Une société d’artistes : auteur ou ayant droit ?


jeudi 14 avril 20225 min
Écouter l'article

La notion d’artiste interpelle régulièrement les professionnels du marché de l’art sur le plan fiscal. En effet, elle détermine non seulement l’application du taux réduit de TVA, mais aussi le régime de la marge pour les revendeurs d’œuvres d’art telles que les galeries.

Si cette notion d’artiste ne pose pas de difficulté particulière quand celui-ci vend ses œuvres sous son nom propre en tant qu’entrepreneur individuel, cela devient plus complexe lorsque l’artiste vend ses propres œuvres via une société à laquelle il a apporté l’ensemble de ses droits patrimoniaux.

La question est de savoir si ces sociétés peuvent bénéficier fiscalement du régime fiscal de faveur applicable aux artistes ou à leurs ayants droit.

Après beaucoup d’hésitations de la part des tribunaux ces vingt dernières années, à l’aube de 2021, le juge de l’impôt offre enfin aux professionnels du marché de l’art la sécurisation attendue.

 

 

Règles de la TVA applicables aux ventes d’œuvres par les artistes

Sauf s’ils bénéficient de la franchise en base1, les auteurs des œuvres de l’esprit qui agissent à titre indépendant doivent soumettre à la TVA les ventes de leurs œuvres2. Leurs ayants droit sont également redevables de la TVA, de même que les conjoints survivants d’auteurs, bénéficiaires de l’usufruit du droit d’exploitation.

En principe, c’est le taux normal de la TVA qui s’applique, soit 20 %3. Toutefois, le législateur fiscalprévoit, à titre dérogatoire, une liste d’opérations pour lesquelles c’est le taux réduit de 5,5 % qui s’ajoute au prix de l’œuvre hors taxe. Parmi ces opérations figurent les ventes d’œuvres d’art effectuées par leur auteur ou ses ayants droit5.

Cet avantage se veut être une mesure de soutien aux artistes qui vendent directement leurs œuvres sans passer par un intermédiaire.

S’agissant des intermédiaires (dits « assujettis-revendeurs » en droit fiscal), ceux-ci sont soumis au taux de TVA à 20 % et bénéficient d’un régime fiscal dit « régime de la marge ». Dans certains cas, ce régime est de droit, et dans d’autres, il est sur option. L’option pour la marge s’applique lorsque le revendeur revend une œuvre acquise soit sans TVA soit avec une TVA au taux réduit.

Précisons en effet que le régime de la marge se justifie par le fait que l’assujetti-revendeur qui facture une œuvre avec un taux normal de TVA à 20 %, voit sa TVA déductible limitée à 5,5 % s’il acquiert l’œuvre directement à un artiste.

La question se pose de savoir si ces dispositions de faveur qui s’appliquent aux auteurs ou à leurs ayants droit peuvent bénéficier à une personne morale.

 

 

Une personne morale ne peut être qualifiée ni d’artiste auteur ni d’ayant droit de celui-ci

Même si le principe d’autonomie du droit fiscal conduit à ne pas forcément tenir compte des situations juridiques définies par les autres branches du droit, il n’est pas inutile d’observer la position du droit de la propriété intellectuelle en la matière.

Aucune définition précise n’est donnée, mais l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que l’auteur est le créateur de l’œuvre puisque le droit nait du seul fait de la création.

L’auteur et le créateur sont une même personne, en revanche, une personne morale « n’étant qu’une entité créée par le Droit et non un être de chair, ne saurait, à proprement parler, créer une œuvre de l’esprit6 ».

Ainsi, si la personne morale peut être investie des droits patrimoniaux, ce sera à la suite d’une cession faite par leur auteur personne physique ou par l’effet de la loi dans le cadre d’une œuvre collective et non en qualité de créateur.

S’agissant du juge de l’impôt, celui-ci a toujours implicitement refusé la qualité d’auteur à une personne morale.

Cependant, à défaut d’avoir la qualité d’auteur, les juridictions compétentes se sont interrogées sur une possible assimilation à son ayant droit, ce qui justifierait alors l’application du taux réduit de TVA.

Dans un premier temps, la cour administrative d’appel de Lyon7, dans un arrêt du 28 décembre 2006, a refusé la qualité d’ayant droit à une société ayant pour objet le négoce des œuvres et la gestion des droits de propriété artistique d’un artiste.

Selon les juges, le seul fait qu’une personne physique ou morale détienne un droit patrimonial sur tout ou partie des œuvres d’un auteur ne suffit pas à lui conférer la qualité d’ayant droit de celui-ci. Dans ces conditions, le taux réduit de TVA applicable aux livraisons d’œuvres d’art effectuées par leur auteur ou ses ayants droit ne peut s’appliquer.

Sept ans plus tard8, les juges du tribunal administratif de Paris refusent toujours la qualité d’ayant droit à une société d’artiste. Néanmoins, ils n’en tirent pas les mêmes conséquences puisqu’ils étendent le bénéfice du taux réduit à cette dernière, considérant qu’agissant en son nom propre mais pour le compte de l’auteur des œuvres, elle peut donc bénéficier du même régime de faveur que l’artiste.

Dans un dernier jugement en date du 25 novembre 2020, le tribunal administratif de Parisrevient sur sa position et s’appuie cette fois-ci sur les dispositions des articles 103 et 316 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de la Taxe sur la valeur ajoutée.

Au regard de ce texte fondateur, le tribunal se prononce tant sur la notion d’auteur que sur celle d’ayant droit, pour en tirer les applications fiscales en matière de TVA.

Les « auteurs » d’ « objets d’art » s’entendent, en principe, des seules personnes physiques à l’exclusion des personnes morales qui les vendent, et ce, même si les auteurs en sont associés et que ces personnes morales ont pour objet la création artistique.

Les « ayants droit » des auteurs sentendent exclusivement des personnes physiques qui en sont les héritiers ou les légataires.

Par conséquent, des œuvres d’art qui sont vendues par une société dont l’auteur est associé doivent être regardées comme ayant été affectées aux besoins de cette société en vue de leur revente, quelles que soient les modalités d’acquisition de ces œuvres, dès lors que la société a pour objectif principal, ou au moins secondaire, de les revendre. Elles agissent donc comme des assujettis-revendeurs.

La vente faite par la société d’artiste ne peut donc pas être assujettie à la TVA au taux de 5,5 %. Et les assujettis-revendeurs (galeries, marchands d’art…) ne peuvent opter pour le régime de la TVA sur la marge aux reventes d’œuvres d’art acquises à des sociétés d’artiste.

 



1) Art. 293 B, CGI.

2) Art. 256 et 256 A, CGI.

3) Art. 278, CGI.

4) Art. 278 – 0 Bis, CGI.

5) Art. 278-0 bis, I, 3°, CGI.

6) A. Francon, Cours de propriété littéraire, artistique et industrielle, Litec, 1999, p. 188.

7) CAA Lyon, 28 déc. 2006 SARL François Brochet n° 04-85-2 ch.

8) TA Paris 2e sect, 2e ch 18 févr. 2013 EURL Studio infini, n° 1114235.

9) TA Paris, 25 nov. 2020 Sté Galerie Karsten Greve, n° 1812825.

 

Ophélie Dantil,

Avocat spécialiste en droit fiscal

Membre de l’institut Art & Droit

 

Partager l'article


0 Commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Abonnez-vous à la Newsletter !

Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.