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Une loi infirmière, pour quoi faire ?


mardi 1 avril11 min
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01/04/2025 07:00:00 1 8 6227 13 0 0 5530 5727 Trois ans après sa création, le pôle cold cases a trouvé « toute sa légitimité »

Avec sept mises en examen depuis l’année dernière et la récente arrivée d’une magistrate supplémentaire à l’instruction, le pôle des crimes sériels ou non élucidés du tribunal judiciaire de Nanterre tire un bilan positif. Si le nombre d’enquêteurs mis à disposition reste insuffisant, et les technologies lacunaires, le pôle s’est ancré dans le paysage judiciaire, et l’idée d’une évolution vers des pôles régionaux fait son bout de chemin.

Les chiffres ne sont pas étourdissants, mais c’est tout l’intérêt du pôle cold cases : pour pouvoir travailler sur des dossiers anciens, denses, et qui ont jusqu’ici résisté à l’enquête, il faut maintenir un stock d’affaires raisonnable.

Depuis l’année dernière, sept nouvelles mises en examen ont eu lieu dans les affaires dont est saisi le pôle des crimes sériels ou non élucidés (PCSNE) du tribunal judiciaire de Nanterre. En un an, le parquet a analysé 49 procédures supplémentaires, le nombre de dossiers effectivement pris en charge par le pôle est passé de 105 à 117.

Parmi ces 117 procédures, 100 font l’objet d'informations judiciaires et 17 sont au stade de l’enquête préliminaire. Les scellés de 41 procédures ont été réceptionnés depuis l’année dernière, portant à 98 le nombre de dossiers pour lesquels cette formalité a été effectuée.

« Ces affaires ne seraient jamais sorties si elles étaient restées locales »

Au global, les spécialistes des cold cases se réjouissent que la machine soit enfin en marche et tirent un bilan positif, trois ans après la création du pôle, en mars 2022. « Il y a 12 affaires dans lesquelles des personnes sont mises en examen, donc c'est plutôt positif, estime Jacques Dallest, le magistrat honoraire qui a impulsé la création du pôle. Ces affaires ne seraient jamais sorties si elles étaient restées locales, c’est quasiment certain. »

De son côté, l’avocat spécialisé Didier Seban souligne lui aussi des avancées certaines : « Le pôle a trouvé toute sa légitimité. La première bonne nouvelle, c’est qu'il y a eu des avancées dans des affaires. Les familles ont le sentiment qu'il y a un engagement que nous n'avions pas connu antérieurement dans la justice. Deuxièmement, j'ai appris que l'Office central pour la répression des violences aux personnes avait fait une liste dépassant les 1 000 cold cases identifiés sur 20 ans. Jusqu'ici, on n'avait pas cette liste, on ne savait pas de quoi on parlait. Et comment peut-on travailler sur une matière qu'on ne connaît pas ? » interroge l’avocat, qui estime le nombre d’affaires non élucidées à 4 000 ou 5 000 sur les 30 dernières années.

Entre la fin de l’année 2024 et le début de l’année 2025, de nombreuses avancées ont été réalisées grâce au travail du pôle : un homme a été mis en examen dans les affaires des meurtres de Leïla Afif et de Nathalie Boyer en novembre 2024, un autre a été mis en examen en janvier 2025 dans le cadre de l’affaire de la mort de Ginette Naime, et une mise en examen a été prononcée fin février 2025 dans le cadre de l’affaire Belmonte. Dernière percée et non des moindres, Dominique Pélicot a été entendu, fin janvier 2025, au sujet de deux crimes non élucidés dont le pôle est saisi.

Marie-Céline Lawrysz, la nouvelle procureure adjointe qui a remplacé Caroline Gontran, a pris ses fonctions le 27 janvier dernier. « La chance que j'ai, c’est qu’en deux mois, j'ai eu déjà deux enquêtes, voire trois, qui ont eu des perspectives, puisqu'on a eu des mises en examen dans plusieurs dossiers. Et j’ai de bons espoirs sur certains dossiers, je sais que ça va bouger » explique la magistrate, non sans oublier de souligner l’équipe « incroyable » et « très motivée » qui officie au sein du pôle, au parquet comme au siège.

Nouvelle magistrate et nouveau dispositif

Le 1er mars 2025, conformément à ce qu’avait annoncé le garde des Sceaux de l’époque, Éric Dupond-Moretti, le 7 mars 2024, une nouvelle juge d’instruction a par ailleurs pris ses fonctions au sein du pôle, portant ainsi à quatre le nombre de magistrates instructrices. Chacune est en charge d’environ une trentaine de dossiers, un chiffre « très correct », qui préserve pour l’instant le pôle de la « saturation », estime Jacques Dallest.

Même si, selon ce dernier, le pôle conserve une certaine « capacité d’absorption d’affaires », les effectifs gagneraient à être davantage étoffés : « On n'a pas forcément besoin de plus de juges, mais il faut plus de collaborateurs, d’attachés de justice qui peuvent utilement remplacer les magistrats pour du travail de préparation, de documentation. Il faudrait aussi, par exemple, des officiers de liaison, des policiers ou des gendarmes détachés au pôle de Nanterre, ça pourrait aussi être une façon d'améliorer leur fonctionnement. »

L’arrivée d’un attaché de justice et d’un magistrat du parquet avaient également été annoncées il y a un an : de ce côté-là, rien n’a bougé. Au parquet, il y a toujours deux vice-procureurs et une attachée de justice, en plus du procureur de la république adjoint. Le poste de procureur est pour l’instant vacant, en attente de la validation du Conseil supérieur de la magistrature.

Depuis le 2 avril 2024, le pôle a mis en place un nouveau dispositif d’appel à témoin. Baptisé « en quête d’indice », l’outil chapeauté par le ministère de la Justice et celui de l’Intérieur diffuse de courtes vidéos sur Internet présentant un récapitulatif des faits et de la procédure et appelant de potentiels témoins à se manifester. Dans l’affaire du meurtre de Ginette Naime commis le 13 avril 2000 à Ollioules, qui a fait l’objet d’une des quatre vidéos diffusées dans le cadre de « En quête d’indices », c’est un témoignage qui a permis la mise en examen d’un suspect le 16 janvier 2025.

A l’occasion de ses trois ans, le pôle souligne aussi les liens « très étroits » tissés entre les magistrats du pôle et les services enquêteurs spécialisés, notamment l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) de la police nationale et la Division des affaires non élucidées (DiANE).

En collaboration avec les laboratoires et les experts qu’ils consultent, les magistrats et services enquêteurs « se sont familiarisés avec des expertises spécialisées, notamment en matière de morpho-analyse de traces de sang ou de recherches physico-chimiques. Cette coopération a permis de développer une maîtrise optimisée des investigations en matière de génétique et de faire évoluer les pratiques. »

Pour la nouvelle procureur adjointe Marie-Céline Lawrysz, les magistrats du PCSNE doivent gagner en connaissance en matière de technicité d'enquête. « Pour cela, il faut qu'on aille voir à droite à gauche pour s'inspirer de ce qui se passe aux Pays-Bas, en Belgique, au Canada, aux Etats-Unis surtout, parce qu'ils ont une expertise bien plus importante que la nôtre notamment en matière de crimes en série. Par exemple, le vice-procureur Hugues Julie est en lien direct avec l'attaché de sécurité intérieure des Etats-Unis, et donc avec le FBI, pour se tenir au courant de ce sur quoi ils travaillent actuellement, et savoir comment ils peuvent nous conseiller, nous guider. »

Quand la technologie bat de l’aile

Malgré ses incontestables succès, le pôle connaît aussi son lot d’obstacles. Pour Didier Seban, dont le cabinet s’occupe d’une trentaine d’affaires gérées par le pôle, de nombreuses thématiques n’ont pas connu de véritables avancées : « Sur la mémoire criminelle, on nous a dit qu'il y avait une commission qui travaillait sur la question, mais les données continuent à s'effacer dans les tribunaux sans que personne ne s'en inquiète vraiment » déplore l’avocat.

Sur ce point, la procureur adjointe Marie-Céline Lawrysz répond : « La direction des affaires criminelles et des grâces et la chancellerie travaillent sur le sujet. Notre requête a été entendue et je sais qu'ils travaillent dessus et qu'ils penseront très vite à nous pour pouvoir ne serait-ce qu’expérimenter certains logiciels. » Bien que la mémoire criminelle soit en train d'être construite pour partie par l'OCRVP et la DiANE, Didier Seban la juge « encore très insuffisante ».

Autre problème d’ordre technologique selon l’avocat, celui de la généalogie génétique, pour l’instant interdite en France. Didier Seban poursuit : « On est bloqué dans une série de dossiers du fait de la difficulté de mise en place de la généalogie génétique, puisqu'on dépend des États-Unis pour cela et que les relations franco-américaines ne sont pas au beau fixe. Or, il y a une série de dossiers où on a l'ADN de l'auteur supposé pour lesquels la seule manière de résoudre l'affaire serait de pratiquer la généalogie génétique. »

Pour atténuer la dépendance de la France vis-à-vis des Etats-Unis pour ce qui relève de la généalogie génétique, il faudrait, selon Didier Seban, que la loi française évolue et affirme travailler sur une proposition de loi en ce sens.

« Le troisième sujet, conclut l’avocat, c’est qu’il y a trop de dossiers dans lesquels on souffre encore d’une mise à disposition insuffisante d'enquêteurs tant en gendarmerie qu'en police, sur ces affaires. »

Même si les magistrats ne sont pas responsables et « font ce qu’ils peuvent », nuance Didier Seban, ces trois freins sont « dramatiques » pour les familles et les proches des victimes. « Il s'agit souvent d'affaires anciennes où les familles attendent depuis des années pour lesquelles six mois ou un an de retard, peut conduire à la mort d’un témoin ou à toute une série de choses de ce genre qui, évidemment, sont insupportables quand on attend de la justice qu'elle résolve une affaire. »

Visibiliser et « phosphorer »

De son côté, malgré des progrès, Marie-Céline Lawrysz aimerait accroître la visibilité et la communication du pôle, y compris auprès des magistrats non spécialisés. « C'est très important, parce qu'on peut être force de proposition dans leurs enquêtes à eux », explique la magistrate.

Avec la création du PCSNE, l’idée était aussi de créer une « véritable nouvelle façon de travailler » au sein du pôle rappelle la procureure adjointe. « Normalement, les magistrats instructeurs ont leurs dossiers et les parquetiers ont les leurs. Ils se parlent uniquement quand ils ont besoin l'un de l'autre. Là, le but, c'est de recouper, de phosphorer, de réfléchir. Plus on est nombreux, en général, mieux c'est puisqu'on a des perspectives et des pistes qu'on n'avait pas forcément mis en évidence tout seul dans son coin. Cette nouvelle façon de travailler, il faut, à mon sens, la renforcer encore. »

De ce point de vue, le turnover qui peut exister du côté des magistrats « est sans doute un point sur lequel il va falloir s'interroger » avance Marie-Céline Lawrysz. « Même si ces dossiers peuvent être particulièrement difficiles et que les magistrats connaissent comme tout le monde des aléas de la vie, je pense que ce sont des postes qui méritent et qui nécessitent de s'y investir sur le long ou moyen terme » conclut la magistrate.

Vers une régionalisation ?

Difficile de connaître le budget alloué au pôle qui dépend du Tribunal judiciaire de Nanterre et n’a, a priori, pas d’enveloppe dédiée. Comme toute juridiction, le pôle coûte de l’argent et notamment pour ce qui relève des analyses génétiques et des fouilles, comptabilisées en frais de justice.

Pour Didier Seban, l’argent ne semble jusqu’ici pas avoir été une source de blocage : « Ce que je sais, c'est qu'aujourd'hui, quand je leur demande des actes de vérification d’ADN, de fouilles, les juges ne me disent pas qu’ils n'ont pas les moyens de le faire. Ce qui me semble vraiment une source de blocage, c'est le manque d'enquêteurs sur les affaires. J'ai certains dossiers où on me dit  ‘Maître, on a peut-être un auteur, mais les enquêteurs sont occupés sur une autre affaire du pôle, attendez quelques mois supplémentaires’. Et ça, ce n'est pas audible ».

A terme, le PCNSE pourrait-il se développer sur le territoire et donner naissance à d’autres pôles ? Pour Marie-Céline Lawrysz, la question se pose : « pourquoi pas ? ».

Jacques Dallest, favorable à cette « régionalisation », rappelle de son côté que cette éventualité est prévue dans la loi qui parle « d’un ou plusieurs pôles » : « Cela pourrait changer dans les années à venir, mais à mon avis, ça n’est pas pour tout de suite. Pour l'instant, sans doute pour une question de moyens, de facilité, le pôle est national est donc à Nanterre. Mais on pourrait imaginer, à terme, qu'il y ait 2, 3, 4 pôles sur la France avec une couverture sur l'ensemble des affaires non élucidées, qui pourrait inclure les disparitions inquiétantes, souvent traitées localement. »

D’après le magistrat, cette centralisation a notamment un intérêt pour ce qui est des « parcours criminels » et des « tueurs internationaux ».

Didier Seban, quant à lui, se dit plutôt défavorable à cette potentielle évolution. Il y voit le risque de recréer les difficultés rencontrées sur ces dossiers préalablement à la création du pôle notamment pour ce qui relève du rapprochement des affaires, des échanges d’informations et de l’obtention de services d’enquête suffisants.

Une association en « complément » du pôle

Ce n’est pas une structure judiciaire, mais une entité parallèle au PCSNE a récemment vu le jour. Créée en mai 2024, l’association Avane (pour Aide aux victimes des affaires non élucidées) aide gratuitement les familles, notamment lorsqu’elles rencontrent des difficultés pour comprendre les procédures ou se faire entendre dans le cadre des investigations.

En un peu moins d’un an de fonctionnement, la structure lancée par Benoit De Maillard, ancien policier scientifique, a été saisie de 25 dossiers et a élaboré une cartographie de 423 cold cases. Après l’étude d’un dossier, l’association, qui ne réalise ni enquêtes ni investigations, peut par exemple, grâce à son « pôle experts », rédiger des notes d’informations à destination des autorités compétentes pour orienter l’investigation sur un point précis.

Avane a déjà été sollicitée par la police judiciaire belge sur l’affaire de la disparue de la Meuse et par la police judiciaire niçoise sur l’affaire de la « femme à la bague ». L’association vient surtout aider les familles, « en complément » du pôle de Nanterre explique Clément Delalande, le responsable de la communication de l’association.

Parmi les bénévoles, l’association compte des professionnels de la santé mentale. « On a des psychologues qui viennent en aide aux familles qui parfois sont dans le besoin, dans l'attente », souligne le responsable de la communication.

Dans l’attente de la résolution de leur affaire, de nombreuses familles parmi les clients de Didier Seban se retrouvent dans l’impossibilité de faire leur deuil. A elles et aux autres, l’avocat veut dire : « N’abandonnez pas. Réunissez vous en association. Voyez un avocat. Vous pouvez avoir des réponses. Rester dans le malheur, l’incertitude et dans l’oubli ne sera jamais quelque chose qui vous aidera. Ne lâchez pas. »

Marion Durand

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