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Comment donner l’envie aux
acteurs judiciaires d’intégrer l’amiable dans leur pratique ? Ce mode de
résolution peut-il être la réponse adéquate à leurs besoins ? Claude Bompoint
Laski, avocate honoraire, médiatrice et présidente de Bayonne Médiation donne quelques
pistes, sans oublier de souligner qu’il s’agit d’une alternative « revaloris[ant]
la fonction de justice ».
Posée par l’un des
participants, fan de Jean Jacques Goldman[1], lors du lancement de la politique
de l’amiable par le garde des Sceaux le 13 janvier 2023, cette question résume
la problématique de la médiation judiciaire.
« Donner l’envie » de
l’amiable, c’est une démarche de marketing, au sens d’un état d’esprit fondé
sur l’écoute et l’observation des besoins de nos concitoyens dans la perspective
de leur proposer un service qui réponde à ces besoins.[2]
Chaque médiateur, chaque
magistrat qui oriente vers la médiation, chaque avocat qui conseille un
préalable amiable, s’assure que le processus répond aux réels besoins et
intérêts de la personne en conflit mieux que les autres solutions, et fait
ainsi œuvre de marketing.
Le besoin de médiation
s’impose chaque jour davantage dans notre société
Grâce à l’information et à
l’offre proposée par les principaux organismes de médiation depuis une
vingtaine d’année, des milliers de nos concitoyens ont de plus en plus recours
à la médiation dite « conventionnelle ». Ils prennent l’initiative de saisir
directement un médiateur.
Selon un sondage
de CSA Research, commandé en 2021 par la commission des lois du Sénat, les
Français plébiscitent la médiation à 90%. La médiation est entrée dans les
mœurs, de nombreux textes l’encadrent, mais elle peine à entrer dans les palais
de justice (moins de 1% des affaires).[3]
La question est donc plus
précisément : comment donner l’envie aux acteurs judiciaires d’intégrer
l’amiable dans leur pratique ? Utilisons les outils du marketing pour
comprendre leurs « résistances ». Quels sont leurs réels besoins et l’amiable
peut-il être la réponse adéquate ? De quels outils disposent-ils pour mettre en
œuvre l’amiable ?
Les besoins des magistrats et
les moyens d’intégrer l’amiable
En novembre 2021, près de
3000 magistrats et une centaine de greffiers dénonçaient « une justice qui
n’écoute pas et qui chronomètre tout ».
Le rapport
du Comité des Etats généraux de la justice, déposé en juillet 2022 par Jean
Marc Sauvé, vice-président honoraire du Conseil d’Etat, dresse le constat de la
crise que traverse la justice, dans l’incapacité de « répondre à la demande
des justiciables dans des conditions de délai et de qualité acceptables
» et, notamment, « pour ceux qui
travaillent à l’œuvre de justice, avocats, fonctionnaires et, au premier chef,
magistrats, la justice rendue est loin de correspondre à la haute idée qu’ils
s’en font. C’est un sentiment de désespoir, voire de honte qui domine face à
l’impossibilité de bien remplir sa mission ».
Des cinq besoins essentiels
identifiés par Maslow (physiologique, de sécurité, d’appartenance, d’estime,
d’accomplissement de soi), le malaise des acteurs judiciaires, et
principalement les magistrats, relève d’un manque d’estime de soi et
d’accomplissement personnel dans l’exercice de leur fonction. « Interpréter
la loi dont la prédominance est remise en cause », « banalisée telle une
norme parmi d’autres », « dont chaque juge doit en outre contrôler la
constitutionnalité », ne correspond plus au cœur de leur métier.
C’est une crise de valeurs, «
nationale et universelle », qui nécessite une « refondation profonde
» que le garde des Sceaux qualifie de « véritable changement
de logiciel pour la justice civile ». Les réformes
successives de la justice prônent son
rapprochement du citoyen pour « restaurer la
confiance dans l’institution », mais, dans la pratique,
la médiation reste l’alibi humaniste et non la clé de voûte de ce nouveau
paradigme.
La médiation, concept
philosophique universel, fondé sur l’altérité, redonne du sens à l’action en ce
qu’elle restaure ou qu’elle crée du lien entre nos concitoyens.
Certes, la médiation n’est
pas le seul remède au malaise évoqué, mais décider de l’intégrer dans sa
mission de justice démontre l’intérêt porté aux réels besoins du justiciable et
restaure entre celui-ci et le juge une confiance indispensable à l’estime de
soi et de sa mission.
Saisi d’un litige de
voisinage, le juge des référés, qui motive dans les termes suivants une
injonction de rencontrer un médiateur et de tenter une médiation avant
expertise, valorise sa fonction et, de facto, la justice : « Il importe, par
contre, que les parties qui sont voisines et amenées à cohabiter durant de
longues années, voire des générations, réussissent à retrouver une
communication et une cohabitation apaisée que seule une mesure de médiation
sera à même d’amener ».
La politique de l’amiable
« consiste à favoriser une justice participative, donc plus rapide, donc
plus proche, parce que le justiciable qui a participé à la décision qui le
concerne aura le sentiment d’avoir été mieux entendu, et mieux jugé ». La
médiation judiciaire, c’est un temps rendu aux parties dans le temps du procès,
qui suspend la prescription (art. 2238 du Code civil) et l’interrompt en appel
(art. 910-2 du Code de procédure civile), ce qui exige un suivi rigoureux des
dates de début et de fin du processus.
Plusieurs dispositifs
permettent au juge d’intégrer à tout moment l’amiable dans la procédure, sans
être dessaisi (art. 131-2 du C.P.C.). Avec l’accord des parties, le juge peut
ordonner une médiation (art. 22 de la loi du 8 février 1995 et 131-1 du Code de
procédure civile). Dans l’attente du décret en Conseil d’Etat mentionné à l’article
22 de la loi, la comparution personnelle des parties est un moyen efficace.
Sans l’accord des parties, le
juge peut les enjoindre de rencontrer un médiateur et, en cas d’adhésion au
processus de tenter une médiation (l’ordonnance 2 en 1 – art. 22-1 de la loi du
8 février 1995 et 127-1 du Code de procédure civile)
Le projet d’audience de
règlement amiable qui actualise le rôle du juge en tant qu’aimable compositeur
si les parties le sollicitent à cette fin en usant de la faculté que l’article
12 du code civil leur donne depuis 1976.
Les besoins des avocats et
les moyens d’intégrer l’amiable
La campagne pour l’élection
emblématique du prochain bâtonnier du barreau de Paris met en évidence une « crise
des vocations » et « une aura pâlie » de la profession, comme le
souligne un article du Figaro du 3 juin.
Les avocats estiment que la
prolifération des lois complexifie la recherche de la solution juridique. Ils
se spécialisent, mais les contraintes matérielles chronophages ne leur
permettent pas d’accorder assez d’attention à chaque client, si bien que,
malgré leurs compétences, le résultat obtenu déçoit souvent ce dernier. Il en
résulte pour l’avocat une frustration et un besoin d’estime de soi et
d’accomplissement personnel qui co-existe avec un besoin de sécurité.
Assurant la fonction sociale
de défenseur des droits, il est parfois reproché à l’avocat de multiplier les
procédures sans tenir compte des priorités du client. De la fusion avec les
anciens conseils juridiques en 1992 est né « l’avocat-conseil » qui privilégie
la voie contractuelle, rédacteur d’actes et des formalités administratives,
conseil en gestion, négociateur et que l’on retrouve dans le fameux « barreau
d’affaires ».
De son côté, la profession a
modifié son image de marque en mettant en avant sa mission de conseil qui
inclut la voie amiable. L’article 6.1 du Règlement intérieur national (RIN) des
avocats a intégré dans la mission générale de l’avocat celle « d’examiner
avec ses clients la possibilité de résoudre leurs différends par le recours aux
modes amiables préalablement à toute introduction d’une action en justice ou en
introduisant une clause à cet effet lors de la rédaction d’un acte juridique
». Mission qui nécessite de s’assurer des besoins réels de son client, souvent
noyés dans le récit de son conflit.
Le cursus universitaire de
l’avocat ne le prépare pas à recevoir les émotions de ses clients, à les
identifier et à utiliser la dynamique qui en résulte pour résoudre le
différend.
Un certain nombre d’avocats
se forment aux méthodes de médiation et reconnaissent qu’ils exercent ensuite
différemment leur devoir de conseil et leur rôle de négociateur.
L’avocat est aussi le
gestionnaire d’une entité économique et, à ce titre, il a également un besoin
légitime de sécurité financière. Le processus de médiation permet à l’avocat
prescripteur/accompagnateur d’avoir la maîtrise du conseil sans l’aléa
judiciaire, et la maîtrise de la négociation dans un cadre structuré (art. 21
de la loi du 8 février 1995).
Associer son client dans le
choix de l’amiable nécessite une évaluation comparative préalable de l’aléa
judiciaire, éventuellement à l’aide de data plus ou moins adaptée à la
situation, et l’analyse des besoins et intérêts des parties, au-delà des griefs.
La « méthode Harvard » permet
ensuite de définir les marges de négociation pour co-construire avec la partie
adverse, dans le cadre sécurisé de la médiation, la solution la plus adaptée
non seulement à la résolution du différend, mais également au maintien de la
relation entre les participants.
Cette prestation de
spécialiste, d’application transversale quelle que soit la matière, fidélise la
clientèle et justifie une rémunération à la hauteur du service rendu, qui
s’inscrit logiquement dans le « contrat de mission
et de rémunération avec honoraire complémentaire de résultat
», comme dans la pratique anglosaxonne.
L’honoraire complémentaire de
résultat est calculé soit « sur l’économie réalisée par le client par
rapport aux sommes maximales réclamées par l’adversaire à son encontre »
soit « sur le gain obtenu par le client par rapport au résultat prévu par
les parties » à la convention.
À tout moment, l’avocat peut
intégrer la médiation dans sa pratique sans être dessaisi s’il entretient des
relations de confiance avec son client et avec le médiateur, assurés de son
contrôle de la légalité des accords.
L’accord issu d’une médiation
constitue d’ailleurs un titre exécutoire s’il est contresigné par les avocats
de chacune des parties (art. L111-3 du code des procédures civiles
d’exécution). Le projet de césure du procès permet aux parties, une fois le ou
les points de droit traités par le juge, de négocier à l’amiable le montant des
conséquences financières. L’avocat peut aussi recevoir des missions de médiation
(art. 6.3.1 du RIN).
Le médiateur cessera d’être
considéré par les avocats comme un concurrent, pour être reconnu comme un
partenaire de ce dispositif systémique, lorsque le Conseil national des
barreaux (CNB), persuadé de la plus-value de l’amiable pour la profession, fera
œuvre de marketing (besoins/moyens) en incitant les avocats à mettre en œuvre
des conventions de rémunération avec honoraire complémentaire de résultat par
des formations à l’évaluation de l’économie réalisée ou du gain obtenu par le
client.
En résumé, l’amiable revalorise la fonction de justice, non qu’il soit applicable à toutes les causes, mais en ce qu’il donne aux professionnels du droit l’opportunité de moderniser leurs pratiques, de redonner du sens à leur mission et donc à leurs institutions, et, à nos concitoyens, un outil de démocratie participative. La Chancellerie a doté les médiateurs d’un Conseil national de la médiation, avec la lourde mission, notamment, de clarifier le droit de la médiation pour simplifier son application. L’implication notoire de ses membres est un gage de son efficacité.
[1] La chanson « L’ENVIE » a été écrite
par Jean Jacques Goldman et chantée par Johnny Hallyday en 1986.
[2] Le Mercator Jacques Lendrevie et
Julien Lévy
[3] Arens et N. Fricero, Médiation et conciliation : modes premiers de règlement des litiges, Gaz. Pal. 24 et 25 avr. 2015.
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