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La notion d’artiste
interpelle régulièrement les professionnels du
marché de l’art sur le plan fiscal. En effet, elle détermine non seulement
l’application du taux réduit de TVA, mais aussi le régime de la marge pour les revendeurs d’œuvres d’art telles que les
galeries.
Si cette notion d’artiste ne pose pas de difficulté
particulière quand celui-ci vend ses œuvres sous son nom propre en tant
qu’entrepreneur individuel, cela devient plus complexe lorsque l’artiste vend
ses propres œuvres via une société à laquelle il a apporté l’ensemble de ses
droits patrimoniaux.
La question est de savoir si ces sociétés peuvent
bénéficier fiscalement du régime fiscal de faveur applicable aux artistes ou à
leurs ayants droit.
Après beaucoup d’hésitations de la part des tribunaux ces
vingt dernières années, à l’aube de 2021, le juge de l’impôt offre enfin aux professionnels du
marché de l’art la sécurisation attendue.
Sauf
s’ils bénéficient de la franchise en base1, les auteurs des œuvres
de l’esprit qui agissent à titre indépendant doivent soumettre à la TVA les
ventes de leurs œuvres2. Leurs ayants droit sont également
redevables de la TVA, de même que les conjoints survivants d’auteurs,
bénéficiaires de l’usufruit du droit d’exploitation.
En
principe, c’est le taux normal de la TVA qui s’applique, soit 20 %3.
Toutefois, le législateur fiscal4 prévoit, à titre dérogatoire, une
liste d’opérations pour lesquelles c’est le taux réduit de 5,5 % qui
s’ajoute au prix de l’œuvre hors taxe. Parmi ces opérations figurent les ventes
d’œuvres d’art effectuées par leur auteur ou ses ayants droit5.
Cet
avantage se veut être une mesure de soutien aux artistes qui vendent
directement leurs œuvres sans passer par un intermédiaire.
S’agissant des intermédiaires (dits
« assujettis-revendeurs » en droit fiscal), ceux-ci sont soumis au
taux de TVA à 20 % et bénéficient d’un régime fiscal dit « régime de
la marge ». Dans certains cas, ce régime est de droit, et dans d’autres,
il est sur option. L’option pour la marge s’applique lorsque le revendeur
revend une œuvre acquise soit sans TVA soit avec une TVA au taux réduit.
Précisons
en effet que le régime de la marge se justifie par le fait que
l’assujetti-revendeur qui facture une œuvre avec un taux normal de TVA à
20 %, voit sa TVA déductible limitée à 5,5 % s’il acquiert l’œuvre
directement à un artiste.
La
question se pose de savoir si ces dispositions de faveur qui s’appliquent aux
auteurs ou à leurs ayants droit peuvent bénéficier à une personne morale.
Même
si le principe d’autonomie du droit fiscal conduit à ne pas forcément tenir
compte des situations juridiques définies par les autres branches du droit, il
n’est pas inutile d’observer la position du droit de la propriété
intellectuelle en la matière.
Aucune définition précise n’est donnée, mais l’article L. 111-1 du
Code de la propriété intellectuelle prévoit que l’auteur est le créateur de
l’œuvre puisque le droit nait du seul fait de la création.
L’auteur et le créateur sont une même personne, en
revanche, une personne morale « n’étant
qu’une entité créée par le Droit et non un être de chair, ne saurait, à
proprement parler, créer une œuvre de l’esprit6 ».
Ainsi,
si la personne morale peut être investie des droits patrimoniaux, ce sera à la
suite d’une cession faite par leur auteur personne physique ou par l’effet de
la loi dans le cadre d’une œuvre collective et non en qualité de créateur.
S’agissant du juge de l’impôt, celui-ci a toujours
implicitement refusé la qualité d’auteur à une personne morale.
Cependant, à défaut d’avoir la qualité d’auteur, les
juridictions compétentes se sont interrogées sur une possible assimilation à
son ayant droit, ce qui justifierait alors l’application du taux réduit de TVA.
Dans un premier temps, la cour administrative d’appel de
Lyon7, dans un arrêt du 28 décembre 2006, a refusé la qualité
d’ayant droit à une société ayant pour objet le négoce des œuvres et la gestion
des droits de propriété artistique d’un artiste.
Selon les juges, le seul fait qu’une personne physique ou
morale détienne un droit patrimonial sur tout ou partie des œuvres d’un auteur
ne suffit pas à lui conférer la qualité d’ayant droit de celui-ci. Dans ces
conditions, le taux réduit de TVA applicable aux livraisons d’œuvres d’art
effectuées par leur auteur ou ses ayants droit ne peut s’appliquer.
Sept ans plus tard8, les juges du tribunal
administratif de Paris refusent toujours la qualité d’ayant droit à une société
d’artiste. Néanmoins, ils n’en tirent pas les mêmes conséquences puisqu’ils
étendent le bénéfice du taux réduit à cette dernière, considérant qu’agissant
en son nom propre mais pour le compte de l’auteur des œuvres, elle peut donc
bénéficier du même régime de faveur que l’artiste.
Dans un dernier jugement en date du 25 novembre 2020, le
tribunal administratif de Paris9 revient sur sa position et s’appuie
cette fois-ci sur les dispositions des articles 103 et 316 de la directive
2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de la Taxe sur la
valeur ajoutée.
Au regard de ce texte fondateur, le tribunal se prononce
tant sur la notion d’auteur que sur celle d’ayant droit, pour en tirer les
applications fiscales en matière de TVA.
Les « auteurs » d’ « objets d’art » s’entendent, en
principe, des seules personnes physiques à l’exclusion des personnes morales
qui les vendent, et ce, même si les auteurs en sont associés et que ces
personnes morales ont pour objet la création artistique.
Les « ayants droit » des auteurs s’entendent exclusivement des personnes physiques qui en sont les héritiers ou les légataires.
Par conséquent, des œuvres d’art qui
sont vendues par une société dont l’auteur est associé doivent être regardées
comme ayant été affectées aux besoins de cette société en vue de leur revente,
quelles que soient les modalités d’acquisition de ces œuvres, dès lors que la
société a pour objectif principal, ou au moins secondaire, de les revendre.
Elles agissent donc comme des assujettis-revendeurs.
La vente faite par la société
d’artiste ne peut donc pas être assujettie à la TVA au taux de 5,5 %.
Et les assujettis-revendeurs (galeries, marchands d’art…) ne peuvent opter pour
le régime de la TVA sur la marge aux reventes d’œuvres d’art acquises à des
sociétés d’artiste.
1) Art. 293 B, CGI.
2) Art. 256 et 256 A,
CGI.
3) Art. 278, CGI.
4) Art. 278 – 0 Bis,
CGI.
5) Art. 278-0 bis, I,
3°, CGI.
6) A. Francon, Cours
de propriété littéraire, artistique et industrielle, Litec, 1999, p. 188.
7) CAA Lyon, 28 déc.
2006 SARL François Brochet n° 04-85-2 ch.
8) TA Paris 2e sect,
2e ch 18 févr. 2013 EURL Studio infini, n° 1114235.
9) TA Paris, 25 nov.
2020 Sté Galerie Karsten Greve, n° 1812825.
Ophélie Dantil,
Avocat spécialiste en droit fiscal
Membre de l’institut Art & Droit
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