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C’est en présence de la présidente du Conseil national des barreaux (CNB) Christiane Féral-Schuhl, de la bâtonnière de l’Ordre des avocats du Barreau de Paris Marie-Aimée Peyron et de la présidente de la Fédération nationale des unions de jeunes avocats (FNUJA) Alexandra Boisramé que, le 2 mai dernier, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a présenté les résultats de l’enquête « Conditions de travail et expériences des discriminations au sein de la profession d’ avocat·e en France ». Réalisée de concert avec la FNUJA, celle-ci, au travers de plus de 7 000 réponses analysées, dévoile une discrimination jugée « trop fréquente » au sein de la profession, une discrimination notamment due au sexe, à la situation familiale, à l’origine et à la religion.
« Nous avons pu mettre des chiffres sur des discriminations dont nous nous doutions. » a souligné la présidente de la FNUJA en préambule. Jugée comme un « point de départ » par le Défenseur des droits, cette étude pourrait bien déclencher la « prise de conscience » de la profession vivement attendue par la présidente de la FNUJA face à ces sujets encore tabou, elle le déplore.
Car cette discrimination existe ! Plus de la moitié des femmes (53 %) rapportent une expérience de discriminations dans les cinq dernières années. L’enquête révèle aussi que 72 % des femmes et 47 % des hommes interrogés rapportent avoir été témoins de discriminations à l’encontre de leurs collègues.
Mais avant de parler de discrimination, concentrons-nous, en premier lieu, sur les chiffres de la profession qui connaît une forte féminisation et un net rajeunissement.
Le portrait type de l’avocat en France
Les avocats sont, en moyenne, âgées de 43,8 ans, et sont, à 55 %, des femmes. Une profession jeune, en regard par exemple de la population des officiers publics et ministériels (OPM).
Une profession plus paritaire aussi, puisque les OPM comptent 37 % de femmes et elles ne sont que 38,5 % chez les notaires.
Toutefois, cette parité n’empêche pas l’existence de discrimination, dont les femmes demeurent aussi les victimes. En effet, le sexe (à 22,4 %) reste l’un des principaux motifs de discriminations, suivi de la maternité (19,7 %) et de l’âge (7,3 %).
Une instabilité professionnelle davantage féminine
De façon générale, les femmes sont en moyenne plus jeunes au sein de la profession. Mais elles demeurent moins stables aussi professionnellement : 69,8 % des avocates sont rattachées à leur barreau depuis moins de 15 ans, contre 55,5 % de leurs confrères masculins.
Le dernier rapport d’activité de la Caisse nationale des barreaux français (CNBF) constatait que « 78 % d’avocats hommes inscrits en 1997 sont toujours dans la profession en 2015, contre 66 % de femmes ». Et cela s’illustre dès la deuxième année suivant le serment : « Pour un serment prêté en 2015, à la fin de l’année 2016, 95,2 % des hommes exercent encore comme avocats, alors que ce n’est le cas que de 93,0 % des femmes », assure l’étude.
Outre cette instabilité plus présente chez les femmes, le Défenseur des droits nous dévoile également une différence de statut qui persiste.
Collaborateur salarié ou libéral, au sein de la profession d’avocat, les statuts sont divers. « Être associé signifie être propriétaire d’une partie des parts du groupement d’exercice dans lequel on travaille » souligne l’étude. Toutefois, les femmes ne sont représentées qu’à hauteur de 36,9 %.
« 79,1 % des avocats et 69,2 % des avocates qui déclarent un revenu professionnel annuel net égal ou supérieur à 152 400euros (la tranche la plus élevée qui était proposée aux répondants de l’enquête) sont des associés » peut-on lire dans le rapport, concluant ainsi « Les femmes, moins souvent associées que les hommes, sont ainsi désavantagées dans l’accès aux revenus les plus élevés ».
Temps partiel et congés maternité
On observe cette même différence notamment dans le temps de travail : « En moyenne, 4 % des hommes avocats exercent à temps partiel (temps partiels subi et choisi confondus), tandis que 9 % de leurs consœurs sont concernées ».
Autre clivage : le congé parental. « 44,3 % de mères ayant aujourd’hui un enfant de 15 ans ou plus déclarent avoir pris un congé de maternité, et c’est le cas de 78,9 % de celles ayant un enfant de moins de 15 ans en 2017 ». Marquant une pause plus ou moins longue dans leur parcours professionnel, ce congé reste discriminant pour les femmes. Toutefois, Alexandra Boisramé souligne une première avancée, avec l’obtention de « sanctions disciplinaires contre les cabinets qui pénalisaient les avocates au retour de leurs congés maternité ». Mais outre le sexe, d’autres motifs sont sujets à discriminations, tels que l’origine perçue (noire ou arabe), la religion déclarée (musulmane) ou la parentalité (avoir des enfants de moins de 15 ans).
La religion, motif discriminant
Les personnes se déclarant de religion musulmane se disent plus concernées par les discriminations, à 72,1 % pour les femmes et à 56,8 % pour les hommes. Malgré l’écart apparent entre les femmes et les hommes, on peut au contraire souligner la relative proximité. En effet, « le taux des discriminations rapportées par les femmes est la plupart du temps 2,5 à 3 fois supérieur à celui des discriminations rapportées par les hommes », précise l’étude. Ici, le rapport n’est que de 1,3. Les personnes se disant de confession juive (59,3 % pour les femmes et 23,4 % pour les hommes), puis bouddhiste ou d’une autre religion (58,7 % pour les femmes et 22,7 % pour les hommes) sont également concernées par cette discrimination religieuse.
le manque de réaction de la profession
Comment la profession réagit-elle face à ces discriminations ? « Potentiellement très avertis de ce qu’est, en droit, une discrimination », il est alors surprenant de constater que « moins de 5 % des femmes et des hommes confrontés à une discrimination ont entamé des démarches formelles pour faire valoir leurs droits ». Bien que les femmes soient moins nombreuses que les hommes à ne rien faire, le « comportement d’inaction ou de résignation concerne tout de même plus d’un quart d’entre elles » contre 42,1 % chez les hommes. Pourquoi ? 28,2 %, tous sexes confondus, considèrent que ça ne sert à rien, 29,3 % relèvent le manque de preuves suffisantes et 21,3 % évoquent la peur des représailles.
Le Défenseur des droits appelle les ordres à agir !
Malgré cette absence flagrante d’action, la majorité de la profession considère toutefois que « la loi n’est pas suffisamment appliquée, qu’on manque d’outils efficaces pour les combattre », et qu’il serait erroné de penser qu’on « en parle trop ». Aussi, pour le Défenseur des droits, il est nécessaire « d’agir dans le cadre de la formation initiale et continue des avocat·e·s afin que ces derniers soient mieux à même d’identifier et documenter les situations de discriminations, pour eux-mêmes, leurs collègues ou leurs client·e·s, et connaître les voies et les moyens d’un recours effectif ».
Appelant les ordres à « faire usage de leurs prérogatives disciplinaires en matière de discrimination », la présidente du CNB répond en ce sens à Monsieur Toubon : « Nous agissons, nous n’avons pas attendu ce rapport, en matière de maternité, paternité pour les collaborateurs, promotion d’une politique de responsabilité sociétale des cabinets » déclarait-elle à cette occasion.
Constance Périn
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