Article précédent

De l’importance des mesures de
prévention aux avantages de la convention judiciaire d’intérêt public, quatre
directeurs juridiques exposaient leurs recommandations lors du Sommet du droit
en entreprise,
en juin dernier. L’occasion de souligner que le déploiement de la compliance en
France a permis de passer « d’une logique d’affrontement à une logique de coopération avec les services enquêteurs ».
Plus
de 35 % des entreprises concernées par la loi Sapin 2 indiquent avoir été confrontées à au moins un cas de corruption ou de trafic d’influence en l’espace de cinq
ans. C’est l’un des enseignements issus d’une enquête menée par l’Agence
française anticorruption (AFA), publiée fin 2022.
Mais
si les cas de corruption sont les plus fréquents, le risque pénal « se
retrouve partout », souligne Laurent Pitet au dernier Sommet du droit
en entreprise, en juin dernier, à Paris. Le directeur juridique et compliance
officer de Bayer HealthCare SAS, qui est aussi magistrat au tribunal de
commerce de Nanterre, évoque par exemple les délits de marchandage, ou encore
les infractions environnementales, en plein boom. Le risque pénal peut aussi se
nicher dans les affaires au civil. « En tant que magistrat, si je vois
dans des dossiers de concurrence déloyale une infraction pénale, j’ai
l’obligation de la dénoncer au procureur de la République »,
rappelle-t-il.
Or,
ce risque pénal « revêt une gravité particulière », martèle de
son côté François Jambin, responsable conformité vigilance groupe chez EDF,
puisqu’il peut porter atteinte aux intérêts patrimoniaux de l’entreprise si une
amende est prononcée, faire encourir une peine privative de liberté pour les
dirigeants, mais aussi exposer à une exclusion des marchés publics, « ce
que d’aucuns considèrent comme la peine de mort pour une entreprise ».
Des
sanctions « qui peuvent être très invalidantes, handicapantes pour le
quotidien de l’entreprise », souligne Safia Djebbar, directrice juridique
Eau France du groupe Saur, d’autant que le couperet peut tomber à n’importe
quel moment. Car « si une infraction passée n’a pas encore été mise au
jour, cela ne veut pas dire qu’elle ne sortira jamais. Des choses qui se sont
passées il y a 10 ou 15 ans peuvent émerger du jour au lendemain. »
À
ce risque pénal, s’ajoute le risque d’atteinte à l’image de l’entreprise, via
la médiatisation de certaines affaires. À cet égard « il n’y a pas
besoin d’être condamné définitivement pour faire la Une des journaux : il
suffit d’être mis en cause, de faire l’objet d’une enquête pour se retrouver
cloué au pilori », dénonce François Jambin, qui met largement en cause
les médias.
« Regardez,
avec les pilules de 3e et de 4e génération, on a entendu
parler de 70 plaintes pénales dans telle affaire, de 150 plaintes dans une
autre… quelle femme, après cela, ne se serait pas posé la question : “vais-je
prendre ce médicament qui fait l’objet d’autant de plaintes ?”Or, même
quand in fine, l’entreprise n’est pas condamnée, les médias s’en font rarement
l’écho », abonde Laurent Pitet.
Pour
David Legrand, directeur juridique de Spie Batignolles, le risque réputationnel
a donc un impact « plus instantané » qu’une condamnation
pénale, laquelle suit un parcours judiciaire et s’installe dans le temps. « On
sait l’importance aujourd’hui de la valorisation extra-financière de
l’entreprise à travers son image ; son implication en matière environnementale,
sociale et sociétale. Or, certaines informations qui sortent dans les médias et
les réseaux sociaux, qui feraient circuler une responsabilité pénale de
l’entreprise, génèrent autant de tort que la condamnation pénale en elle-même,
car elle pénalise cette performance extra-financière. »
Une
telle médiatisation crée par ailleurs, ajoute-t-il, « un contexte
culpabilisant » pour l’entreprise, un climat de suspicion dans son
écosystème, que ce soit ses partenaires financiers, ses salariés, ses clients.
Un climat particulier également auprès des grandes administrations de contrôle
: la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la
répression des fraudes, l’inspection du travail, la Direction générale des
finances publiques...
« Finalement,
d’une potentialité de condamnation pénale, on arrive vite à un risque
réputationnel qui se transforme aussi rapidement en risque financier. C’est là
qu’il faut rapidement intervenir, avoir une communication forte tout en la
préservant, car ce qui pourrait être dit au moment de la préservation de
l’image de l’entreprise pourrait ensuite venir contrarier sa défense devant les
tribunaux », précise David Legrand.
Mais
avant qu’il y ait péril en la demeure, Safia Djebbar invite les directeurs
juridiques à faire œuvre de prévention, notamment en « identifiant
toutes les sources de pénalisation qui peuvent exister dans le cadre des
activités de la société ».
« La
gravité des sanctions pénales milite pour la mise en place d’un plan de
prévention global des risques », estime à ce titre David Legrand, en
particulier une cartographie des risques pénaux majeurs, « qui suppose
qu’on les évalue et qu’on mette en place des mesures, qui ne doivent pas être
limités uniquement à ce que prévoit la loi Sapin II, mais qui doivent
s’insérer dans une politique plus globale de prévention des risques »,
note le directeur juridique de Spie Batignolles.
Plus
largement, pour Safia Jebbar, il est indispensable « d’intégrer le plus
rapidement possible » la réalité du risque pénal au sein de toutes les
strates de l’entreprise. À son sens, sensibiliser et accompagner les
collaborateurs pour qu’ils comprennent qu’il y a, derrière l’entreprise, des
hommes et des femmes qui vont devoir répondre à certain nombre d’agissements,
est un élément clef. « Il faut qu’ils sachent que s’il se passe quelque
chose, en cas de mise en cause, ils bénéficieront d’un accompagnement par la
direction juridique », appuie la directrice juridique Eau France du
groupe Saur.
David
Legrand plaide également pour que l’instance dirigeante « diffuse un
message » indiquant qu’elle ne tolère aucune infraction. « C’est
à ce prix qu’on arrive à prévenir les risques pénaux et qu’on installe une
forme de protection de l’entreprise », assure-t-il.
Pour
sa part, François Jambin insiste sur l’importance de la formation dans le cadre
de la prévention, et revient sur son expérience au sein d’EDF en la matière. « Quand
je suis arrivé il y a dix ans, on m’avait demandé dans un premier temps de
piloter les contentieux du groupe. Imaginez la tâche que cela représentait pour
un groupe industriel comme le nôtre ! Pour réduire le risque d'exposition au
pénal, j’ai voulu rapidement faire de la prévention. »
À
l’époque, il lance donc un programme de sensibilisation à grande échelle au
niveau du groupe, et la direction juridique commence par former en présentiel
les populations les plus exposées, telles que les acheteurs, puis par mettre en
place du e-learning. « On a aussi réalisé que des groupes comme les
nôtres étaient exposés aux risques extra-territoriaux, et on a pris exemple sur
les Américains et les Anglais qui imposent aux entreprises de mettre en place
des mesures de prévention du risque et de remédiation. On l’a fait avant même
l’arrivée de la loi Sapin 2. En 2016, nous étions donc déjà fortement
sensibilisés à ces sujets du fait de nos activités à l’étranger. »
THÉMATIQUES ASSOCIÉES
Infos locales, analyses et enquêtes : restez informé(e) sans limite.
Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.
0 Commentaire
Laisser un commentaire
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *