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Malgré des pluies
régulières durant le mois de juillet, plusieurs secteurs en France sont toujours
touchés par la sécheresse, mettant en danger la faune et la flore. Mais pour l’avocate associée fondatrice du cabinet Huglo Lepage Avocats Corinne Lepage et les élèves avocats
Guillaume Cornu et Tristan Berger, « s’il apparaît en temps de crise
que les autorités tentent tant bien que mal de préserver la biodiversité, force
est de constater que cette préservation est reléguée au second plan ».
L’année 2023 confirme une
dynamique inquiétante : la sécheresse, qui a débuté dès la période
hivernale, se poursuit jusqu’à ce jour : selon le bulletin national de situation
hydrologique de juin 2023, le mois de mai affiche 66 % des niveaux des nappes
sous les normales mensuelles, un déficit pluviométrique de 20 %, et 36
départements ont été dans l’obligation de mettre en œuvre des mesures
renforcées de restrictions des usages de l’eau.
Les conséquences de cette
raréfaction de la ressource en eau sont évidemment dramatiques pour l’ensemble
des milieux naturels, aquatiques et terrestres, habitats et espèces :
assecs (21,3% des observations réalisées à l’été 2022), faible reproduction
voire absence de reproduction pour plusieurs espèces, fragmentation des cours
d’eau, augmentation de la température de l’eau avec risque d’asphyxie des
espèces, modification de sa qualité physico-chimique, accélération de la
prolifération d’espèces envahissantes, etc. Le risque d’extinction de masse
lié, notamment, au réchauffement climatique et aux sécheresses qu’il génère est
de plus en plus perceptible, ainsi que ses conséquences multiples pour nos
sociétés (pandémie, zoonose, méga-incendie, etc.).
Dans ce contexte, la
France, sixième pays hébergeant le plus grand nombre d’espèces menacées selon
l’Office français de la biodiversité (OFB), affiche une stratégie nationale
biodiversité ambitieuse, mais les dispositifs juridiques, et leur mise en œuvre
par les autorités, sont-ils à la hauteur des enjeux ? La question est
d’autant plus centrale que les forêts, les tourbières ainsi que les habitats
océaniques comme les mangroves constituent des puits de carbone naturels,
permettant de lutter ipso facto contre le réchauffement climatique et la
sécheresse.
Une préservation
essentielle mais mise au second plan en temps de crise
S’il apparaît en temps de
crise que les autorités tentent tant bien que mal de préserver la biodiversité
dans la mesure où cet objectif est conciliable avec d’autres impératifs tels
que l’alimentation, l’accès à l’eau potable et la production énergétique, force
est de constater que cette préservation est reléguée au second plan.
Le guide circulaire de
mise en œuvre des mesures de restriction des usages de l’eau en période de
sécheresse, publié en mai 2023, est sans équivoque : « Le préfet
peut imposer des dispositions spécifiques pour la protection de la
biodiversité, dès lors qu’elles n’interfèrent pas avec l’équilibre du système
électrique et la garantie de l’approvisionnement en électricité ». Et
la sécurité énergétique n’est
pas la seule priorité à l’emporter
sur la préservation des écosystèmes : il va de soi que l’alimentation
en eau potable, la sécurité incendie, et l’irrigation
des cultures sont, également, trop cruciales pour être mises de côté.
De
facto, nombre
d’arrêtés sécheresse visent donc, parmi leurs considérants, la préservation des
besoins de la biodiversité après les sécurités sanitaire, alimentaire, civile,
énergétique (exemple : arrêté sécheresse du Préfet d’Eure-et-Loir du 28
juin 2023, arrêté sécheresse de la
Préfète de l’Ain du 12 juin 2023, arrêté sécheresse du Préfet Loire-Atlantique
du 8 juin 2023), même si ce n’est pas systématique (voir a contrario :
arrêté sécheresse du Préfet des Pyrénées-Orientales du 13 juin 2023). Parfois
même, la préservation de la biodiversité est absente de la motivation de
l’arrêté (exemple : arrêté sécheresse du Préfet de l’Oise du 20 juin
2023).
Cette
situation, souvent dictée par des contextes de crise, cristallise des tensions
et génère des litiges, notamment avec des riverains et associations conscients
du péril écologique au long terme et de ses conséquences pour nos sociétés.
Ainsi l’association Eau et Rivières de Bretagne a-t-elle introduit trois
recours contre les arrêtés « sécheresse » du 11 juin 2021 du Préfet
d’Ille-et-Vilaine, du 15 février 2022 du Préfet du Finistère, du 18 mars 2022
du Préfet du Morbihan, en raison des risques d’impacts sur la biodiversité,
conduisant à deux annulations partielles et un rejet1.
Autre
exemple, dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, les recours en référé
suspension et en annulation contre l’arrêté cadre régional sécheresse du 29 mai
2019, cette fois-ci rejetés, la condition d’urgence étant particulièrement
difficile à caractériser pour l’atteinte à la biodiversité2.
Sont
le plus souvent discutés, sur le fond, les modalités de consultation du public
ainsi que la proportionnalité3, délicates à respecter dans l’urgence.
Aussi le guide élaboré par le Ministère de la transition écologique est-il
précis sur ce point, rappelant que « cette juste proportion s’apprécie
différemment selon les lieux (exemple : raisonnement par bassin, sous bassin ou
unité hydrographique cohérente, zones d’alerte), selon la période (raisonnement
différent à tenir entre un arrêté pris au printemps et un autre pendant le mois
d’août) et selon les usages faits de l’eau localement » (p. 27).
Mais
les arrêtés sécheresse ne sont, juridiquement, que la partie émergée de
l’iceberg : il faut encore considérer les mesures prises pour les
installations classées pour la protection de l’environnement, ou encore les
autorisations de prélèvement d’eau pour l’irrigation agricole. A cet égard, la
position du Ministère de la transition écologique a pu surprendre dans
l’affaire Ministère de la transition écologique c. Association LPO France :
après avoir perdu en première instance, au motif que l’étude
d’impact évaluant les effets du
prélèvement pour l’irrigation sur la
biodiversité était nettement insuffisante4, le ministère a demandé
le sursis à exécution et interjeté appel au lieu de solliciter une nouvelle
étude d’impact : l’ensemble a été rejeté et l’?tat condamné au versement
des frais irrépétibles par deux fois5. Evidemment, cette position
résulte de la confrontation entre des intérêts divergents qui, en l’état,
bénéficie à un modèle d’exploitation agricole excessivement consommateur d’eau
et par essence non durable mais elle demeure tout de même surprenante6.
La succession de
sécheresses, ajoutée aux multiples atteintes anthropiques à la biodiversité
(dues aux pesticides, à l’artificialisation des sols, aux pollutions, etc.),
aggrave de facto un état de crise devenu permanent et qui implique
désormais une mise en œuvre urgente et effective des outils à la disposition
des pouvoirs publics, afin de protéger plus efficacement la biodiversité en
période de sécheresse.
La mise en œuvre rapide
et effective des plans gouvernementaux face à un état de crise permanent
Les sécheresses et les
pertes de biodiversité induites constituent désormais une problématique
structurelle ; les mesures conjoncturelles n’empêchent, ni même ne
freinent, la croissance des assecs, accentuée depuis 2017, qui nécessite des
politiques publiques plus audacieuses. Faut-il le rappeler, « au 1er
août [2022] toutes les régions étaient concernées par des ruptures d’écoulement
(1 261 cours d’eau contre 287 en 2021, ou 1 133 en 2019 à la même période),
situation jamais atteinte » et appelée à s’aggraver7. Et
pour cause : les politiques publiques sont marquées par le court-termisme,
mettant la focale sur les effets des sécheresses plutôt que sur leurs origines,
et considérant toujours la biodiversité au second plan. Nous prendrons deux
exemples.
D’une part, la sécurité
énergétique : c’est ainsi qu’au cours de l’été 2022, le gouvernement avait, par
arrêtés8, autorisé la poursuite des rejets des eaux de
refroidissement des centrales nucléaires au sein des cours d’eau. Cependant,
l’eau rejetée affiche une température nettement plus élevée de sorte que cela
entraîne des conséquences sur les milieux aquatiques9. On constate
par exemple que cette hausse de la température provoque du stress chez les
poissons migrateurs tels que les truites. Cela les fragilise et les rend plus
sensibles aux maladies, leur migration peut également être interrompue. Par
ailleurs, ce réchauffement des cours d’eau peut entraîner une prolifération
d’algues, ce qui a pour effet d’abaisser le taux d’oxygène de l’eau, situation
dramatique pour les espèces de l’écosystème concerné.
D’autre part, la
souveraineté alimentaire : c’est dans ce cadre que s’inscrivent les projets de
réserves de substitution destinées à permettre aux agriculteurs de continuer à
produire malgré la sécheresse qui frappe leurs cultures. Toutefois, ces
réserves de substitution ne sont pas sans conséquences sur la biodiversité. En
effet, l’eau stockée est pompée dans les nappes souterraines, de ce fait, elle
ne ruisselle pas comme cela aurait dû être naturellement le cas dans les cours
d’eau ainsi que dans les sols, privant ainsi les écosystèmes de cette ressource
vitale, qui permet la reconstitution des sols et des zones humides pendant
l’hiver. A cet égard, notons que selon l’OFB, « les solutions
préconisées pour avoir un territoire plus résilient face aux épisodes de
sécheresse visent plutôt à retenir l’eau dans les sols, à lutter contre le
gaspillage d’eau et à adapter les usages et notamment les pratiques agricoles
aux ressources en eau disponibles pour limiter la dépendance à l’eau ».
Force est de constater
qu’en l’absence d’une réflexion plus profonde et de long terme, tant sur la
sobriété énergétique que les possibilités de système agroécologique, impliquant
une analyse quant aux variétés végétales cultivées, aux associations d’espèces,
aux systèmes de rotation et d’intercultures, les mesures prises ne constituent,
pour l’essentiel, que des pis-aller sans réel esprit prospectif, favorisant le
plus souvent une production d’énergie nucléaire non-durable et une
agro-industrie très gourmande en eau alors même que le stress hydrique ne cesse
de s’amplifier.
La primeur accordée
notamment à ces secteurs quant à l’usage de l’eau accentue les difficultés à
freiner la dégradation de la biodiversité dès lors que ces usages impactent les
espèces et les milieux. Toutefois, les pouvoirs publics disposent d’outils qui pourraient permettre
de pallier ces difficultés en cas de mise en œuvre pleinement effective. Il s’agit en particulier du Plan « Biodiversité »
mais également du Plan National « Milieu humide ».
S’agissant
du premier de ces deux plans, il prévoit au sein de son troisième axe, la
création de nouvelles aires protégées avec un objectif de 30 % d’aires
protégées sur l’ensemble du territoire national d’ici à 2030, ce qui
permettrait notamment de protéger les espèces et les écosystèmes les plus
fragiles ou ceux qui sont menacés notamment par le risque sécheresse ou encore
de développer des pratiques agricoles assurant la conservation, la restauration
et la valorisation de cette biodiversité.
S’agissant
du second, il constitue une déclinaison de la Stratégie nationale biodiversité
2030 et porte sur la période 2022-2026. Il vise à amplifier les actions en
faveur de la protection et de la restauration des milieux humides. Parmi les
objectifs qu’il fixe, figurent notamment, le doublement de la superficie des
milieux humides sous protection forte en métropole d’ici 2030, la préservation
des zones humides par l’acquisition de 8 500 hectares ou encore la restauration
50 000 hectares de zones humides d’ici à 2026.
En tout état de cause, si l’Etat venait à manquer
cette opportunité qu’il s’est offert en déployant pleinement des mesures afin
de sauvegarder la biodiversité et de renforcer ainsi sa résilience en période
de sécheresse, peut-être serait-il possible de le contraindre à agir. En effet,
dans une récente décision rendue par le tribunal administratif de Paris dans le
cadre de l’affaire « Justice pour le vivant »10, le
tribunal a reconnu le caractère contraignant des plans Ecophyto qui se sont
succédé et par lesquels l’Etat s’était fixé des objectifs qu’il n’a pas été en
mesure d’atteindre. Ainsi, on pourrait imaginer l’introduction d’un recours
similaire, sur le fondement des plans susvisés, afin de faire reconnaitre leur
caractère contraignant, d’imposer l’adoption de mesures visant à sauvegarder la
biodiversité et subséquemment, de la préserver plus efficacement du risque
« sécheresse ».
1) TA de Rennes, 20 avril 2023, n°2106324, 2203901, 2204605.
2) TA de Marseille, 30 juill. 2019, n°1906622-5 ; TA de Marseille,
14 août 2019, n°190708.
3) CAA Nantes, 2ème ch., 14 févr. 2006, n°05NT00459.
4) TA de Poitiers, 9 mai 2019, n°1702441.
5) CAA de Bordeaux, 28 avril 2020, n°19BX02880 ; CAA de Bordeaux,
15 juin 2021, n°19BX02864.
6) v. également CAA Bordeaux, 7 mars 2023,
n°20BX03974.
7) cf. IGEDD, IGAS et CGAAER, « Retour d’expérience sur la
gestion de l’eau lors de la sécheresse 2022 », mars 2023.
8) v. arrêté du 15 juillet 2022 fixant, de manière temporaire, de
nouvelles limites de rejets thermiques applicables aux réacteurs des centrales
nucléaires du Blayais, de Saint-Alban-Saint-Maurice, de Golfech ; arrêté
du 15 juillet 2022 fixant, de manière temporaire, de nouvelles limites de
rejets thermiques applicables aux réacteurs de la centrale nucléaire du Bugey
et arrêté du 5 août 2022 portant homologation de la décision n°
2022-DC-0739 de l’Autorité de sûreté nucléaire du 4 août 2022 fixant, de
manière temporaire, de nouvelles limites de rejets thermiques applicables aux
réacteurs de la centrale nucléaire du Bugey, du Blayais, de
Saint-Alban-Saint-Maurice, de Golfech et du Tricastin.
9) https://www.irsn.fr/savoir-comprendre/surete/limpact-secheresse-sur-fonctionnement-centrales-nucleaires
10) TA Paris, 29 juin 2023, n°2200534.
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