Un rapport parlementaire veut réformer l’aide juridictionnelle


mercredi 28 août 20196 min
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Présenté par deux députés, le texte souligne une aide juridictionnelle au développement exponentiel qui « engorge les bureaux » et « allonge les délais », et formule une série de 32 propositions pour réformer le dispositif, dont plusieurs mesures phares. 

 




L’aide juridictionnelle (AJ), « victime de son succès » ? C’est en tout cas ce qu’affirment les députés Philippe Gosselin (LR) et Naïma Moutchou (LREM) dans un rapport parlementaire publié le 23?juillet 2019.  


Mis en place par la loi du 10 juillet 1991?relative à l’aide juridique, le dispositif permet depuis bientôt 30 ans la prise en charge par l’État de tout ou partie des frais relatifs à un procès ou à une procédure pénale. Si les députés soulignent que l’AJ a constitué « une avancée dans le renforcement de l’État de droit », ils observent que le nombre d’admissions à l’aide juridictionnelle a triplé depuis 1992. Les rapporteurs pointent notamment une progression ces trois dernières années, qui s’explique par le relèvement, à compter du 1er janvier 2016, du plafond d’admission pour le porter au niveau du seuil de pauvreté, et à son indexation sur l’inflation depuis le 1er janvier 2017. Par ailleurs, un rapport de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) montre une hausse continue des demandes d’aide juridictionnelle en matière de droit d’asile. Ainsi, près de 45 000 personnes ont bénéficié de l’aide juridictionnelle dans ce cadre en 2018, soit une augmentation de 73,5 % en trois ans.


En conséquence, « cette forte hausse des bénéficiaires s’est traduite par un engorgement des bureaux d’aide juridictionnelle et un allongement des délais de traitement des dossiers », déplorent les députés. 


En outre, les dépenses liées à l’aide juridictionnelle ont explosé depuis 2015 : +41 % en trois ans. Un chiffre qui s’explique également par la – légère – augmentation de la rétribution de l’avocat venue porter en 2017?le montant de l’unité de valeur à 32 euros au lieu des trois valeurs affectées par groupe auparavant – 26,5, 27,5, et 28,5 euros, la présence obligatoire d’un avocat lors de l’audience d’une personne faisant l’objet de soins sans consentement, ou encore l’élargissement du champ de l’aide juridictionnelle, notamment en matière de médiation. À l’appui du rapport, le Défenseur des droits constate ainsi que « le budget alloué à l’aide juridictionnelle en 2018?était de 478,8 millions d’euros contre 447,2 millions d’euros en 2017, soit une augmentation de 7,1 %. Par ailleurs, il ressort du projet de loi de finances pour 2019?que les dépenses relatives à l’aide juridictionnelle devraient atteindre 506,7 millions d’euros et le nombre de personnes éligibles à l’aide juridictionnelle pour 2019?devrait continuer d’augmenter, poursuivant la tendance observée ces dernières années. » 


Toutefois, la progression des dépenses pourrait ralentir en 2019, l’augmentation des dépenses ayant désormais atteint un « palier », ajoute le rapport. Précision intéressante : ce dernier indique d’autre part que le budget consacré à l’aide judiciaire en France, qui représente 8,3 % du budget public du système judiciaire, se situe « dans une moyenne basse au sein des pays européens ».


 


Des conditions d’attribution de l’aide juridictionnelle élargies


À la suite de cet état des lieux, les deux députés formulent 35 propositions pour, disent-ils, « garantir à chaque citoyen un égal accès au droit et à la justice ».


En dépit des observations émises dans leur état des lieux, les rapporteurs proposent dans un premier temps de « faire évoluer les conditions d’attribution de l’aide juridictionnelle » en relevant les plafonds d’admission à l’aide juridictionnelle au niveau du SMIC net.
En effet, expliquent-ils, le montant du SMIC est fixé à 1 204 euros pour une durée de travail de 35 heures hebdomadaires, et le seuil de pauvreté monétaire s’établit à 1 026 euros par mois pour une personne seule et à 1 334 euros pour une famille monoparentale avec un enfant de moins de 14 ans. « Ainsi, une femme seule avec un enfant à charge qui gagne 1 300 euros par mois, n’est éligible qu’à l’aide juridictionnelle partielle, alors qu’elle se trouve sous le seuil de pauvreté », dénoncent-ils, évoquant les « difficultés rencontrées au quotidien par les personnes aux revenus modestes ». 


Par ailleurs, les rapporteurs recommandent que l’aide juridictionnelle soit accordée de droit, sans condition de ressources, pour les victimes de violences conjugales, et que ces dernières bénéficient de l’aide juridictionnelle dès le dépôt de plainte.


 


Forfaitisation, droit de timbre… pour un meilleur recouvrement ?


Pour faire face à la hausse des dépenses (et d’autant plus si les conditions d’attribution viennent à être révisées), Philippe Gosselin et Naïma Moutchou interpellent sur la « nécessité d’améliorer le recouvrement des dépenses de l’État au titre de l’aide juridictionnelle ». Ils évoquent notamment la possibilité d’une forfaitisation du montant à recouvrer. Jusqu’à maintenant, le recouvrement de l’aide juridictionnelle est fondé sur le principe du coût réel : le redevable doit rembourser les sommes que l’État a avancées. Mais pour les députés, l’une des principales difficultés rencontrées par les greffiers est de déterminer le montant à recouvrer. Ils estiment donc que « la forfaitisation permettrait au juge de liquider les dépens dans le jugement, ce qui améliorerait l’information du justiciable et assurerait une plus grande fluidité du processus ».


Les rapporteurs invitent également à mener une réflexion sur le regroupement des caisses des règlements pécuniaires des avocats. L’UNCA fédère 126?CARPA (Caisses des règlements pécuniaires des avocats) qui regroupent les 164 barreaux de métropole et d’Outre-mer : un regroupement des caisses « permettrait donc de diminuer les frais de gestion, grâce à des économies d’échelles, mais également d’améliorer le rendement des placements », argumentent-ils. 


Les députés rapportent en outre que la demande d’aide juridictionnelle est une procédure qui se présente encore exclusivement sous format papier, occasionnant des lenteurs et des coûts notamment en matière d’affranchissement. Alors que le ministère de la Justice a lancé un chantier de dématérialisation de l’aide juridictionnelle baptisé SIAJ (système d’information de l’aide juridictionnelle), les rapporteurs invitent à « poursuivre la modernisation du circuit de recouvrement en généralisant la dématérialisation des échanges entre les greffes et les services administratifs régionaux et en veillant à la coordination avec le projet SIAJ ».


Dernière mesure dans ce sens et non des moindres, Philippe Gosselin et Naïma Moutchou se prononcent pour le rétablissement d’un « droit de timbre » à hauteur de 50?euros, à la charge des justiciables, pour les contentieux civils et administratifs, à l’instar de la contribution pour l’aide juridique qui était en vigueur du 1er octobre 2011?au 31?décembre 2013.


Si le rapport précise que Philippe Gosselin penche pour une réduction de 50 % pour les bénéficiaires de l’AJ, tandis que Naïma Moutchou est favorable à une exonération complète pour ces mêmes bénéficiaires, la proposition, loin de passer inaperçue, a même suscité l’émoi d’une partie du monde judiciaire et de certains médias, qui se sont ainsi demandé s’il ne s’agissait pas tout simplement ici d’une mesure destinée à mettre fin à la saisine gratuite de la justice.


Ce passage du rapport n’est d’ailleurs pas le seul dans le viseur. En effet, dans un point réclamant « une évolution des conditions d’attribution de l’aide juridictionnelle », on peut ainsi lire l’extrait suivant : « Or, le constat dressé par les magistrats judiciaires, administratifs mais également financiers entendus par la mission d’information est unanime : il faut lutter contre les demandes d’aide juridictionnelle abusives ». Gilles Accomando, président de la Conférence nationale des Premiers présidents de cour d’appel, souligne à son tour dans le rapport :  « il faut surtout que le juge puisse estimer que la demande présentée dans le cadre de l’aide juridictionnelle n’est pas sérieuse, afin d’éviter les abus des avocats. »
De quoi déclencher l’ire de nombreux avocats, à l’instar du barreau de La Roche-sur-Yon (Vendée), qui a dénoncé sur Twitter des propos « honteux » procédant « d’une méconnaissance crasse du fonctionnement actuel de l’aide juridictionnelle ». 


De l’huile sur le feu, pour ainsi dire : alors que la future réforme du régime de retraites est actuellement très contestée par la profession, le mécontentement des robes noires n’est pas près de retomber. Le tout, à peine quelques jours après la parution d’un article?dans Ouest France pointant que « L’aide juridictionnelle représente 80 % des revenus des jeunes avocats », qui « subissent de plein fouet l’allongement des délais de traitement des dossiers d’aide juridictionnelle. »

 


Bérengère Margaritelli


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