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Depuis septembre 2024, une nouvelle pratique s’impose dans le quotidien des crèches, des maisons d’assistantes maternelles et des foyers de l’enfance : l’attestation d’honorabilité, devenue obligatoire pour pratiquer certaines professions au contact des tout-petits. Le secteur décrit aujourd’hui des premiers résultats « effrayants », mais « utiles », après que des centaines de profils problématiques ont été identifiés.
Un garde-fou efficace pour la
protection des jeunes enfants ? La plateforme gouvernementale qui permet
aux professionnels de la petite enfance d’obtenir l’attestation d’honorabilité,
expérimentée depuis septembre 2024 dans les départements de Paris, de l'Essonne,
des Hauts-de-Seine, du Maine-et-Loire, du Nord et de la Vendée, est progressivement
généralisée à l’ensemble du territoire. Un déploiement qui semble indispensable :
depuis son lancement, plusieurs centaines de personnes ont vu leur embauche
empêchée par ce nouveau dispositif.
Car l’attestation
d’honorabilité concerne les assistants maternels et familiaux, y compris les
adultes vivant à leur domicile, ainsi que tout professionnel ou bénévole
intervenant dans des structures d’accueil du jeune enfant ou de protection de
l’enfance. Sa présentation est requise lors de l’embauche, lors d’une demande
d’agrément et à intervalles réguliers pendant l’exercice de l’activité.
Elle garantit ainsi qu'ils n’ont
pas de condamnation définitive empêchant d’intervenir auprès de mineurs,
inscrite sur leurs casiers judiciaires ou au Fichier judiciaire automatisé des
auteurs d’infractions sexuelles et violentes (FIJAISV). Objectif de cette
attestation : « empêcher toute personne condamnée pour des faits graves
de travailler auprès de jeunes enfants », explique sobrement le
ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles sur son site.
« Notre façon de
faire jusqu’alors était défaillante »
Quelques mois après sa
première phase de lancement dans les départements pilotes, le dispositif a donc
permis d’établir de premières statistiques. Au 31 mars 2025, « plus
de 93 000 personnes ont demandé leur attestation d’honorabilité »,
a communiqué récemment le cabinet de la ministre Catherine Vautrin. « Parmi
elles, 435 personnes se sont vu refuser la délivrance de
l’attestation d’honorabilité en raison de condamnations, dont 20
en raison d’infractions inscrites au FIJAISV. »
Mis en service en 2005, le FIJAISV,
qui recense les auteurs d’infractions sexuelles (qu’elles soient qualifiées de crimes
ou de délits), et même les infractions faisant l'objet d'un appel, comptait, au
30 septembre 2024, plus de 111 000 personnes inscrites, d’après les
chiffres du ministère de la Justice.
Des chiffres « inquiétants »,
mais qui montrent, selon les associations de protection de l’enfance, que le
système fonctionne et que sa généralisation à l’ensemble du territoire doit se
faire le plus rapidement possible. Au 27 novembre 2024, la DGCS avait déjà
fourni quelques résultats : la vérification du FIJAISV avait alors permis
d’identifier huit personnes inscrites, entraînant une incapacité d’exercice.
« Malheureusement, ce
n’est pas une surprise, cela confirme ce que nous dénonçons depuis longtemps :
certains individus n’ont rien à faire au contact d’enfants. Et c’est la
preuve que notre façon de faire jusqu’alors était défaillante, commente
Aude Lafitte, présidente d’Action contre les Violences Infantiles. C’est à
la fois effrayant et utile. Cela veut dire que des dizaines
de personnes potentiellement dangereuses pour les enfants auraient pu être
embauchées dans des crèches, des associations, ou en tant qu’assistantes
maternelles. »
Un système efficace, mais qui
gagnerait à être renforcé
Si « le filtre
commence enfin à fonctionner », ces chiffres doivent « pousser
à renforcer les contrôles et à ne plus fermer les yeux sur les risques »,
poursuit Aude Lafitte. Même si l’expérimentation a démontré son efficacité et
sa nécessité, la portée territoriale et le champ des professionnels concernés
reste encore limités. L’impulsion politique se fait néanmoins sentir : la
plateforme a été étendue à vingt-trois départements supplémentaires en mars
2025, le nombre de départements assujettis à l’attestation passant de six à 29
en l’espace de six mois, avant une généralisation prévue pour la fin de l’année
sur l’ensemble du territoire.
« L’attestation
d’honorabilité répond à une évidence : tout le monde ne peut pas être au
contact des enfants. Les enfants, en particulier les jeunes enfants 0-3 ans,
sont des cibles idéales pour des personnes inadaptées voire malveillantes. Un
huis clos suffit à rendre possible l’agression », souligne Aude
Lafitte. « Il était donc impératif de mettre en place
des garde-fous à l’embauche, pour éviter que des personnes condamnées pour
des faits graves puissent se retrouver au contact d’enfants. »
« Jusqu’ici, le contrôle
reposait souvent sur les structures elles-mêmes, sans homogénéité nationale.
Certaines embauchaient dans l’urgence, sans vérifier les antécédents. C’était
une brèche dangereuse », dénonce Sylvie Vernassière, avocate et
vice-présidente d’AVI. Une pratique qui se traduit parfois tragiquement dans la
réalité. On se souvient ainsi du drame survenu dans une crèche privée de Lyon,
où une employée avait tué une petite fille de 11 mois en lui faisant ingérer un
produit corrosif. Plusieurs enquêtes judiciaires, administratives et
journalistiques, notamment le livre Les Ogres, de Victor Castanet,
avaient montré de graves défaillances dans le fonctionnement des crèches
privées et dans le recrutement de professionnels.
« Avec la
plateforme honorabilité, le contrôle est automatisé, centralisé et
sécurisé, ce qui est un réel progrès », reprend Sylvie Vernassière. « Nous
réclamons ce type de contrôle depuis longtemps, notamment pour
les assistantes maternelles, qui travaillent à leur domicile, seules,
avec des enfants… parfois en présence d'autres adultes de la famille qui n'ont,
eux, jamais été contrôlés. C’est un angle mort de la protection de l’enfance. Il
fallait une réponse structurelle. Le système d’attestation d’honorabilité va
dans ce sens. »
« Il faudrait des
contrôles impromptus »
Un dispositif qui arrive trop
tard ? « On peut vraiment se poser la question, rebondit Aude
Lafitte. Sous le mandat d’Adrien Taquet, un fichier national a été
prévu, et intégré à la loi de 2022 qui prévoyait un renforcement des contrôles
des antécédents pour les professionnels et bénévoles de la protection de
l’enfance, y compris les assistants maternels et les membres de leur foyer.
Mais la mise en œuvre a été trop lente, malgré les alertes répétées des
professionnels de terrain et des associations. »
Une lenteur que les acteurs
de la petite enfance expliquent par des freins multiples : manque de
moyens humains dans les PMI, lourdeur administrative, désintérêt
politique, « et sans doute aussi une forme de déni
collectif autour des violences faites aux tout-petits qui sont banalisés »,
pointe Aude Lafitte. « Lorsqu’un drame survient, on parle de fait
divers, mais ce sont des vies brisées à chaque fois. Il s’agit de protéger les
plus vulnérables d’entre nous, cela devrait être la priorité politique de notre
pays. »
Et surtout, si l’attestation
d’honorabilité était indispensable, elle ne suffit pas à elle seule à garantir
la sécurité des plus jeunes, « des cibles vulnérables, qui ne peuvent
pas toujours témoigner et qui dépendent totalement des adultes »,
renchérit Sylvie Vernassière.
Car si les parents restent
les premiers auteurs de violences, « les structures censées
protéger les enfants — crèches, MAM, assistantes maternelles — manquent
cruellement de reconnaissance, de contrôle et de personnel. Ce contexte crée
une brèche dangereuse dans laquelle peuvent s’engouffrer des individus mal
intentionnés. Parfois, des structures embauchent dans l’urgence, sans vérifier
les antécédents, faute de mieux. Mais on ne peut pas jouer avec la sécurité des
enfants. »
AVI alerte notamment sur le manque de suivi une fois que les professionnels sont en poste. « Certaines assistantes maternelles ne sont pas inspectées pendant dix ans ! Il faudrait des visites annuelles minimum, et même des contrôles impromptus », souligne Sylvie Vernassière. Et les sanctions paraissent parfois dérisoires. « Lorsqu'une assistante maternelle est condamnée pour des violences ayant entraîné la mort d'un enfant, elle peut, en obtenant la clémence de la Cour d’assises, n’être interdite d'exercer que cinq ans. Cela devrait être à vie de façon automatique. »
Les associations plaident donc aujourd’hui pour que cette première étape soit renforcée par des mesures complémentaires, comme l’installation de caméras sécurisées dans les structures d'accueil, accessibles uniquement par la justice en cas d'incident grave (sur le modèle des boîtes noires dans les avions). « Cela permettrait avant tout de dissuader un passage à l’acte mais également de faire la lumière sur ce qui s'est réellement passé, notamment dans les cas de bébés secoués », précise Aude Lafitte.
Une autre de ces mesures pourrait être la création d’un fichier national croisé des agréments et signalements, car « aujourd’hui, un retrait d’agrément dans un département peut ne pas être visible ailleurs : une faille inacceptable ». Il faudrait enfin, selon l’association AVI, une meilleure protection des professionnels qui osent alerter sur des comportements inquiétants. « La culture du signalement doit évoluer. Signaler, ce n’est pas dénoncer un auteur, c’est protéger une, voire plusieurs victimes. Il y a aussi le problème du traitement des signalements réalisés. Aujourd'hui, certains collègues hésitent à parler, et des alertes restent parfois sans suite. C'est ainsi que des drames surviennent », déplore Aude Lafitte.
La nécessité d’une meilleure
coordination nationale
D’autres législations
pourraient aussi servir de modèles en matière de protection des enfants. Le Canada est
souvent cité en exemple par les professionnels du secteur. Depuis 2000, le pays
a mis en place une vérification des antécédents en vue d’un travail auprès
de personnes vulnérables, obligatoire pour toute personne occupant un poste de
confiance ou d’autorité auprès d’enfants ou de publics fragiles.
« Ce contrôle va bien
au-delà du simple casier judiciaire, il inclut des informations de police et
les infractions sexuelles même anciennes, via un processus rigoureux encadré
par la Gendarmerie royale du Canada », explique Sylvie Vernassière.
« En France, nous n’avons encore qu’un dispositif partiellement
opérationnel, à l’échelle départementale, avec peu de coordination nationale
(...). Le modèle canadien montre qu’un fichier national bien pensé peut
réellement protéger les enfants. »
Récemment, l’affaire Joël Le
Scouarnec, du nom de ce chirurgien pédocriminel condamné pour des viols et
agressions sexuelles sur plus de 299 victimes, a également mis en avant la
nécessité d’une meilleure communication entre les acteurs territoriaux, et
surtout d’étendre l’attestation d’honorabilité à l’ensemble des professionnels
au contact des enfants, dont les médecins. Une mesure réclamée par de
nombreuses associations.
Interrogée par le média
spécialisé « What’s
up doc », Martine Brousse, présidente de l’association
La Voix de l’Enfant, estime que « la protection de l'enfant doit primer
sur la vie privée des gens », tout en précisant qu’« il n'est
pas question de dénoncer n'importe qui ou de faire n'importe quoi. L'employeur
ne fait pas d'enquête sur la personne, il demande juste un document qui va plus
loin que le casier judiciaire ».
Sollicité par l’AFP en mai
dernier, le Conseil national de l'Ordre des médecins, partie civile au procès à
Vannes, a rappelé qu'à l'heure actuelle, il n'a « pas la possibilité
d'interroger le FIJAISV sur les antécédents judiciaires d'un praticien »,
précisant que « la consultation du bulletin numéro 2 du casier
judiciaire reste limitée à l'inscription d'un médecin ou à l'ouverture d'une
procédure disciplinaire ».
Mylène
Hassany
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