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L’Association
Europe-Finances-Régulations est née le 26 mai 2021 de la fusion de l’Institut
européen de la régulation financière (EIFR) et de l’Association d’économie
financière (AEF) connue pour sa Revue d’économie financière publiée depuis
30 ans. Ce think tank élabore des propositions sur la régulation et
l’organisation des marchés financiers. Le 10 février 2022, il a consacré une
visioconférence au statut de prestataire européen de service de financement
participatif pour les entrepreneurs (PSFPE). Régulateurs,
opérateurs et partenaires de la profession ont exprimé leurs
remarques sur l’évolution du métier.
Les plateformes
de financement participatif
(crowdfunding), soutiennent des projets sous forme de souscription de titres
(crowdequity) ou de prêts (crowdlending).
Elles répondent aux attente s des épargnants en quête de sens pour leurs
investissements non cotés. Ce mouvement en expansion a levé plus d’un milliard
d’euros en 2021 permettant l’essor de centaine d’activités. Loin d’être un
phénomène de mode, il s’est installé durablement comme un cheminement
complémentaire à la voie classique. Au sein de l’environnement européen, la
France connaît une forte croissance dans ce secteur. Afin de renforcer la
confiance des investisseurs, l’association Financement participatif France
(FPF) met en place des échanges de bonnes pratiques et des formations. Le
10 novembre 2021, est entré en application le Règlement (UE) 2020/1503 du
Parlement européen et du Conseil, relatif aux prestataires européens de
services de financement participatif pour les entrepreneurs (PSFPE). La
question de l’interprétation de « crowdfunding for business »
en notion d’activité commerciale dans le financement participatif, a été
soulevée. Car un problème survient dans nombre de projets portés par des associations
à but non lucratif ou par les collectivités territoriales lorsque lesdits
projets n’englobent pas une activité commerciale. La Commission européenne a
répondu par le biais de l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) que
les cas qui génèrent un profit économique (monétaire ou non) pour le porteur de
projet, voire les membres de sa communauté, entrent dans le cadre du règlement.
Il semble donc que tout prêt à titre onéreux soit inclus dans le périmètre. Les
professionnels du secteur doivent faire le nécessaire pour obtenir leur
agrément avant le 10 novembre 2022. Le nouveau cadre remplace en France les
régimes précédents de conseiller en investissements participatifs (CIP) et
d’intermédiaires en financement participatif (IFP). Le texte supranational a
pour ambition de favoriser la croissance du financement participatif dans un
environnement harmonisé. Toutefois le passage au statut de PSFPE soulève des
questions chez les intermédiaires, les investisseurs et les récipiendaires des
financements. Pour les plateformes, y a-t-il des lourdeurs associées à cette
transition ? Le système augure-t-il des dommages collatéraux ? La
protection du consommateur sera-t-elle améliorée ? Ce règlement est en
cours de transposition en droit national.
Pour Éric Lacourte de la direction de la gestion
d’actifs, agréments et suivi de l’Autorité des marchés financiers (AMF), le
règlement adopté par les 27 nécessite
l’harmonisation des régulateurs nationaux. L’heure est à la discussion et à l’homogénéisation.
Dans le cas de la France, deux autorités vont intervenir : l’AMF est désignée comme
l’autorité française compétente et va coopérer
avec l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) pour
l’instruction de certains dossiers. Un progiciel d’interface avec les
prestataires régulés, dénommé ROSA, est déployé depuis un an pour les sociétés
de gestion, et maintenant pour les prestataires de financement participatifs
(PSFP). Il sera bientôt accessible aux autres prestataires de services
d’investissement. Ce portail informatique promet de faciliter les échanges
grâce à un extranet à la disposition de chaque praticien. Les choses se mettent
en place et l’année 2022?sera très structurante pour les conseils en
investissement participatif (CIP) et les intermédiaires en investissement
participatif (IFP) qui vont demander le statut de PSFP pour poursuivre leurs
activités.
Le règlement européen appelle de multiples textes
délégués (RTS : regulatory technical standards) pour être appliqué.
Le secteur attend après leur rédaction par l’ESMA. Les CIP étaient jusqu’à présent
enregistrés auprès de l’organisme pour le registre unique des intermédiaires en
assurance, banque et finance (ORIAS) et suivis par l’AMF. Les IFP, de leur
côté, étaient supervisés par l’ACPR. Dorénavant, le régime européen vient en
extinction des régimes nationaux antérieurs. En conséquence, à compter du
10 novembre 2022, il faudra un agrément de PSFP pour exercer une activité de
financement participatif, en matière de prêts comme de titres. Redisons-le, les
anciens régimes nationaux prennent fin le 10 novembre 2022 à l’exception, pour
les IFP, des prêts sans intérêts et des dons. Pour tout le reste, le régime déployé se substitue aux
précédents. Les entités non agréées PSFP ne pourront plus, à cette date,
diligenter de financement participatif. Il n’y a pas d’information à ce stade
sur une prolongation de la période transitoire. Il revient aux demandeurs
d’agrément de s’organiser pour déposer leur dossier suffisamment tôt au collège
de l’AMF s’ils désirent une réponse avant novembre 2022.
Dans les textes nationaux, l’AMF a été désignée autorité
d’agrément, de contrôle, de sanction et éventuellement de retrait d’agrément. Néanmoins, il est convenu qu’elle travaille avec l’ACPR pour
l’instruction des dossiers qui comportent un aspect de facilitation d’octroi de
prêt. Un demandeur adressera toujours son dossier à l’AMF,
mais ensuite, en fonction de ses prestations, le traitement dépendra soit de
cette autorité, soit de l’ACPR, soit des deux s’il s’agit d’un opérateur aux
missions mixtes. Dans tous les cas, une sanction ou un retrait d’agrément sera nécessairement examiné par le collège de l’AMF. Selon la répartition de
ses activités de financement participatif, un acteur pourra donc être suivi par
l’AMF uniquement, ou bien principalement et conjointement par l’ACPR.
Dans le nouveau règlement, le montant des offres change. La plateforme doit être à même d’engager des projets inférieurs à 5 millions d’euros sur 12 mois. Ce montant a été revu par rapport à la précédente réglementation pour une raison d’harmonisation européenne. Le plafond va donc jusqu’à cinq millions d’euros pour le financement par prêt comme pour celui par titres (jusqu’à présent, c’était huit millions pour le régime CIP). La limite fixée est supérieure à la précédente pour les IFP, c’est un encouragement. Elle est inférieure pour les CIP, c’est une régression. Les futurs projets dans une fourchette de cinq à huit millions comme ceux qui ont pu s’épanouir avec le régime précédent devront s’orienter vers d’autres solutions. Les investisseurs ne sont pas limités dans leurs investissements.
Pour tout postulant qui espère une réponse avant le
10 novembre 2022, il est souhaitable de déposer sa demande avant fin juin – début
juillet, au plus tard. En effet, avec un dossier complet, l’AMF
compte trois mois réglementaires de délai pour se prononcer. Par sécurité, il
est bien sûr recommandé d’anticiper si possible. Le recours à un conseil en amont
peut faire gagner un temps précieux. L’AMF estime devoir se pencher sur 100 à 150 demandes
d’agrément à contrôler avant le mois de novembre. Dans le processus, le dossier
est normé. Tous les documents requis sont listés à l’article 12 du règlement
européen UE 2020/ 1503. Il faut y adjoindre le template de l’ESMA ou, le cas
échéant, le formulaire standardisé de l’AMF. Complet, ce récapitulatif permet
au régulateur de considérer très clairement l’ensemble des items et
obligations. Il reprend toutes les exigences réglementaires imposées et aide à
les trouver rapidement dans la masse d’informations fournies. Une fois les
documents reçus sur la plateforme de l’AMF, celle-ci vérifie qu’ils soient
complets sous 25 jours ouvrables. Suite à quoi, l’instruction dure trois mois
et se conclut par l’octroi ou le refus d’agrément.
Anaëlle Tubiana travaille pour
l’association Financement participatif France. Cette association
professionnelle de plateformes de crowdfunding représente pour partie
l’écosystème du financement participatif en France. Créée en 2012 pour demander
un cadre réglementaire national à l’activité, la FPF compte 150 membres
répartis en sept collèges, dont 70 plateformes de crowdfunding représentant à
peu près 90 %
du marché français. FPF propose à ses membres une synthèse du règlement
européen, un comparatif des statuts IFP, CIP et PSFP, un accompagnement à
travers la nouvelle réglementation, des réunions d’échanges mensuelles, une
hotline juridique, des formations pratiques notamment sur l’agrément.
L’association prévoit enfin en septembre 2022 un événement européen, « the
place to crowd » dont l’objectif
est de positionner Paris au centre du financement participatif en Europe.
Anaëlle Tubiana souligne quelques
points importants. Le régime CIP/IFP ne permettait pas d’additionner les
statuts, ce qui sera désormais autorisé. Cependant, le cumul des statuts
prestataire de services d’investissement (PSI) et PSFP interroge. Aujourd’hui,
un PSI non agréé CIP peut proposer des activités de crowdfunding. Avec le
statut PSFP, pour pouvoir proposer des services de crowfunding, il faut être
agréé et donc évidemment satisfaire aux critères. Les plateformes PSI ne
pourront pas proposer de crowfunding sans être PSFP. C’est une difficulté.
Elles devront se limiter au seuil de cinq millions d’euros. Par ailleurs, elles
subiront la contrainte de se soumettre à deux agréments distincts. Les
plateformes françaises majeures qui ont le statut PSI pourraient bien choisir
d’éviter de demander celui de PSFP pour se consacrer au placement privé, et en
conséquence, stopper leurs activités de crowdfunding. Si le règlement européen
débouche sur un panorama prometteur, il pourrait bien simultanément favoriser
la mutation profonde du secteur.
Par ailleurs, une possibilité de passeports
européens est ouverte. Ce passeport permet, pour une même personne morale, de
fournir des services de financement participatif dans les pays visés par
l’autorité d’origine. Cette procédure simple facilite à ses bénéficiaires l’élargissement de leur prospection dans les pays européens. Mais si ce
passeport laisse envisager des développements sur la scène internationale,
toutefois, à l’échelle nationale, peu de professionnels affichent ce type de
velléités pour l’heure.
Le règlement européen distingue les
investisseurs avertis des non avertis. La première étape d’une plateforme est
de prendre des informations et les coordonnées des clients afin de les
catégoriser entre avertis et non avertis. Les critères rationnalisant ce
classement sont énumérés dans l’annexe II du règlement. L’averti n’a pas de
pertes. Le non averti sera soumis à un test de connaissances renouvelable tous
les deux ans. Sa capacité à subir des pertes sera simulée tous les ans. Selon
les résultats du test, des avertissements pourront être émis auprès de
l’investisseur qui devra les accepter de façon expresse. Il faudra également émettre
un avertissement sur les risques en cas d’investissement supérieur à 1 000 euros ou 5 % du patrimoine net. Le non averti dispose
enfin d’un droit de rétraction inconditionnel pendant quatre jours. Ce délai
est une innovation. Jusqu’à présent, s’appliquait le Code de la consommation
qui permet généralement à tout client de faire marche arrière, mais dans le
cadre de l’activité crowdfunding, cette précision de durée n’était pas
formulée. Les quatre jours pour les investisseurs non avertis changent les
processus antérieurs des plateformes.
Le key investment information sheet
(KIIS) est un document d’information au contenu normé (annexe I et article 23 du règlement)
d’environ six pages. Il ne faut pas de visa ou d’autorisation préalable pour sa
publication. Son contenu est sous la responsabilité du porteur du projet,
néanmoins, la plateforme est tenue d’en vérifier l’exhaustivité, l’exactitude
et la clarté. L’autorité d’agrément peut exiger la communication d’un KIIS sept
jours avant sa publication. S’agissant de la langue, tous les documents sur une
offre publiés dans notre pays devront être uniquement en français. L’investisseur
étranger qui s’adresse à une plateforme qui commercialise en France pourra
demander la traduction du KIIS. La plateforme peut le refuser, mais elle doit
alors conseiller à l’investisseur de ne pas investir.
Dans le règlement, la définition des
conflits d’intérêts met à l’index des business models en contradiction
notamment avec son article?8.2. Plusieurs plateformes financent des projets de
leur société mère, ce que le règlement européen prohibe complètement. D’autres
utilisent des véhicules intermédiaires dont elles sont actionnaires parfois à
100 %
pour faire transiter les fonds. Or la définition des conflits d’intérêts
indique clairement que la plateforme ne doit pas être actionnaire à plus de 20 % des projets qu’elle porte. En
conséquence, de nombreuses plateformes vont devoir changer sauf à ne plus
pouvoir exercer du tout. C’est le dilemme de Matthew Mellin, directeur général
de la plateforme Akuocoop. Son modèle est remis en cause par le texte européen.
Akuocoop est la plateforme participative du groupe Akuo, producteur d’énergie
renouvelable indépendant. Cette société française mène des opérations dans une
quinzaine de pays à travers le monde, employant environ 35 personnes. Akuo
a créé sa propre plateforme depuis cinq ans pour
permettre aux citoyens de s’impliquer
dans ses innovations énergétiques vertueuses. Sous le statut de CIP, elle
propose un circuit court d’investissement
dans ses
projets sans intermédiaire. 5 000 membres
ont permis de lever presque 12 millions d’euros pour financer 17 chantiers. À propos du conflit d’intérêts, la société a
dès le départ mis en place un comité indépendant de sélection des projets.
Éolien, hydro, solaire, tous types de technologie ont été financés dans des
proportions allant de 200 000à
7 millions d’euros. Tous les dossiers sont issus du groupe Akuo. Rappelons que
les autorités ont déployé des dispositifs incitatifs pour favoriser la
participation du public au développement de la transition énergétique. Pour
Jean-Baptiste Vayleux, directeur général de Lymo, pionnier français du
crowdfunding immobilier, le problème est similaire. Lymo s’est formé à partir
d’une équipe de quatre promoteurs immobiliers. Leur intention était, pour leurs
propres besoins de promotion immobilière, de récolter des fonds auprès des
banques et des particuliers. Le groupe a deux visages, celui de l’immobilier et
celui du financement participatif. Sa plateforme de crowfunding subvient
jusqu’à présent uniquement à ses propres opérations. Environ 500 logements ont été
construits depuis la création en 2013 (dont 130 en 2021). La base
d’investisseurs est forte de 25 000membres.
Lymo apparaît
comme l’archétype du modèle intégré dans lequel le promoteur se fait financer
par une plateforme internalisée. Or, la réglementation porte un coup d’arrêt au
modèle. Elle interdit à la plateforme de financer des projets de sa maison mère
(propriétaire à 90 %),
comme d’un actionnaire qui la détiendrait à plus de 20 %. L’agrément européen intervient comme un
défi. Aujourd’hui, deux sujets sont en cours de réflexion dans cette
entreprise. Premièrement, Lymo devra trouver des fonds d’une autre source.
Deuxièmement, la plateforme n’aura probablement plus Lymo comme client et devra
en démarcher d’autres. La nouvelle version de la plateforme lèvera donc des
fonds pour d’autres opérateurs immobiliers indépendants de Lymo, c’est-à-dire
des concurrents !
Enfin, deux services font leur
apparition : la gestion individuelle de portefeuille de prêts pour le
compte d’investisseurs qui fait l’objet d’exigences additionnelles pour obtenir
l’agrément ; et la possibilité de faire des propositions au marché
secondaire, sous la forme d’un tableau d’affichage. Il permet sur ce marché
secondaire de manifester une intention de rachat ou de vente de valeurs
mobilières ou de prêts. Par certains côtés, le règlement européen ouvre des
perspectives, quand par d’autres, le challenge inquiète un peu. Le traitement
uniforme des prêts et des titres financiers par exemple donne des possibilités
aux plateformes IFP. Elles se retrouvent au même niveau que les plateformes de
fonds d’investissement. Les seuils réglementaires sautent et les plateformes
IFP peuvent faire intervenir des personnes morales aux prêts. La différence de
régime fondée sur le statut de réception-transmission d’ordres (RTO) et non
plus sur celui de conseil va modifier les obligations des plateformes et leur
relation à la clientèle.
La gestion individuelle de portefeuilles de prêts, antérieurement impossible en
France, libère le placement des plateformes pour leurs clients.
Certains points d’achoppement du
règlement posent question. Le fait que le statut soit obligatoire plutôt
qu’optionnel, volonté du conseil de l’Europe, ne correspond pas aux attentes
des membres de la FPF. Beaucoup souhaitaient garder leur statut national. Le caractère
obligatoire s’impose à toute plateforme, quels que soient sa taille et ses
enjeux. Il harmonise mais force chacun à s’adapter, y compris l’acteur qui
n’est pas intéressé.
C2M
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