Article précédent

Parler de l’origine des pôles suppose de remettre les accidents collectifs et plus largement les catastrophes dans leur contexte. Événements à forte dimension émotionnelle et sociale, les catastrophes sont happées par le champ pénal. Il existe un véritable phénomène de pénalisation des accidents collectifs, d’abord entendu comme le recours à la justice pénale. Ce n’est ni nouveau ni typiquement français (1). Le juge pénal est convoqué, et ce, de manière systématique, au chevet des catastrophes.
Le renforcement du rôle du juge pénal s’est d’ailleurs affirmé sur le plan des principes par la proclamation d’un droit au procès pénal en cas de catastrophes (2) par la Cour européenne des droits de l’homme, lequel suppose notamment le respect d’obligations procédurales qui tiennent a` l’obligation de mener une enquête officielle effective. Il a également trouvé, en France un prolongement par l’accroissement des moyens de la justice, et singulièrement le redimensionnement de la justice à la hauteur des accidents collectifs. (…)
L’action du législateur s’est manifestée d’abord lors de l’adoption de la loi du 8 février 1995 (3) qui autorisa les associations de victimes d’accidents collectifs à se constituer partie civile en introduisant un article 2-15 au sein du Code de procédure pénale (4). Ce fut ensuite la loi dite « Perben II » du 9 mars 2004 qui renforça les spécificités du droit processuel des catastrophes au cours de l’instruction. Deux dispositions en résultèrent, l’une plus connue que l’autre. La première consacra la possibilité pour les fédérations d’associations d’accidents collectifs de se constituer partie civile. La seconde s’inscrit dans le cadre du droit général à l’information des victimes au cours de la procédure pénale proclamé par l’article préliminaire du Code de procédure pénale (5). Le texte a introduit un article 90-1 alinéa 3 qui permet la possibilité d’une information collective de l'état d'avancement de l'information par le biais d’une association de défense des victimes d’accident collectif dont la pertinence ou l’utilité est discutable. (…)
Au delà des textes, la judiciarisation des catastrophes trouve encore à s’exprimer dans l’action de la Chancellerie. Ainsi, le Conseil national de l’aide aux victimes a mené des travaux sur la prise en charge des victimes d’accidents collectifs ayant abouti à la rédaction d’un guide méthodologique publié en 2004 et révisé en 2017 (6). (…)
Parallèlement à l’action des pouvoirs publics, les juges ont utilisé les ressources offertes par le Code de procédure pénale afin de permettre de mener à leurs termes, et ce, dans le respect du délai raisonnable, ces dossiers à dimension collective dans lesquels les investigations ne sont pas à la même échelle. Ainsi ont-ils opportunément utilisé une solution déjà existante consistant à mettre en place une « instruction collective ». L’article 83-1 du Code de procédure pénale prévoit que l'information peut faire l'objet d'une co-saisine, pour des raisons tenant à la gravité ou à la complexité de l'affaire. L’accident collectif est à l’évidence susceptible de rassembler l’ensemble de ces critères. Ainsi, dans le cadre de l’information judiciaire ouverte suite à l’explosion de l’usine AZF en 2001, deux magistrats instructeurs ont été désignés. C’est encore le nombre des victimes et l’aspect international des faits qui a conduit à renforcer l’instruction ouverte au tribunal d’Évry suite au naufrage du Joola, en nommant deux juges d’instruction.
Malgré les spécificités textuelles ou issues de la pratique, certains déploraient une « incapacité de la justice française à conduire des enquêtes complexes » par manque de spécialisation ou une intrusion du « politique dans la justice », ou parce que l’importance de ces affaires excède les capacités de traitement de la juridiction compétente. Si un tel constat doit être nuancé – il s’agit plus de difficulté que d’incapacité –, la nécessité de proportionner la procédure pénale et notamment de dimensionner l’instruction à l’importance des investigations à effectuer à la mesure des catastrophes semblait s’imposer. Comme a pu le souligner Christophe Regnard, ayant exercé un temps les fonctions de juge d’instruction en charge du dossier de l’accident du Concorde, ces dossiers sont particuliers (7). (…)
THÉMATIQUES ASSOCIÉES
Infos locales, analyses et enquêtes : restez informé(e) sans limite.
Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.
0 Commentaire
Laisser un commentaire
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *