Risque pénal : tous les (bons) réflexes que l'entreprise doit acquérir


lundi 31 juillet 20235 min
Écouter l'article

De l’importance des mesures de prévention aux avantages de la convention judiciaire d’intérêt public, quatre directeurs juridiques exposaient leurs recommandations lors du Sommet du droit en entreprise, en juin dernier. L’occasion de souligner que le déploiement de la compliance en France a permis de passer « d’une logique d’affrontement à une logique de coopération avec les services enquêteurs ».

Plus de 35 % des entreprises concernées par la loi Sapin 2 indiquent avoir été confrontées à au moins un cas de corruption ou de trafic d’influence en l’espace de cinq ans. C’est l’un des enseignements issus d’une enquête menée par l’Agence française anticorruption (AFA), publiée fin 2022.

Mais si les cas de corruption sont les plus fréquents, le risque pénal « se retrouve partout », souligne Laurent Pitet au dernier Sommet du droit en entreprise, en juin dernier, à Paris. Le directeur juridique et compliance officer de Bayer HealthCare SAS, qui est aussi magistrat au tribunal de commerce de Nanterre, évoque par exemple les délits de marchandage, ou encore les infractions environnementales, en plein boom. Le risque pénal peut aussi se nicher dans les affaires au civil. « En tant que magistrat, si je vois dans des dossiers de concurrence déloyale une infraction pénale, j’ai l’obligation de la dénoncer au procureur de la République », rappelle-t-il.

Or, ce risque pénal « revêt une gravité particulière », martèle de son côté François Jambin, responsable conformité vigilance groupe chez EDF, puisqu’il peut porter atteinte aux intérêts patrimoniaux de l’entreprise si une amende est prononcée, faire encourir une peine privative de liberté pour les dirigeants, mais aussi exposer à une exclusion des marchés publics, « ce que d’aucuns considèrent comme la peine de mort pour une entreprise ». 

Des sanctions « qui peuvent être très invalidantes, handicapantes pour le quotidien de l’entreprise », souligne Safia Djebbar, directrice juridique Eau France du groupe Saur, d’autant que le couperet peut tomber à n’importe quel moment. Car « si une infraction passée n’a pas encore été mise au jour, cela ne veut pas dire qu’elle ne sortira jamais. Des choses qui se sont passées il y a 10 ou 15 ans peuvent émerger du jour au lendemain. »

Attention au risque réputationnel

À ce risque pénal, s’ajoute le risque d’atteinte à l’image de l’entreprise, via la médiatisation de certaines affaires. À cet égard « il n’y a pas besoin d’être condamné définitivement pour faire la Une des journaux : il suffit d’être mis en cause, de faire l’objet d’une enquête pour se retrouver cloué au pilori », dénonce François Jambin, qui met largement en cause les médias. 

« Regardez, avec les pilules de 3e et de 4e génération, on a entendu parler de 70 plaintes pénales dans telle affaire, de 150 plaintes dans une autre… quelle femme, après cela, ne se serait pas posé la question : “vais-je prendre ce médicament qui fait l’objet d’autant de plaintes ?Or, même quand in fine, l’entreprise n’est pas condamnée, les médias s’en font rarement l’écho », abonde Laurent Pitet.

Pour David Legrand, directeur juridique de Spie Batignolles, le risque réputationnel a donc un impact « plus instantané » qu’une condamnation pénale, laquelle suit un parcours judiciaire et s’installe dans le temps. « On sait l’importance aujourd’hui de la valorisation extra-financière de l’entreprise à travers son image ; son implication en matière environnementale, sociale et sociétale. Or, certaines informations qui sortent dans les médias et les réseaux sociaux, qui feraient circuler une responsabilité pénale de l’entreprise, génèrent autant de tort que la condamnation pénale en elle-même, car elle pénalise cette performance extra-financière. »

Une telle médiatisation crée par ailleurs, ajoute-t-il, « un contexte culpabilisant » pour l’entreprise, un climat de suspicion dans son écosystème, que ce soit ses partenaires financiers, ses salariés, ses clients. Un climat particulier également auprès des grandes administrations de contrôle : la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, l’inspection du travail, la Direction générale des finances publiques... 

« Finalement, d’une potentialité de condamnation pénale, on arrive vite à un risque réputationnel qui se transforme aussi rapidement en risque financier. C’est là qu’il faut rapidement intervenir, avoir une communication forte tout en la préservant, car ce qui pourrait être dit au moment de la préservation de l’image de l’entreprise pourrait ensuite venir contrarier sa défense devant les tribunaux », précise David Legrand. 

La prévention, principale clef

Mais avant qu’il y ait péril en la demeure, Safia Djebbar invite les directeurs juridiques à faire œuvre de prévention, notamment en « identifiant toutes les sources de pénalisation qui peuvent exister dans le cadre des activités de la société ».

« La gravité des sanctions pénales milite pour la mise en place d’un plan de prévention global des risques », estime à ce titre David Legrand, en particulier une cartographie des risques pénaux majeurs, « qui suppose qu’on les évalue et qu’on mette en place des mesures, qui ne doivent pas être limités uniquement à ce que prévoit la loi Sapin II, mais qui doivent s’insérer dans une politique plus globale de prévention des risques », note le directeur juridique de Spie Batignolles.

Plus largement, pour Safia Jebbar, il est indispensable « d’intégrer le plus rapidement possible » la réalité du risque pénal au sein de toutes les strates de l’entreprise. À son sens, sensibiliser et accompagner les collaborateurs pour qu’ils comprennent qu’il y a, derrière l’entreprise, des hommes et des femmes qui vont devoir répondre à certain nombre d’agissements, est un élément clef. « Il faut qu’ils sachent que s’il se passe quelque chose, en cas de mise en cause, ils bénéficieront d’un accompagnement par la direction juridique », appuie la directrice juridique Eau France du groupe Saur.

David Legrand plaide également pour que l’instance dirigeante « diffuse un message » indiquant qu’elle ne tolère aucune infraction. « C’est à ce prix qu’on arrive à prévenir les risques pénaux et qu’on installe une forme de protection de l’entreprise », assure-t-il. 

L’importance de la formation

Pour sa part, François Jambin insiste sur l’importance de la formation dans le cadre de la prévention, et revient sur son expérience au sein d’EDF en la matière. « Quand je suis arrivé il y a dix ans, on m’avait demandé dans un premier temps de piloter les contentieux du groupe. Imaginez la tâche que cela représentait pour un groupe industriel comme le nôtre ! Pour réduire le risque d'exposition au pénal, j’ai voulu rapidement faire de la prévention. »

À l’époque, il lance donc un programme de sensibilisation à grande échelle au niveau du groupe, et la direction juridique commence par former en présentiel les populations les plus exposées, telles que les acheteurs, puis par mettre en place du e-learning. « On a aussi réalisé que des groupes comme les nôtres étaient exposés aux risques extra-territoriaux, et on a pris exemple sur les Américains et les Anglais qui imposent aux entreprises de mettre en place des mesures de prévention du risque et de remédiation. On l’a fait avant même l’arrivée de la loi Sapin 2. En 2016, nous étions donc déjà fortement sensibilisés à ces sujets du fait de nos activités à l’étranger. »

Partager l'article


0 Commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Abonnez-vous à la Newsletter !

Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.