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Le 4 décembre dernier, avocats, commissaires aux comptes, experts-comptables, notaires, conseillers des Chambres de Commerce et d’Industrie de Paris Île-de-France ont organisé la 4e édition de Transfair, le salon de la transmission d’entreprise. L’occasion pour ceux qui souhaitent céder, reprendre, financer et transmettre une société de rencontrer des chefs d’entreprise, de faire le point sur les enjeux stratégiques liés à la transmission d’entreprise auxquels sont confrontés les futurs cédants et repreneurs, d’assister à des conférences, ateliers, témoignages ou encore de bénéficier de consultations gratuites.
Transfair est le seul évènement en France entièrement dédié à la transmission d’entreprise. Son objectif est de permettre à des chefs d’entreprise d’en rencontrer d’autres en quête de reprise ou de cession, mais également des experts dans ce domaine.
Des enjeux économiques et humains considérables
« La transmission d’entreprise, parfois injustement réduite à de banals enjeux monétaires ne concernant que des patrons aisés, est au contraire un mécanisme qui concerne des milliers d’entrepreneurs, qui engage des centaines de milliers d’emplois, qui enfin renvoie au maintien sur notre territoire d’entreprises pérennes et d’un tissu économique de qualité », a rappelé Olivia Grégoire, députée LREM, membre de la Commission des finances, dans son allocution d’ouverture. Les enjeux économiques et humains de la transmission d’entreprise sont en effet conséquents.
Tous les ans en France, selon BPCE L’Observatoire, plus de 185 000 entreprises sont susceptibles d’être transmises, mais seulement 75 000 le sont réellement. Plus spécifiquement, dans la région Île-de-France, dans les dix prochaines années, selon une étude CROCIS, environ 275 000entreprises seront concernées par la transmission d’entreprise, en particulier des TPE de moins de 10 salariés. Sur le territoire francilien en effet, une petite entreprise sur trois est dirigée par un chef d’entreprise âgé d’au moins 55 ans. Par conséquent, 60 000 emplois sont en jeu chaque année, emplois que des entrepreneurs peuvent sauvegarder s’ils reprennent en main ces sociétés.
Conscients de cette réalité, depuis 2015, le Conseil national des barreaux, le barreau de Paris, la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Paris, le Conseil régional des notaires, la CCI Paris Île-de-France, la chambre des notaires de Paris ainsi que l’Ordre des experts-comptables de la région Île-de-France ont décidé d’unir leurs compétences, afin d’organiser le premier évènement dans l’Hexagone, permettant de faciliter les échanges entre repreneurs et cédants.
Le gouvernement a également fait de la reprise et cession d’entreprises son cheval de bataille à travers la modernisation de nombreux aspects du Pacte Dutreil et la mise en œuvre de la loi Pacte (qui sera débattue au Sénat à partir du 30 janvier), qui constituent de véritables avancées. « Ce que nous faisons, au sein de la majorité, depuis maintenant plusieurs mois, va, j’en suis convaincue, dans le bon sens. Les décisions prises sont souvent des mesures qui semblent techniques, de niche, mais qui en réalité viennent rendre le parcours de la transmission plus simple, plus lisible, et donc plus incitatif pour les entrepreneurs concernés » a explicité Olivia Grégoire.
La direction générale du ministère de l’Économie et des Finances organise aussi depuis trois ans, sur tout le territoire, la Quinzaine de la transmission d’entreprise, afin que de potentiels cédants ou repreneurs aient accès à de nombreuses opportunités pour trouver des acquéreurs ou des vendeurs fiables et professionnels. Organisé du 21 novembre au 4 décembre 2018, l’évènement a été clôturé par la 4e édition de Transfair au Palais Brongniart.
Transfair 2018 : une édition réussie
Cette année, près de 2 000 personnes ont assisté à Transfair 2018. Deux conférences étaient au
programme, « Réussir la transmission d’entreprise : trouver le bon
casting » qui a montré la nécessité de s’entourer
de professionnels pour réussir son projet d’entreprise ; et « Transmission et Fiscalité d’entreprise : stop aux idées
reçues ! » qui visait à lutter contre les idées reçues concernant la
fiscalité. Les entrepreneurs ont également pu participer à plus de 30 ateliers et
formations.
À cette occasion, plus de 60 consultations gratuites et personnalisées ont
été dispensées par des avocats, experts-comptables, commissaires aux comptes et
conseillers de la CCI, à ceux qui le souhaitaient. En outre, un Espace
témoignage a été mis en place pour la première fois cette année. Là, des
cédants, des repreneurs, des experts en franchise et franchiseurs, et des
entreprises offrants des solutions technologiques ont fait part de leurs
expériences. Selon un sondage post évènement, 91 % des individus sont rentrés satisfaits de cette journée
d’échanges.
Des témoignages édifiants
Tout au long de la manifestation, des témoignages édifiants se sont succédé à l’Espace témoignage (la grande nouveauté de l’édition 2018). Durant la matinée, les débats se sont concentrés sur les retours d’expériences de cédants et de repreneurs. Les récits de François-Xavier Crazover, cédant d'un atelier, et Christophe Hubert, son repreneur, ont été particulièrement édifiants. Comment s’est passée cette cession-reprise de société ? Quels sont les écueils à éviter en matière de transmission d’entreprise ? Autant de questions auxquelles ont répondu les deux entrepreneurs.
La cession
François-Xavier Crazover, âgé de 48 ans, peut être considéré comme un jeune cédant. Son histoire est assez singulière, car il a lui-même repris la société en 2013, pour la revendre quatre ans plus tard à Christophe Hubert. L’homme a commencé par détailler sa propre expérience de repreneur. Qu’est-ce qui l’a poussé sur le chemin de la reprise d’entreprise ?
Après avoir passé la plus grande partie de sa carrière dans un univers de petite et moyenne entreprise, en occupant diverses fonctions de direction, à l’aube de ses 40 ans, ce dernier s’est rendu compte qu’il n’avait plus trop la possibilité d’évoluer. Condamné à faire toujours la même chose et à porter des projets pour les structures dans lesquelles il se trouvait, « je me suis dit qu’il était temps de mettre toute mon énergie au service de mon propre business », a-t-il raconté.
Or, du fait de son expérience, il s’est avéré plus simple pour lui de s’inscrire dans un projet de reprise et non dans celui d’une création. Ayant de bonnes compétences techniques, mais ni comptables ou financières, il s’est senti « plus à l’aise dans ce type de processus », selon ses termes. Il a cependant décidé de suivre une formation dispensée par l’association CRA (Cédants et repreneurs d’affaires). Sa carrière de repreneur a véritablement commencé en 2011. Il s’est alors mis à rechercher des sociétés à acheter. Au total, l’entrepreneur a minutieusement étudié une quarantaine de dossiers, tant l’enjeu était d’importance. « Reprendre une entreprise, c’est s’inscrire dans une aventure humaine, c’est un vrai investissement. Il faut chercher à acheter quelque chose où l’on se sente bien », a-t-il conseillé.
Parmi les profils des différentes entreprises qui l’ont intéressé de prime abord, il s’est rendu compte que certaines se situaient bien au-dessus du marché.
Aujourd’hui, en effet, les cédants sont souvent à 40 – 50 % au-dessus du marché de reprise… Il en a ainsi croisé quelques-unes dont les prétentions n’étaient même pas en phase avec les résultats de leur entreprise. Ce qui ne sert pas à grand-chose, dans la mesure où les banques vont regarder les ratios, la capacité d’autofinancement (CAF) de la société, pour définir le prix de vente, et là il faut rentrer dans les standards.
Selon
François-Xavier Crazover, il faut, en amont, bien comprendre les dossiers qui
se présentent.
Par exemple, a-t-il expliqué, quand on ne comprend pas le déclin soudain d’une
société qu’on veut racheter, « il vaut mieux passer son chemin », car une reprise, ça doit être « gagnant gagnant », a-t-il ajouté.
Avant de se lancer dans l’achat de son entreprise, il s’était fortement intéressé à une affaire de 45 salariés à 8 millions d’euros, mais une personne physique l’a acquise avant lui.
L’entrepreneur s’est donc intéressé à une toute petite entreprise de 10 employés, installée au cœur de Paris depuis 1985, et il ne regrette pas son choix.
« Aujourd’hui, les repreneurs peuvent trouver leur bonheur sans que cela soit des affaires de 8 ou 10 millions de chiffre d’affaires. Il existe des petites pépites à un million d’euros » a-t-il commenté.
La société qu’il a rachetée est un atelier haut de gamme, avec des équipes qui ont un véritable savoir-faire et avec de réelles différenciations.
La reprise s’est cependant avérée compliquée, a confié François-Xavier Crazover. L’accompagnement notamment s’est mal passé des deux côtés. « Or, la partie accompagnement est extrêmement importante. Il faut avoir confiance quand on reprend une boite, s’il n'y pas de confiance au bout de trois mois, alors c’est que ça ne marchera pas » a expliqué l’intervenant.
François-Xavier Crazover a été confronté à une perte conséquente de chiffre d’affaires et de clients. Certes, un grand nombre de repreneurs subit une baisse de CA dans l’année qui suit la reprise, mais dans ce cas précis les difficultés étaient multiples.
« Pendant deux ans c’était très compliqué, mais j’ai eu de la chance d’avoir un chef d’équipe “en or”, ça m’a permis de rebondir », a confié l’entrepreneur. Il a ensuite peu à peu renoué avec la clientèle, a refait du chiffre, et a structuré son entreprise.
En 2017, il a cependant décidé de remettre sur le marché de la reprise, la société qu’il avait rachetée quatre ans plus tôt. Pourquoi ? Pour des raisons personnelles, a-t-il confié à son auditoire. Sa femme d’origine allemande voulait repartir à Berlin, il a donc mis en vente l’entreprise, « malheureusement, le projet berlinois a capoté pendant la période de négociation de sa cession », a-t-il expliqué. L’affaire a donc été vendue malgré ce retournement de situation.
Mais comment s’y est-il pris pour vendre la société à Christophe Hubert ? Comment a-t-il construit son projet de cession ?
En premier lieu, il a essayé de procéder de la manière la plus confidentielle possible, et ce d’autant plus qu’étant sur un marché de niche, les rumeurs vont assez vite.
Il voulait également que la cession se fasse rapidement (entre six mois et un an) : il souhaitait donc trouver prestement le bon profil de repreneur. Sa préférence allait à une personne physique, et non à une personne morale, car sa société était une petite structure, avec un véritable esprit d’équipe. Afin de trouver son repreneur, il s’est de nouveau tourné vers le CRA, mais cette fois-ci en tant que cédant.
Il a choisi de ne pas faire appel à un professionnel du rapprochement, car il a estimé connaître suffisamment l’environnement dans laquelle sa société, assez atypique, évoluait. En outre, il craignait que du coup la cession prenne trop de temps.
Pour vendre rapidement, il fallait aussi qu’il soit au juste prix très rapidement.
Ayant été repreneur, il savait quelles étaient les contraintes d’une reprise. Il a donc fait une demande raisonnable, qui a été confortée par les conseils d’un expert-comptable. « Il n’y a pas vraiment eu de sujet autour du prix » a t-il déclaré.
En tout, il a étudié une dizaine de dossiers de repreneurs, en a écarté cinq, et sur les trois restants, il a choisi Christophe Hubert. Ce dernier a ensuite pris la parole lors de cette session témoignages pour raconter comment s’est passée, de son côté, la reprise de la société.
La reprise
Christophe Hubert a lui le
profil du cadre supérieur de grands groupes. Il a déjà fait des affaires de
160 millions d’euros, géré des entreprises de plus de
200 collaborateurs…
Et pourtant, en 2017, il a jeté son dévolu sur une toute petite affaire.
Quelles en étaient les raisons ?
Christophe Hubert a raconté à son auditoire avoir quitté, de son plein gré, son poste de cadre-dirigeant dans une grande boîte cotée en bourse. En effet, il en avait « ras-le-bol » de faire des choses qu’il n’avait plus envie de faire pour le compte des actionnaires. Il a commencé comme mandataire social à l’âge de 28 ans, puis il a dirigé une petite filiale pour un groupe italien spécialisé dans l’éclairage maison design très haut de gamme et l’éclairage de projets professionnels. Cependant, plus il est monté dans la hiérarchie, plus il s’est éloigné du marché, de la réalité de la vie d’entreprise, pour finalement devenir un cost killer, un organisateur de plans de sauvegarde de l’emploi, « au point de détester ce que je faisais », a-t-il confessé. « J’ai donc voulu faire quelque chose qui me plaisait vraiment. Ma motivation n’était plus alors de faire du profit à court terme, même si la perspective d’en faire est normale » a-t-il expliqué.
Il est alors parti avec l’idée de reprendre une affaire, mais plutôt une société de grande envergure plutôt qu’une entreprise de dix personnes.
Pendant six mois,
après sa démission, l’entrepreneur a expliqué avoir travaillé sur un site qu’il
avait identifié avant de quitter son poste, mais cela n’a finalement pas
abouti.
Il s’est rendu compte que la reprise d’entreprise nécessite un savoir-faire
technique qui n’a rien à voir avec la gestion d’une entreprise, comme il avait
l’habitude de le faire. Il a donc fait appel au CRA, une association
indispensable pour les repreneurs ou cédants comme lui : « C’est
une obligation. Si on n’a pas fait cette formation, on rate beaucoup
d’opportunités et de réflexes » a-t-il
déclaré. L’homme a également adhéré au CNAM, qui lui a ouvert d’autres
opportunités à caractère plus industriel. Pendant un an, ensuite, il a tenté de
trouver l’entreprise idéale. Il a consulté 40 dossiers, a rencontré
13 chefs d’entreprise. Il a très vite réalisé lui aussi que les cédants
étaient souvent dans la surenchère. « Il faut savoir renoncer », a-t-il
conseillé « surtout quand on est une personne
physique, à moins d’avoir de
très grands moyens ».
Au fil du temps, ses attentes n’étaient plus tout à fait les mêmes. Il souhaitait reprendre une entreprise à taille humaine dans un domaine différent de l’éclairage, mais quand même assez proche.
L'entreprise de François-Xavier Crazover répondait clairement à ses ambitions. Avec cette entreprise qu’il a rachetée fin 2017, il a retrouvé une clientèle à laquelle il était habitué.
Reste que reprendre une affaire que le cédant a lui-même reprise quatre ans auparavant avant de la revendre peut susciter quelques inquiétudes. On peut légitimement penser que quelque chose « cloche ». Mais pour Christophe Hubert, tout est une question de confiance. Ce qui l’a rassuré, c’est que François-Xavier Crazover avait adhéré à une association extrêmement reconnue dans le domaine de la transmission d’entreprise : APERE, association d’anciens responsables d’entreprise qui coachent des candidats repreneurs, mais aussi des chefs d’entreprise.
En outre, François-Xavier Crazover a également cédé 20 % de l’affaire à l’homme clé de l’entreprise, c’est-à-dire le directeur des travaux. « Celui-ci est breton comme moi, un peu plus jeune (38 ans) et est dans l’entreprise depuis 14 ans », a expliqué Christophe Hubert. Ce que le nouveau propriétaire apprécie chez cet homme, c’est qu’il gère très bien les projets, qu’il connaît parfaitement les techniques (il a été major de sa promo), et qu’il dispose de qualités humaines impressionnantes. « Le courant est passé très vite. Je lui ai expliqué ce que je voulais faire, et je lui ai dit que, peut-être, un jour ou l’autre, je céderais l’entreprise, et qu’il ne serait pas trop mal placé pour prendre la suite » a ajouté Christophe Hubert.
Concernant la période d’accompagnement, celle-ci a été volontairement réduite. « Le deal, c’était trois mois d’accompagnement temps plein », a expliqué le repreneur. En janvier et février 2018, les deux entrepreneurs ont travaillé ensemble sur le même bureau. Le troisième mois, ils ont fonctionné par appels téléphoniques. Tout s’est très bien déroulé.
En conclusion, a terminé le repreneur, « actuellement, étant donné la petite taille de l’entreprise, le plus difficile a déjà été fait ». Son expérience, ainsi que celle de François-Xavier Crazover, démontrent en tout cas qu’il est tout à fait possible de rester en très bons termes après un plan de cession.
Maria-Angélica Bailly
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