Une reconnaissance juridique conditionnée des amours pourtant inconditionnelles


samedi 13 février 20219 min
Écouter l'article

 

Aujourd’hui, il est socialement admis que lorsqu’un mariage ou un pacte civil de solidarité (PACS) est conclu, c’est avant tout pour frapper du sceau de la loi l’amour que deux personnes se vouent l’une à l’autre. Ces deux contrats d’union offrent au couple un panel d’avantages conditionnés par le respect des devoirs et obligations propres à chaque régime. Ces impératifs permettent au droit d’identifier le couple d’autres formes d’organisation sociale. De fait, s’il y a identification, il y a inévitablement exclusion de ces autres formes d’organisation sociale dans lesquelles, pourtant, l’amour peut également régner. Il se constate donc que la reconnaissance et la protection légales d’une relation affective ne peuvent s’opérer que si celle-ci correspond à l’acception juridique de l’amour. L’histoire du mariage à travers les âges se révèle être un excellent commencement de définition de cette acception. Celle du PACS n’est pas édifiante en la matière, bien que son édiction ait eu pour effet soudain de rendre plus tangibles les possibilités de reconnaissance pour ces autres relations différentes du couple conjugal. Néanmoins, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 9 novembre 1999 (1), a interprété la loi de sorte que la « vie commune » énoncée à l’article 515-1 du Code civil relatif au PACS soit assimilée à une « vie de couple », sexualisant ainsi le pacte et privant les relations non conjugales de son bénéfice.

 

Quand l’amour n’était pas encore la cause d’une union

 A ses prémices, les vocations du mariage étaient bien moins sentimentales qu’aujourd’hui, puisqu’il était surtout synonyme de procréation et de maintien de « la pureté de la race (2) ». Ainsi, le mariage a été pensé et conçu pour des personnes hétérosexuelles. Au-delà de ces considérations politiques et idéologiques, le mariage hétérosexuel a pendant longtemps été de raison. C’est-à-dire qu’il servait avant tout des intérêts économiques dans un but de préservation ou d’amélioration du rang social (3).

Si l’hétéronormativité (4) du mariage continue de perdurer, c’est notamment à cause de l’influence considérable qu’ont eu les religions du Livre. Par ailleurs, en Europe, la religion catholique s’étant arrogée le monopole du mariage, ce qui aurait eu pour conséquence d’institutionnaliser la stricte monogamie hétérosexuelle en occident, expliquant notamment l’interdiction du divorce pendant quelques siècles (5). S’ajoutent à cela les devoirs matrimoniaux dont le droit contemporain a hérité, tels que la fidélité, la cohabitation ou encore le devoir conjugal. Par ailleurs, la réception normative de ces devoirs est tout de même discutable, puisque ceux-ci découlent de la morale religieuse, ce qui pèche contre l’élan émancipateur de l’État de droit face à la religion.

 

Une vision juridique de l’amour conditionnant le bénéfice des contrats d’union

Toutefois à partir du XXe siècle, le recul de l’autorité religieuse et l’évolution des mœurs, accompagnés par des réformes progressistes du droit de la famille, ont permis une dissociation du mariage de la procréation (6), en témoigne récemment l’adoption du « mariage pour tous » en 2013. Cette formulation se voulant sans équivoque n’en demeure pas moins excluante, puisqu’il s’agit de l’édiction du « mariage pour tous [les monogames] ». Effectivement aujourd’hui, les statuts juridiques d’union excluent de leur bénéfice toutes les relations non monogames ainsi que les formes d’amour asexuelles. Ce faisant, seul le couple conjugal, que l’on peut définir comme l’union de deux personnes physiques majeures, sans lien de parenté, de sexe différ ent ou de même sexe ayant l’apparence d’une vie maritale, est titulaire de ces statuts. Or, il existe dans la société pléthore de relations amoureuses non monogames et de relations solidaires animées par l’amour sans connotation sexuelle. La forme la plus connue des relations non monogames, mais aussi la plus diabolisée par l’Occident, car perçue comme une injonction faite aux femmes, est la polygamie. En fait, ce terme regroupe deux réalités que sont la polygynie et la polyandrie. La première correspond au cas dans lequel un homme peut épouser plusieurs femmes et est souvent assimilée à la polygamie. La seconde concerne le cas d’une femme pouvant avoir plusieurs époux. La France juge la polygamie incompatible avec l’identité française et contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs (7). À cet égard, elle fait l’objet d’une prohibition pénale et civile. L’article 14 du projet de loi confortant le respect des principes de la République dite « loi contre le séparatisme » prévoit de surcroit le refus ou le non-renouvellement du titre de séjour pour les personnes polygames (8). D’une manière générale, les opposants à la polygamie ne conçoivent pas qu’elle puisse être désirée et consentie, alors qu’en fin de compte, le vrai combat reste le mariage forcé, qu’il soit polygame ou monogame (9). Différent de la polygamie qui reste une structure hétérosexuelle, le polyamour se définit comme étant un mode de vie relationnel dans lequel il est possible d’entretenir plusieurs relations amoureuses et sexuelles à la fois, avec l’acceptation de toute personne impliquée. Le polyamour est communément décrit comme étant « consensuel, éthique et non monogame responsable (10) ». Une transposition de la dialectique prohibitive de la polygamie au polyamour serait difficilement recevable, au regard du consentement libre et éclairé des personnes polyamoureuses. Sur quel fondement éthique (11) la reconnaissance de ces amours pourrait-elle être interdite, aussi nombreuses soient-elles, puisqu’il est uniquement question d’amours consensuelles et à aucun moment d’assujettissement d’un genre par rapport à l’autre ? Le consentement étant un principe fondamental et occupant une place centrale dans la formation du mariage.

 

La personne protégée en couple : une capacité spéciale dans l’incapacité générale

Quel que soit le régime de protection, la personne protégée ne peut être privée de ses droits fondamentaux (12). Ce principe, ancré dans les valeurs républicaines, a récemment été porté par la vague de déjudiciarisation (13) touchant les normes françaises.

Les tutélaires (personnes sous tutelle) devaient classiquement obtenir l’accord du juge ou du conseil de famille, tandis que les curatélaires (personnes sous curatelle) devaient obtenir l’autorisation du juge, ou de leur curateur (14). Désormais, le régime est unifié et déjudiciarisé, puisque seule la délivrance d’une notification permettra à la personne protégée de se marier librement, sans que l’absence de délivrance ne soit une cause de nullité. Toutefois, le protecteur ainsi informé pourra, dans une moindre mesure, s’opposer au mariage. De même, le notaire consulté devra informer la personne protégée, ainsi que son protecteur des risques pouvant peser sur le patrimoine en fonction du régime choisi. La solution apportée par la réforme est lacunaire en ce qu’elle permet seulement au protecteur de suggérer la rédaction d’un contrat de mariage, lequel pourra évidemment être refusé par le futur conjoint. Quand bien même il serait accepté, le régime de la séparation de biens le plus stricte ne dispensera pas le majeur protégé de satisfaire au régime primaire impératif (15) qui constitue le socle commun du mariage. Ainsi, le majeur protégé contractant mariage devra, s’il est plus fortuné que son conjoint, contribuer plus activement aux charges du mariage. De même en cas de divorce, la prestation compensatoire sera basée sur le patrimoine de celui-ci sans qu’aucune exception ne puisse être relevée. Si ces mesures correspondent à une volonté européenne d’autonomisation des majeurs protégés, il demeure toutefois regrettable que celle-ci s’accompagne d’une mise en danger de leur patrimoine. La solution retenue pour le divorce est bien plus protectrice puisqu’elle empêche le divorce par consentement mutuel, impliquant ainsi nécessairement l’intervention du juge (16).

 

Le mineur en couple : un mariage déconseillé aux moins de 18 ans

Le principe, limpide, est posé à l’article 144 du Code civil, qui dispose désormais que « le mariage ne peut être contracté avant dix-huit ans révolus », contre 15 ans pour les femmes et 18 ans pour les hommes avant le 5 avril 2006. Il est toutefois loisible au procureur de la République de déroger à ce principe pour « motifs graves » (17). On pensera ici au couple en attente d’un enfant qui souhaite pérenniser ses droits ou se soumettre aux traditions d’un culte, bien que cette dérogation soit epsilonienne en pratique. En revanche, l’article 148 tempère concrètement l’application du principe en permettant au mineur de contracter un mariage avec l’accord discrétionnaire d’au moins un de ses parents. Ce mariage entraînera l’émancipation de plein droit du mineur (art. 414-1). À l’inverse, le mineur même émancipé, ne pourra pas se marier sans l’accord d’un de ses parents (18).

Si telles sont les règles applicables aux futurs mariés de nationalité française, la solution diffère concernant les mariages internationaux. Loin d’être anecdotiques, ces mariages représentaient, en 2015, 14 % des mariages célébrés en France. Même sans actualisation récente de l’INSEE, il est raisonnable de penser que ce chiffre a vocation à augmenter au fil des ans, sauf à subir un confinement éternel ! Ces mariages teintés d’extranéité suscitent des interrogations infinies parmi les spécialistes du droit international, notamment sur la reconnaissance des mariages de personnes majeures dans leur État d’origine et des mineures en France. À ce titre, notre Code civil précise que les qualités et conditions personnelles (âge, consentement des tiers, délai de viduité) requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle. Ainsi, le mariage d’un Français et d’une personne de moins de 18 ans considérée comme majeure dans son pays d’origine pourra valablement

Partager l'article


0 Commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Abonnez-vous à la Newsletter !

Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.