à l’ampleur de la demande d’usages pour des actes extrahospitaliers (médecine de montagne, odontologie…), sa sortie a été décidée, constate Caroline Victorri-Vigneau. Cela signifiait d’une part le respect de contraintes techniques, réglementaires et de traçage, et d’autre part la prise en considération du risque d’abus. La modification de statut du gaz pour garantir la sécurité de son utilisation en dehors des murs de l’hôpital a abouti après quatre années. En 2009, le MEOPA, sans intermédiation de la pharmacie, devient donc livrable au professionnel qui l’administre à son patient. Conjointement, l’ANSM a mis en place un plan de gestion des risques, avec un suivi renforcé de pharmacovigilance et d’addictovigilance du gaz et un programme de formation des professionnels. Suite aux notifications qu’ils reçoivent, tous les laboratoires transmettent leurs rapports qui sont analysés au centre d’addictovigilance de Nantes. Depuis 2009, la surveillance constante du MEOPA n’a jamais mis en évidence de signaux, précise la responsable du centre. Mais peu à peu, sont venus s’immiscer dans cette enquête systématique des faits relatant l’inhalation de protoxyde d’azote pur (cartouches alimentaires) par des particuliers. Le suivi du MEOPA a démarré en 2004. Le N²O pur commence à y apparaître discrètement en 2011, et son incidence croît depuis dans les notifications et les divers autres signaux (DIVAS). Les rapports annuels successifs montrent que les effets vont crescendo et sont passés du détournement d’une cartouche pour la cuisine, aux troubles de l’usage (une dizaine de cartouches), puis aux conséquences graves. En 2018, face au phénomène qui augmente, une surveillance distincte dédiée au protoxyde d’azote pur est mise en place.

 

 


L’œil sur le protoxyde d'azote

Il ressort de l’attention portée sur le protoxyde d’azote individuellement que son mésusage saggrave et saccélère. Le nombre de notifications a augmenté d’un facteur dix entre 2018 et 2020. La progression est du même ordre pour les DIVAS. Face à ce constat, des communications tous azimuts ont été rédigées pour alerter. Finalement, le 1er juin 2021, a été adoptée la loi tendant à prévenir les usages dangereux du protoxyde d’azote (voir encadré). Celle-ci interdit en particulier la vente du gaz aux mineurs ainsi que celle des objets favorisant sa consommation (cracker). Malgré les actions menées, le problème continue de grandir, constate la responsable du centre nantais. Désormais, les sujets, en soirée, consomment des bonbonnes (équivalent à plusieurs dizaines de cartouches). Les incidents d’ordre public, les prises de risque, l’accidentologie et les interpellations liées à cette pratique se multiplient.

Caroline Victorri-Vigneau détaille que cela concerne majoritairement des hommes (69 %) jeunes (âge moyen : 22 ans). Le gaz pris n’est jamais d’origine médicinale. Dans plus d’un tiers des signalements, il ne s’agit pas d’inhalation festive occasionnelle, mais de prises quotidiennes régulières. Les consommations les plus élevées enregistrées atteignent deux tanks (très grosses bonbonnes) par jour, soit l’équivalent de plus de 1 000 cartouches ! L’addictologie est habituée à étudier des poly consommateurs (alcool, tabac, héroïne, cannabis...), ce qui ne se vérifie pas pour les amateurs de protoxyde d’azote. Dernier point, la grande majorité des cas sont considérés comme graves. 72 % des notifications regroupent troubles de l’usage, abus, pharmaco dépendance, ou usage quotidien important (plus de 20cartouches à la fois). Selon les notes enregistrées dans les formulaires déclaratifs, l’effet recherché à la base était l’euphorie. Il glisse doucement vers celui d’une "défonce" chez certains. Tous les éléments de la dépendance sévère sont présents : tolérance, signes de sevrage, désir d’arrêter, conséquences dommageables, envie irrépressible de consommer (craving). 69 % des sujets connaissent des complications neurologiques centrales (moelle épinière) ou périphériques (perte de sensibilité ou de motricité), quelquefois les deux. Ce phénomène récent n’a pas encore donné de résultats statistiques quant à la récupération envisageable pour les jeunes atteints, actuellement en rééducation dans les centres de neurologie. Enfin, 35 % des signalements indiquent des troubles psychiatriques : manifestations anxieuses, psychotiques, cognitives, comportementales, thymiques.

Bien que ce problème de santé publique ait été dénoncé et qu’une loi spécifique ait été promulguée, le commerce de protoxyde d’azote pur pour usage ni médical, ni culinaire, demeure très accessible pour toute personne majeure. Aujourd’hui, un internaute qui formule une requête sur le Web pour commander des ballons de baudruche, par exemple pour l’anniversaire d’un enfant, se voit simultanément proposer du protoxyde d’azote. Soulignons que les consommateurs de N²O se servent de ballon pour leur inhalation. Et l’individu qui souhaite acheter le gaz bénéficie d’une multitude d’offres, de packs, de promotions.




Usages dangereux du protoxyde d’azote : focus sur la loi du 1er juin 2021 

Valérie Létard, sénatrice du Nord, est à l’origine du texte de la loi n° 2021-695 du 1er juin 2021 tendant à prévenir les usages dangereux du protoxyde d’azote. Elle vise à :

• interdire l’incitation ou la provocation à la consommation de N²O (entendue comme l’inhalation ou l’absorption, ce qui autorise donc l’achat de N²O contenu dans un siphon de chantilly), et prévoir une peine d’un an d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende pour ceux qui ne respecteraient pas cette interdiction (art. 2, insérant un article L. 3531-1 dans le Code de la santé publique) ;

• interdire la vente ou l’offre aux mineurs (dans les commerces et lieux publics), mais une exception serait prévue en cas de prescription médicale (art. 2, insérant un article L. 3531-2 dans le Code de la santé publique), y compris par des sites de commerce en ligne (art. 2, insérant un article L. 3531-3 dans le Code de la santé publique) ;

• permettre des actions d’information et de prévention dans les établissements scolaires et l’armée (art. 2, insérant un article L. 3532-1 dans le Code de la santé publique) ;

• prévoir l’apposition d’un pictogramme indiquant l’interdiction de vente aux mineurs de moins de 18 ans sur chaque contenant incluant ce produit (art. 2, insérant un article L. 3532. 2 dans le Code de la santé publique).


 

C2M

 

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