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Avec sept mises en examen depuis l’année dernière et la récente arrivée d’une magistrate supplémentaire à l’instruction, le pôle des crimes sériels ou non élucidés du tribunal judiciaire de Nanterre tire un bilan positif. Si le nombre d’enquêteurs mis à disposition reste insuffisant, et les technologies lacunaires, le pôle s’est ancré dans le paysage judiciaire, et l’idée d’une évolution vers des pôles régionaux fait son bout de chemin.
Les chiffres ne sont pas
étourdissants, mais c’est tout l’intérêt du pôle cold cases : pour pouvoir
travailler sur des dossiers anciens, denses, et qui ont jusqu’ici résisté à
l’enquête, il faut maintenir un stock d’affaires raisonnable.
Depuis l’année dernière, sept
nouvelles mises en examen ont eu lieu dans les affaires dont est saisi le pôle
des crimes sériels ou non élucidés (PCSNE) du tribunal judiciaire de Nanterre. En
un an, le parquet a analysé 49 procédures supplémentaires, le nombre de
dossiers effectivement pris en charge par le pôle est passé de 105 à 117.
Parmi ces 117 procédures, 100
font l’objet d'informations judiciaires et 17 sont au stade de l’enquête
préliminaire. Les scellés de 41 procédures ont été réceptionnés depuis l’année
dernière, portant à 98 le nombre de dossiers pour lesquels cette formalité a
été effectuée.
« Ces affaires ne
seraient jamais sorties si elles étaient restées locales »
Au global, les spécialistes
des cold cases se réjouissent que la machine soit enfin en marche et tirent un
bilan positif, trois ans après la création du pôle, en mars 2022. « Il
y a 12 affaires dans lesquelles des personnes sont mises en examen, donc c'est
plutôt positif, estime Jacques
Dallest, le magistrat honoraire qui a impulsé la création du pôle. Ces affaires ne seraient jamais sorties si elles
étaient restées locales, c’est quasiment certain. »
De son côté, l’avocat spécialisé Didier Seban souligne lui aussi des avancées certaines : « Le pôle a trouvé toute sa légitimité. La première bonne nouvelle, c’est qu'il y a eu des avancées dans des affaires. Les familles ont le sentiment qu'il y a un engagement que nous n'avions pas connu antérieurement dans la justice. Deuxièmement, j'ai appris que l'Office central pour la répression des violences aux personnes avait fait une liste dépassant les 1 000 cold cases identifiés sur 20 ans. Jusqu'ici, on n'avait pas cette liste, on ne savait pas de quoi on parlait. Et comment peut-on travailler sur une matière qu'on ne connaît pas ? » interroge l’avocat, qui estime le nombre d’affaires non élucidées à 4 000 ou 5 000 sur les 30 dernières années.
Entre la fin de l’année 2024
et le début de l’année 2025, de nombreuses avancées ont été réalisées grâce au
travail du pôle : un homme a été mis en examen dans les affaires des
meurtres de Leïla Afif et de Nathalie Boyer en novembre 2024, un autre a été
mis en examen en janvier 2025 dans le cadre de l’affaire de la mort de Ginette
Naime, et une mise en examen a été prononcée fin février 2025 dans le cadre de
l’affaire Belmonte. Dernière percée et non des moindres, Dominique Pélicot a
été entendu, fin janvier 2025, au sujet de deux crimes non élucidés dont le
pôle est saisi.
Marie-Céline Lawrysz, la nouvelle
procureure adjointe qui a remplacé Caroline Gontran, a pris ses fonctions le 27
janvier dernier. « La
chance que j'ai, c’est qu’en deux mois, j'ai eu déjà deux enquêtes, voire trois,
qui ont eu des perspectives, puisqu'on a eu des mises en examen dans plusieurs
dossiers. Et j’ai de bons espoirs sur certains dossiers, je sais que ça va
bouger » explique la magistrate,
non sans oublier de souligner l’équipe « incroyable » et « très
motivée » qui officie au sein du pôle, au parquet comme au siège.
Nouvelle
magistrate et nouveau dispositif
Le 1er mars 2025,
conformément à ce qu’avait annoncé le garde des Sceaux de l’époque, Éric Dupond-Moretti,
le 7 mars 2024, une nouvelle juge d’instruction a par ailleurs pris ses
fonctions au sein du pôle, portant ainsi à quatre le nombre de magistrates
instructrices. Chacune est en charge d’environ une trentaine de dossiers, un
chiffre « très correct », qui préserve pour l’instant le pôle
de la « saturation », estime Jacques Dallest.
Même si, selon ce dernier, le
pôle conserve une certaine « capacité d’absorption d’affaires », les
effectifs gagneraient à être davantage étoffés : « On n'a pas forcément besoin de plus de
juges, mais il faut plus de collaborateurs, d’attachés de justice qui peuvent
utilement remplacer les magistrats pour du travail de préparation, de
documentation. Il faudrait aussi, par exemple, des officiers de liaison, des
policiers ou des gendarmes détachés au pôle de Nanterre, ça pourrait aussi être
une façon d'améliorer leur fonctionnement. »
L’arrivée d’un attaché de
justice et d’un magistrat du parquet avaient également été annoncées il y a un
an : de ce côté-là, rien n’a bougé. Au parquet, il y a toujours deux
vice-procureurs et une attachée de justice, en plus du procureur de la
république adjoint. Le poste de procureur est pour l’instant vacant, en attente
de la validation du Conseil supérieur de la magistrature.
Depuis le 2 avril 2024, le
pôle a mis en place un nouveau dispositif d’appel à témoin. Baptisé « en
quête d’indice », l’outil chapeauté par le ministère de la Justice et
celui de l’Intérieur diffuse de courtes vidéos sur Internet présentant un
récapitulatif des faits et de la procédure et appelant de potentiels témoins à se
manifester. Dans l’affaire du meurtre de Ginette Naime commis le 13 avril 2000
à Ollioules, qui a fait l’objet d’une des quatre vidéos diffusées dans le cadre
de « En quête d’indices », c’est un témoignage qui a permis la mise
en examen d’un suspect le 16 janvier 2025.
A l’occasion de ses trois
ans, le pôle souligne aussi les liens « très étroits » tissés
entre les magistrats du pôle et les services enquêteurs spécialisés, notamment
l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) de la
police nationale et la Division des affaires non élucidées (DiANE).
En collaboration avec les
laboratoires et les experts qu’ils consultent, les magistrats et services
enquêteurs « se sont familiarisés avec des expertises spécialisées,
notamment en matière de morpho-analyse de traces de sang ou de recherches
physico-chimiques. Cette coopération a permis de développer une maîtrise
optimisée des investigations en matière de génétique et de faire évoluer les
pratiques. »
Pour la nouvelle procureur
adjointe Marie-Céline Lawrysz, les magistrats du PCSNE doivent gagner en
connaissance en matière de
technicité d'enquête. « Pour cela, il faut qu'on aille voir à droite à
gauche pour s'inspirer de ce qui se passe aux Pays-Bas, en Belgique, au Canada,
aux Etats-Unis surtout, parce qu'ils ont une expertise bien plus importante que
la nôtre notamment en matière de crimes en série. Par exemple, le
vice-procureur Hugues Julie est en lien direct avec l'attaché de sécurité
intérieure des Etats-Unis, et donc avec le FBI, pour se tenir au courant de ce
sur quoi ils travaillent actuellement, et savoir comment ils peuvent nous
conseiller, nous guider. »
Quand la technologie bat de l’aile
Malgré ses incontestables succès,
le pôle connaît aussi son lot d’obstacles. Pour Didier Seban, dont le cabinet
s’occupe d’une trentaine d’affaires gérées par le pôle, de nombreuses
thématiques n’ont pas connu de véritables avancées : « Sur la mémoire criminelle, on nous a
dit qu'il y avait une commission qui travaillait sur la question, mais les
données continuent à s'effacer dans les tribunaux sans que personne ne s'en inquiète vraiment »
déplore
l’avocat.
Sur ce point, la procureur
adjointe Marie-Céline Lawrysz répond : « La direction des affaires
criminelles et des grâces et la chancellerie travaillent sur le sujet. Notre
requête a été entendue et je sais qu'ils travaillent dessus et qu'ils penseront
très vite à nous pour pouvoir ne serait-ce qu’expérimenter certains logiciels. » Bien que la mémoire criminelle soit en train
d'être construite pour partie par l'OCRVP et la DiANE, Didier Seban la juge « encore très
insuffisante ».
Autre problème d’ordre
technologique selon l’avocat, celui de la généalogie génétique, pour l’instant
interdite en France. Didier Seban poursuit : « On est bloqué dans une série de dossiers du
fait de la difficulté de mise en place de la généalogie génétique, puisqu'on
dépend des États-Unis pour cela et que les relations franco-américaines ne sont
pas au beau fixe. Or, il y a une série de dossiers où on a l'ADN de l'auteur
supposé pour lesquels la seule manière de résoudre l'affaire serait de
pratiquer la généalogie génétique. »
Pour
atténuer la dépendance de la France vis-à-vis des Etats-Unis pour ce qui relève
de la généalogie génétique, il faudrait, selon Didier Seban, que la loi
française évolue et affirme travailler sur une proposition de loi en ce sens.
« Le
troisième sujet, conclut l’avocat,
c’est qu’il y a trop de dossiers dans lesquels on souffre encore d’une mise à
disposition insuffisante d'enquêteurs tant en gendarmerie qu'en police, sur ces
affaires. »
Même si les magistrats ne sont pas responsables et « font ce qu’ils peuvent », nuance Didier Seban, ces trois freins sont « dramatiques » pour les familles et les proches des victimes. « Il s'agit souvent d'affaires anciennes où les familles attendent depuis des années pour lesquelles six mois ou un an de retard, peut conduire à la mort d’un témoin ou à toute une série de choses de ce genre qui, évidemment, sont insupportables quand on attend de la justice qu'elle résolve une affaire. »
Visibiliser
et « phosphorer »
De son côté, malgré des
progrès, Marie-Céline Lawrysz
aimerait accroître la visibilité et la communication du pôle, y compris auprès
des magistrats non spécialisés. « C'est très important, parce qu'on peut être force de proposition dans leurs enquêtes à eux », explique la
magistrate.
Avec la création du PCSNE, l’idée
était aussi de créer une « véritable
nouvelle façon de travailler » au
sein du pôle rappelle la procureure adjointe. « Normalement, les
magistrats instructeurs ont leurs dossiers et les parquetiers ont les leurs.
Ils se parlent uniquement quand ils ont besoin l'un de l'autre. Là, le but,
c'est de recouper, de phosphorer, de réfléchir. Plus on est nombreux, en
général, mieux c'est puisqu'on a des perspectives et des pistes qu'on n'avait
pas forcément mis en évidence tout seul dans son coin. Cette nouvelle façon de
travailler, il faut, à mon sens, la renforcer encore. »
De
ce point de vue, le turnover qui peut exister du côté des magistrats « est
sans doute un point sur lequel il va falloir s'interroger » avance
Marie-Céline Lawrysz. « Même si ces dossiers peuvent être
particulièrement difficiles et que les magistrats connaissent comme tout le
monde des aléas de la vie, je pense que ce sont des postes qui
méritent et qui nécessitent de s'y investir sur le long ou moyen terme »
conclut la magistrate.
Vers
une régionalisation ?
Difficile de connaître le
budget alloué au pôle qui dépend du Tribunal judiciaire de Nanterre et n’a, a
priori, pas d’enveloppe dédiée. Comme toute juridiction, le pôle coûte de
l’argent et notamment pour ce qui relève des analyses
génétiques et des fouilles, comptabilisées en frais de justice.
Pour Didier Seban, l’argent ne semble jusqu’ici pas avoir été une source de blocage : « Ce que je sais, c'est qu'aujourd'hui, quand je leur demande des actes de vérification d’ADN, de fouilles, les juges ne me disent pas qu’ils n'ont pas les moyens de le faire. Ce qui me semble vraiment une source de blocage, c'est le manque d'enquêteurs sur les affaires. J'ai certains dossiers où on me dit ‘Maître, on a peut-être un auteur, mais les enquêteurs sont occupés sur une autre affaire du pôle, attendez quelques mois supplémentaires’. Et ça, ce n'est pas audible ».
À lire aussi : « En quête d’indices » : en quoi consiste ce nouveau dispositif d’appel à témoins lancé par le gouvernement ?
A
terme, le PCNSE pourrait-il se développer sur le territoire et donner naissance
à d’autres pôles ? Pour Marie-Céline Lawrysz, la question se pose : « pourquoi
pas ? ».
Jacques
Dallest, favorable à cette « régionalisation », rappelle de son côté que
cette éventualité est prévue dans la loi qui parle « d’un ou plusieurs
pôles » : « Cela pourrait changer dans les années à venir,
mais à mon avis, ça n’est pas pour tout de suite. Pour l'instant, sans doute
pour une question de moyens, de facilité, le pôle est national est donc à
Nanterre. Mais on pourrait imaginer, à terme, qu'il y ait 2, 3, 4 pôles sur la
France avec une couverture sur l'ensemble des affaires non élucidées, qui
pourrait inclure les disparitions inquiétantes, souvent traitées
localement. »
D’après
le magistrat, cette centralisation a notamment un intérêt pour ce qui est des
« parcours criminels » et des « tueurs internationaux ».
Didier
Seban, quant à lui, se dit plutôt défavorable à cette potentielle évolution. Il
y voit le risque de recréer les difficultés rencontrées sur ces dossiers
préalablement à la création du pôle notamment pour ce qui relève du rapprochement
des affaires, des échanges d’informations et de l’obtention de services
d’enquête suffisants.
Une
association en « complément » du pôle
Ce
n’est pas une structure judiciaire, mais une entité parallèle au PCSNE
a récemment vu le jour. Créée en mai 2024, l’association Avane (pour Aide aux
victimes des affaires non élucidées) aide gratuitement les familles, notamment
lorsqu’elles rencontrent des difficultés pour comprendre les procédures ou se
faire entendre dans le cadre des investigations.
En un peu moins d’un an de
fonctionnement, la structure lancée par Benoit De Maillard, ancien policier
scientifique, a été saisie de 25 dossiers et a élaboré une cartographie de 423
cold cases. Après l’étude d’un dossier, l’association, qui ne réalise ni
enquêtes ni investigations, peut par exemple, grâce à son « pôle experts »,
rédiger des notes d’informations à destination des autorités compétentes pour
orienter l’investigation sur un point précis.
Avane a déjà été sollicitée
par la police judiciaire belge sur l’affaire de la disparue de la Meuse et par
la police judiciaire niçoise sur l’affaire de la « femme à la bague ».
L’association vient surtout aider les familles, « en complément »
du pôle de Nanterre explique Clément Delalande, le responsable de la
communication de l’association.
Parmi les bénévoles,
l’association compte des professionnels de la santé mentale. « On a des
psychologues qui viennent en aide aux familles qui parfois sont dans le besoin,
dans l'attente », souligne le responsable de la communication.
Dans l’attente de la
résolution de leur affaire, de nombreuses familles parmi les clients de Didier
Seban se retrouvent dans l’impossibilité de faire leur deuil. A elles et aux
autres, l’avocat veut dire : « N’abandonnez pas. Réunissez vous en
association. Voyez un avocat. Vous pouvez avoir des réponses. Rester dans le
malheur, l’incertitude et dans l’oubli ne sera jamais quelque chose qui vous
aidera. Ne lâchez pas. »
Marion Durand
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