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Loin de
la marginalisation occidentale du XXe siècle,
l’institutionnalisation du tatouage à travers l’exposition au Quai Branly
« Tatoueurs tatoués1 » démontre la place du tatouage au
sein du marché de l’art. Défini comme « une pratique consistant à créer
sur la peau une marque permanente ou un dessin permanent par injection
intradermique d’un produit composé de colorants et d’ingrédients auxiliaires2 »,
le tatouage, réalisation artistique, implique des considérations sanitaires. Le
droit français s’avère profondément protecteur du tatoué, de son corps et de
ses droits, de sorte que la représentation de l’œuvre « Tim 2006 » par Tim Steiner au Louvre
a alimenté de nombreuses interrogations juridiques et artistiques. L’artiste
conceptuel Wim Delvoye a réalisé – et signé – un tatouage sur le dos de Tim
Steiner, celui-ci a en effet consenti non seulement à cette pratique, mais
s’est également engagé à s’exposer plusieurs fois par an, et, après sa mort, à
être dépecé afin de remettre le tatouage au propriétaire de l’œuvre. Si un tel
contrat est interdit en droit français, il soulève toutefois la question du
tatouage en tant que pleine propriété du tatoueur, d’une commercialisation et
de la limite du consentement dans le cadre contractuel. À travers le prisme
juridique, le tatouage, en tant qu’œuvre d’art, fait l’objet d’une
reconnaissance juridique rigide, difficilement adaptée à son essence
artistique.
Le
tatouage étant par nature un acte définitif conséquent sur le corps du client,
le tatoueur est garant d’une obligation d’information précise afin de pouvoir
recueillir le consentement libre et éclairé du futur tatoué.
L’obligation d’information
préalable pesant sur le tatoueur
Nature des informations
Au regard des impératifs de santé publique, la
profession de tatoueur est strictement encadrée. La législation française
impose une déclaration d’activité auprès du préfet du département du lieu
d’exercice, des formations aux conditions d’hygiène, de sécurité et de
salubrité. Le décret n° 2008-149 du 19 février 2008 règlemente strictement les
techniques de tatouages réalisées par les professionnels.
L’information des futurs tatoués doit être préalable à toute technique d’effraction cutanée. L’article R. 1311 du Code de la santé publique prévoit une obligation d’information à l’égard des clients des risques auxquels ceux-ci s’exposent mais également des précautions à respecter après la réalisation du tatouage. Par un arrêté du 3 décembre 20083, la ministre de la Santé a délimité le contenu de l’information à délivrer au client.
D’abord, le tatoueur doit informer le client du « caractère
irréversible des tatouages impliquant la modification corporelle définitive
ainsi que de la douleur éventuelle liée à l’acte de tatouer ». Le
tatouage supposant l’introduction de produits sous l’épiderme par effraction cutanée,
le professionnel doit informer des risques d’infections ainsi que des risques
allergiques liés aux encres de tatouage. Récemment, le règlement
2020/2081 modifiant le règlement REACH de l’Union européenne4
interdit la commercialisation et l’utilisation de 25 pigments en raison de la
présence de substances chimiques toxiques. Or, présents dans les encres de
tatouage actuellement sur le marché, ils représentent la quasi-totalité des
produits de tatouage. Le tatoueur doit également renseigner « les recherches
de contre-indications » notamment liées au diabète ou autres maladies
et traitements liés à la coagulation sanguine. Enfin, doivent être indiqués à
la fois le « temps de cicatrisation adapté à la technique mise en œuvre »
ainsi que « les risques cicatriciels et les précautions à respecter
après la réalisation ».
Dans un avis relatif aux risques des produits et
pratiques de tatouage et de détatouage du 15 décembre 2020, le Haut Conseil de
la Santé Publique recommande une plus grande accessibilité et traçabilité des
informations délivrées. À ce titre, il recommande la mise en place d’une
structure nationale afin d’améliorer la communication sur les risques liés au
tatouage.
La forme de l’expression de l’information
Le tatoueur est dans l’obligation de délivrer cette
information : la jurisprudence a rappelé que même si le client a déjà procédé à
une technique de tatouage, cela ne lui permet pas de se soustraire à son
obligation d’information5. La délivrance de cette information est
prévue formellement par l’article 4 de l’arrêté du 3 décembre 2008, qui
mentionne l’affichage de manière visible dans le salon
de tatouage ou tout autre local où la technique est mise en œuvre, mais
également la remise par écrit de cette information au client.
Néanmoins, la présence de cette information dans le
local ne suffit pas à caractériser la délivrance de l’information, comme a pu
le rappeler la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 12 mars 2020, dans le
cadre d’un document mis à disposition des clients et d’une seule fiche sur le
« détatouage à la crème » n’exposant pas le risque de cicatrice
laissée par une opération de détatouage : « cette feuille donne
quelques conseils pratiques mais ne fait à aucun endroit allusion au risque de
cicatrice ; que le manquement de Madame D à son obligation d’information
est établi ; que l’intimée ne saurait utilement se retrancher derrière un
document mis à disposition de ses clients et la fiche signée par Madame B qui
se réfère notamment à une croûte qui va se décoller, puis à une rougeur, avant
que la teinte naturelle ne revienne progressivement
à la normale6 ». La cour d’appel confirme ainsi une indemnisation à
hauteur de 5 000 euros pour réparation du préjudice moral de la cliente en
raison du manquement à l’obligation d’information.
Le ministère de la Santé met à la disposition des
professionnels du tatouage un écrit contenant les informations nécessaires à
transmettre au client. La mention de la remise de l’écrit au sein du contrat de tatouage est largement
conseillée.
Si l’information donnée par le tatoueur est précisément
encadrée, c’est dans l’objectif de permettre au futur tatoué de donner un
consentement éclairé sur le tatouage envisagé.
Le recueil du consentement
L’expression du consentement
En vertu de l’article 16-1 du Code civil, le corps humain est inviolable, de sorte que nul ne peut agir sur le corps d’un individu sans son consentement. L’indisponibilité du corps humain implique l’impossibilité de consentir à des atteintes corporelles. Toutefois, le droit reconnait que les modifications corporelles poursuivant par exemple une finalité esthétique peuvent être consenties dès lors qu’un certain seuil de gravité n’est pas dépassé. Avant la consécration législative de la bioéthique, la jurisprudence utilisait la notion d’intégrité physique, notamment dans l’affaire Paris Secret de 19677, dans laquelle une jeune femme demandait la suppression de la séquence où elle se faisait tatouer devant la caméra, mais également la restitution du lambeau de peau portant un tatouage. Le contrat prévoyait en effet une opération de chirurgie afin de procéder au « détatouage de l’œuvre » : la convention est annulée par les juges du fond car « illicite, immorale et contraire à l’ordre public ». Le consentement libre et éclairé du futur tatoué est subordonné à l’information des risques par le tatoueur. Lors de la signature du contrat de tatouage, le contrat y fait clairement référence. Le tatoueur peut également annexer un formulaire spécifique de consentement au contrat de tatouage.
De plus, le Code de santé publique prévoit l’interdiction de réaliser toute technique de tatouage sur une personne mineure sans le consentement du titulaire de l’autorité parentale. L’article R. 1311-11 dudit code subordonne l’expression du consentement à l’écrit d’un des deux parents ou du tuteur du mineur. Le professionnel conserve ce document pendant trois ans suivant la réalisation du tatouage afin d’être en mesure de présenter la preuve du consentement aux autorités compétentes. En outre, l’obligation d’information du futur tatoué s’applique au détenteur de l’autorité parentale de sorte que la présence physique de celui-ci est nécessaire. La jurisprudence rappelle que l’information du mineur, bien qu’affichée dans le magasin et rappelée à l’oral, ne dispensait pas du consentement écrit du tuteur légal. Un tatoueur a engagé sa responsabilité et a été condamné à verser une indemnisation de 250 euros pour le préjudice moral subi par les parents bien que ne soit pas reconnu le préjudice matériel des frais de détatouage8.
Au-delà des considérations sanitaires, la réalisation
d’un tatouage implique de le définir juridiquement.
Le tatoué porteur d’une œuvre de l’esprit ?
Par un arrêt remarqué, le Conseil d’État a exclu du
domaine fiscal la reconnaissance du tatouage comme œuvre d’art au sens de l’article 98A
de l’annexe III du Code général des impôts9.
Il peut toutefois être protégé en tant qu’œuvre de
l’esprit10 susceptible de faire l’objet de droits d’auteur. Il n’en
est pas moins l’objet d’une difficile conciliation entre la protection par le droit
d’auteur du tatouage et l’inviolabilité et la non patrimonialité du corps
humain protégée par l’article 16-1 du Code civil11. Au regard du
droit de la propriété intellectuelle, le support de l’œuvre étant un sujet de
droit, l’exercice des droits d’auteur est limité. Les droits patrimoniaux et
moraux de l’auteur sont subordonnés à l’appréhension des différentes techniques
de tatouages qui interrogent la qualité de l’auteur et le critère d’originalité
de l’œuvre. Certaines en effet sont l’objet d’une réalisation spontanée
(free-hand) ou au contraire de dessins pré-réalisés par le tatoueur (flash). Le
droit de divulgation de l’auteur est limité par le respect de la liberté
individuelle du tatoué qui va diffuser l’œuvre en l’arborant sur son corps,
tandis que le droit au respect de l’œuvre est limité par les possibles
changements physiques survenant sur le corps du tatoué.
Néanmoins, l’auteur d’un tatouage peut lutter contre
l’exploitation commerciale de son œuvre. À ce titre, la jurisprudence a reconnu
que le tatouage effectué par l’artiste Jean-Philippe Daures pour le chanteur
Johnny Hallyday était une œuvre originale dont la reproduction à usage
commercial a porté atteinte aux droits patrimoniaux de l’auteur et condamné la
société à la somme de 250 000 francs12. En l’espèce, le tatoueur
avait déposé son dessin à l’INPI, conférant une protection complémentaire à son
œuvre, et la Cour a fait application de la théorie de l’accessoire.
Aux États-Unis, plusieurs affaires ont mis en avant la
question de la reproduction des tatouages, notamment dans le cadre de jeux
vidéo (NBA 2K18), le tatoueur de Lebron James, James Hayden, a attaqué la
société de production pour atteinte à son droit d’auteur et violation de ses
droits de reproduction en raison de la présence des tatouages sur l’avatar du
jeu.
Si l’affaire a été réglée à l’amiable, elle démontre la
reconnaissance croissante de l’œuvre des tatoueurs.
1)
Tatoueurs Tatoués, 6 mai 2014 – 18 octobre 2015, Musée du Quai Branly.
2)
Résolution ResAP (2008) adoptée par le Comité des Ministres.
3)
Arrêté du 3 décembre 2008 (JORF n° 0290 du 13 décembre 2008).
4)
Règlement (CE) n° 1907/2006 du 18 décembre 2006.
5)
CA Nîmes, ch. 1, 31 janv.2019, RG n° 17/00594.
6)
CA Paris, ch.2, 12 mars 2020, RG n° 104/2020.
Béatrice Cohen,
Avocate à la Cour, BBCAVOCATS,
membre de l’Institut Art & Droit
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