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Risque pénal : tous les (bons) réflexes que l'entreprise doit acquérir


lundi 31 juillet 20239 min
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31/07/2023 12:30:07 1 9 3846 66 0 19718 3504 3625 TRIBUNE. La protection de la biodiversité en période de sécheresse : un rendez-vous manqué

Malgré des pluies régulières durant le mois de juillet, plusieurs secteurs en France sont toujours touchés par la sécheresse, mettant en danger la faune et la flore. Mais pour l’avocate associée fondatrice du cabinet Huglo Lepage Avocats Corinne Lepage et les élèves avocats Guillaume Cornu et Tristan Berger, « s’il apparaît en temps de crise que les autorités tentent tant bien que mal de préserver la biodiversité, force est de constater que cette préservation est reléguée au second plan ».

L’année 2023 confirme une dynamique inquiétante : la sécheresse, qui a débuté dès la période hivernale, se poursuit jusqu’à ce jour : selon le bulletin national de situation hydrologique de juin 2023, le mois de mai affiche 66 % des niveaux des nappes sous les normales mensuelles, un déficit pluviométrique de 20 %, et 36 départements ont été dans l’obligation de mettre en œuvre des mesures renforcées de restrictions des usages de l’eau.

Les conséquences de cette raréfaction de la ressource en eau sont évidemment dramatiques pour l’ensemble des milieux naturels, aquatiques et terrestres, habitats et espèces : assecs (21,3% des observations réalisées à l’été 2022), faible reproduction voire absence de reproduction pour plusieurs espèces, fragmentation des cours d’eau, augmentation de la température de l’eau avec risque d’asphyxie des espèces, modification de sa qualité physico-chimique, accélération de la prolifération d’espèces envahissantes, etc. Le risque d’extinction de masse lié, notamment, au réchauffement climatique et aux sécheresses qu’il génère est de plus en plus perceptible, ainsi que ses conséquences multiples pour nos sociétés (pandémie, zoonose, méga-incendie, etc.).

Dans ce contexte, la France, sixième pays hébergeant le plus grand nombre d’espèces menacées selon l’Office français de la biodiversité (OFB), affiche une stratégie nationale biodiversité ambitieuse, mais les dispositifs juridiques, et leur mise en œuvre par les autorités, sont-ils à la hauteur des enjeux ? La question est d’autant plus centrale que les forêts, les tourbières ainsi que les habitats océaniques comme les mangroves constituent des puits de carbone naturels, permettant de lutter ipso facto contre le réchauffement climatique et la sécheresse.

Une préservation essentielle mais mise au second plan en temps de crise

S’il apparaît en temps de crise que les autorités tentent tant bien que mal de préserver la biodiversité dans la mesure où cet objectif est conciliable avec d’autres impératifs tels que l’alimentation, l’accès à l’eau potable et la production énergétique, force est de constater que cette préservation est reléguée au second plan.

Le guide circulaire de mise en œuvre des mesures de restriction des usages de l’eau en période de sécheresse, publié en mai 2023, est sans équivoque : « Le préfet peut imposer des dispositions spécifiques pour la protection de la biodiversité, dès lors qu’elles n’interfèrent pas avec l’équilibre du système électrique et la garantie de l’approvisionnement en électricité ». Et la sécurité énergétique nest pas la seule priorité à lemporter sur la préservation des écosystèmes : il va de soi que lalimentation en eau potable, la sécurité incendie, et lirrigation des cultures sont, également, trop cruciales pour être mises de côté.

De facto, nombre d’arrêtés sécheresse visent donc, parmi leurs considérants, la préservation des besoins de la biodiversité après les sécurités sanitaire, alimentaire, civile, énergétique (exemple : arrêté sécheresse du Préfet d’Eure-et-Loir du 28 juin 2023, arrêté sécheresse  de la Préfète de l’Ain du 12 juin 2023, arrêté sécheresse du Préfet Loire-Atlantique du 8 juin 2023), même si ce n’est pas systématique (voir a contrario : arrêté sécheresse du Préfet des Pyrénées-Orientales du 13 juin 2023). Parfois même, la préservation de la biodiversité est absente de la motivation de l’arrêté (exemple : arrêté sécheresse du Préfet de l’Oise du 20 juin 2023).

Cette situation, souvent dictée par des contextes de crise, cristallise des tensions et génère des litiges, notamment avec des riverains et associations conscients du péril écologique au long terme et de ses conséquences pour nos sociétés. Ainsi l’association Eau et Rivières de Bretagne a-t-elle introduit trois recours contre les arrêtés « sécheresse » du 11 juin 2021 du Préfet d’Ille-et-Vilaine, du 15 février 2022 du Préfet du Finistère, du 18 mars 2022 du Préfet du Morbihan, en raison des risques d’impacts sur la biodiversité, conduisant à deux annulations partielles et un rejet1.

Autre exemple, dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, les recours en référé suspension et en annulation contre l’arrêté cadre régional sécheresse du 29 mai 2019, cette fois-ci rejetés, la condition d’urgence étant particulièrement difficile à caractériser pour l’atteinte à la biodiversité2.

Sont le plus souvent discutés, sur le fond, les modalités de consultation du public ainsi que la proportionnalité3, délicates à respecter dans l’urgence. Aussi le guide élaboré par le Ministère de la transition écologique est-il précis sur ce point, rappelant que « cette juste proportion s’apprécie différemment selon les lieux (exemple : raisonnement par bassin, sous bassin ou unité hydrographique cohérente, zones d’alerte), selon la période (raisonnement différent à tenir entre un arrêté pris au printemps et un autre pendant le mois d’août) et selon les usages faits de l’eau localement » (p. 27).

Mais les arrêtés sécheresse ne sont, juridiquement, que la partie émergée de l’iceberg : il faut encore considérer les mesures prises pour les installations classées pour la protection de l’environnement, ou encore les autorisations de prélèvement d’eau pour l’irrigation agricole. A cet égard, la position du Ministère de la transition écologique a pu surprendre dans l’affaire Ministère de la transition écologique c. Association LPO France : après avoir perdu en première instance, au motif que létude dimpact évaluant les effets du prélèvement pour lirrigation sur la biodiversité était nettement insuffisante4, le ministère a demandé le sursis à exécution et interjeté appel au lieu de solliciter une nouvelle étude d’impact : l’ensemble a été rejeté et l’?tat condamné au versement des frais irrépétibles par deux fois5. Evidemment, cette position résulte de la confrontation entre des intérêts divergents qui, en l’état, bénéficie à un modèle d’exploitation agricole excessivement consommateur d’eau et par essence non durable mais elle demeure tout de même surprenante6.

La succession de sécheresses, ajoutée aux multiples atteintes anthropiques à la biodiversité (dues aux pesticides, à l’artificialisation des sols, aux pollutions, etc.), aggrave de facto un état de crise devenu permanent et qui implique désormais une mise en œuvre urgente et effective des outils à la disposition des pouvoirs publics, afin de protéger plus efficacement la biodiversité en période de sécheresse. 

La mise en œuvre rapide et effective des plans gouvernementaux face à un état de crise permanent

Les sécheresses et les pertes de biodiversité induites constituent désormais une problématique structurelle ; les mesures conjoncturelles n’empêchent, ni même ne freinent, la croissance des assecs, accentuée depuis 2017, qui nécessite des politiques publiques plus audacieuses. Faut-il le rappeler, « au 1er août [2022] toutes les régions étaient concernées par des ruptures d’écoulement (1 261 cours d’eau contre 287 en 2021, ou 1 133 en 2019 à la même période), situation jamais atteinte » et appelée à s’aggraver7. Et pour cause : les politiques publiques sont marquées par le court-termisme, mettant la focale sur les effets des sécheresses plutôt que sur leurs origines, et considérant toujours la biodiversité au second plan. Nous prendrons deux exemples.

D’une part, la sécurité énergétique : c’est ainsi qu’au cours de l’été 2022, le gouvernement avait, par arrêtés8, autorisé la poursuite des rejets des eaux de refroidissement des centrales nucléaires au sein des cours d’eau. Cependant, l’eau rejetée affiche une température nettement plus élevée de sorte que cela entraîne des conséquences sur les milieux aquatiques9. On constate par exemple que cette hausse de la température provoque du stress chez les poissons migrateurs tels que les truites. Cela les fragilise et les rend plus sensibles aux maladies, leur migration peut également être interrompue. Par ailleurs, ce réchauffement des cours d’eau peut entraîner une prolifération d’algues, ce qui a pour effet d’abaisser le taux d’oxygène de l’eau, situation dramatique pour les espèces de l’écosystème concerné.

D’autre part, la souveraineté alimentaire : c’est dans ce cadre que s’inscrivent les projets de réserves de substitution destinées à permettre aux agriculteurs de continuer à produire malgré la sécheresse qui frappe leurs cultures. Toutefois, ces réserves de substitution ne sont pas sans conséquences sur la biodiversité. En effet, l’eau stockée est pompée dans les nappes souterraines, de ce fait, elle ne ruisselle pas comme cela aurait dû être naturellement le cas dans les cours d’eau ainsi que dans les sols, privant ainsi les écosystèmes de cette ressource vitale, qui permet la reconstitution des sols et des zones humides pendant l’hiver. A cet égard, notons que selon l’OFB, « les solutions préconisées pour avoir un territoire plus résilient face aux épisodes de sécheresse visent plutôt à retenir l’eau dans les sols, à lutter contre le gaspillage d’eau et à adapter les usages et notamment les pratiques agricoles aux ressources en eau disponibles pour limiter la dépendance à l’eau ».

Force est de constater qu’en l’absence d’une réflexion plus profonde et de long terme, tant sur la sobriété énergétique que les possibilités de système agroécologique, impliquant une analyse quant aux variétés végétales cultivées, aux associations d’espèces, aux systèmes de rotation et d’intercultures, les mesures prises ne constituent, pour l’essentiel, que des pis-aller sans réel esprit prospectif, favorisant le plus souvent une production d’énergie nucléaire non-durable et une agro-industrie très gourmande en eau alors même que le stress hydrique ne cesse de s’amplifier.

La primeur accordée notamment à ces secteurs quant à l’usage de l’eau accentue les difficultés à freiner la dégradation de la biodiversité dès lors que ces usages impactent les espèces et les milieux. Toutefois, les pouvoirs publics disposent doutils qui pourraient permettre de pallier ces difficultés en cas de mise en œuvre pleinement effective. Il sagit en particulier du Plan « Biodiversité » mais également du Plan National « Milieu humide ».

S’agissant du premier de ces deux plans, il prévoit au sein de son troisième axe, la création de nouvelles aires protégées avec un objectif de 30 % d’aires protégées sur l’ensemble du territoire national d’ici à 2030, ce qui permettrait notamment de protéger les espèces et les écosystèmes les plus fragiles ou ceux qui sont menacés notamment par le risque sécheresse ou encore de développer des pratiques agricoles assurant la conservation, la restauration et la valorisation de cette biodiversité.

S’agissant du second, il constitue une déclinaison de la Stratégie nationale biodiversité 2030 et porte sur la période 2022-2026. Il vise à amplifier les actions en faveur de la protection et de la restauration des milieux humides. Parmi les objectifs qu’il fixe, figurent notamment, le doublement de la superficie des milieux humides sous protection forte en métropole d’ici 2030, la préservation des zones humides par l’acquisition de 8 500 hectares ou encore la restauration 50 000 hectares de zones humides d’ici à 2026.

En tout état de cause, si l’Etat venait à manquer cette opportunité qu’il s’est offert en déployant pleinement des mesures afin de sauvegarder la biodiversité et de renforcer ainsi sa résilience en période de sécheresse, peut-être serait-il possible de le contraindre à agir. En effet, dans une récente décision rendue par le tribunal administratif de Paris dans le cadre de l’affaire « Justice pour le vivant »10, le tribunal a reconnu le caractère contraignant des plans Ecophyto qui se sont succédé et par lesquels l’Etat s’était fixé des objectifs qu’il n’a pas été en mesure d’atteindre. Ainsi, on pourrait imaginer l’introduction d’un recours similaire, sur le fondement des plans susvisés, afin de faire reconnaitre leur caractère contraignant, d’imposer l’adoption de mesures visant à sauvegarder la biodiversité et subséquemment, de la préserver plus efficacement du risque « sécheresse ».

1) TA de Rennes, 20 avril 2023, n°2106324, 2203901, 2204605.

2) TA de Marseille, 30 juill. 2019, n°1906622-5 ; TA de Marseille, 14 août 2019, n°190708.

3) CAA Nantes, 2ème ch., 14 févr. 2006, n°05NT00459.

4) TA de Poitiers, 9 mai 2019, n°1702441.

5) CAA de Bordeaux, 28 avril 2020, n°19BX02880 ; CAA de Bordeaux, 15 juin 2021, n°19BX02864.

6) v. également CAA Bordeaux, 7 mars 2023, n°20BX03974.

7) cf. IGEDD, IGAS et CGAAER, « Retour d’expérience sur la gestion de l’eau lors de la sécheresse 2022 », mars 2023.

8) v. arrêté du 15 juillet 2022 fixant, de manière temporaire, de nouvelles limites de rejets thermiques applicables aux réacteurs des centrales nucléaires du Blayais, de Saint-Alban-Saint-Maurice, de Golfech ; arrêté du 15 juillet 2022 fixant, de manière temporaire, de nouvelles limites de rejets thermiques applicables aux réacteurs de la centrale nucléaire du Bugey et arrêté du 5 août 2022 portant homologation de la décision n° 2022-DC-0739 de l’Autorité de sûreté nucléaire du 4 août 2022 fixant, de manière temporaire, de nouvelles limites de rejets thermiques applicables aux réacteurs de la centrale nucléaire du Bugey, du Blayais, de Saint-Alban-Saint-Maurice, de Golfech et du Tricastin.

9) https://www.irsn.fr/savoir-comprendre/surete/limpact-secheresse-sur-fonctionnement-centrales-nucleaires

10) TA Paris, 29 juin 2023, n°2200534.


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