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Après le temps des auditions est venu celui de l’examen du PLF par la commission de la défense nationale et des forces armées. Europe, mer Rouge, Moyen-Orient, … Les menaces se radicalisent, et les tensions en cours relancent la course à l’armement. Finalement, cette décennie n’affiche pas une succession, mais une accumulation de crises depuis la covid, première révélatrice de nos fragilités et de nos dépendances.
Très vite, le combat de haute intensité en Ukraine s’est métamorphosé, passant du modèle de 1914 à celui d’aujourd’hui. Au commencement du conflit, en 2022, l’artillerie faisait le plus d’attrition. Désormais, les drones de type MTO (munitions téléopérées) en totalisent 90 %. Les assauts se mènent dans l’espace, sous les mers et dans les champs informationnels.
Aux premiers jours, pendant que les Russes hasardaient leur invasion, ils diffusaient une infox, appelant les Ukrainiens à déposer les armes. Le procédé est devenu commun. Désormais, toute opération est accompagnée de désinformations, de cyberattaques, de manipulations cognitives.
Chaque périmètre de conflictualité est bon à investir pour affaiblir sa cible ou la déstabiliser. Les survols sauvages de drones ou les sabotages en fournissent des illustrations. La guerre hybride cherche à neutraliser les infrastructures de l’adversaire : source d’énergie, système de santé, accès à l’argent, etc.
Emmanuel Chiva, délégué général à l’armement, a exposé au cercle Turgot une partie des défis que la DGA doit relever. Le délégué rappelle que la DGA, la direction générale à l’armement, a été créée en 1961 par le général de Gaulle pour assurer à la France son autonomie stratégique, en développant sa base industrielle de défense et ses capacités de dissuasion nucléaire. Les moyens de dissuasion nucléaire font l’objet de renouvellements périodiques. Les armes évoluent en même temps que leurs vecteurs : sous-marins, missiles, avions, etc.
La loi de programmation militaire atteint un montant inégalé depuis la fin de la guerre froide. Pour l’économie de guerre (ou l’effort de défense) l’État compte mobiliser 44 milliards d’euros que la DGA pourra engager cette année. C’était environ 17 milliards d’euros en 2024. « Depuis 5 ans, les missions de la DGA ont augmenté de 50 %. Aujourd’hui, elle gère environ 200 programmes et opérations d’armement. Les effectifs ont bien augmenté de 10 %, mais ça reste insuffisant. », souligne Emmanuel Chiva.
La DGA rassemble 10 600 personnes, à 80 % des militaires. Parallèlement, la BITD, base industrielle et technologique de défense, distingue 4 500 entreprises. Les plus connues s’appellent Safran, Thalès, ou encore Naval Group. 1 200 à 1 300 d’entre elles sont critiques et bénéficient d’une protection redoublée. Dispersée sur l’ensemble du territoire, la BITD fournit 220 000 emplois souvent très spécialisés, et totalement non délocalisables. Ce tissu industriel est hypertrophié pour répondre aux obligations d’autonomie stratégique. Pour être viable, il doit exporter – 21 milliards d’euros en 2024 – parce que le marché français n’achète pas assez pour assurer sa survie. Ces entreprises se caractérisent par leur activité duale, civile et militaire.
Le travail de la DGA permet de préserver depuis bientôt 65 ans ce secteur économique stratégique. Pendant longtemps, l’économie de défense ne s’est pas trouvée en situation d’urgence et le stockage paraissait superflu. Elle visait la performance. Les coopérations, parfois étrangères, entre bureaux d’études disposaient de temps pour imaginer des systèmes en quête d’excellence.
Ce fonctionnement a entrainé une dispersion des usinages sur différents sites et des livraisons lentes. En période de réarmement, ce délai présente deux défauts. D’une part, il fait perdre des marchés à l’export, et d’autre part, il freine la production de masse. Pour le délégué : « Le paradigme s’est retourné. La DGA doit maintenant réorganiser la BITD pour accélérer la production, stocker, et construire aussi à bas coût. »
L’innovation, en matière d’armement, comporte à la fois le court terme et le long terme. À court terme, l’architecture d’un équipement doit répondre aux injonctions contemporaines et, à long terme, elle doit anticiper l’incorporation de technologies qui ne sont pas encore découvertes. « Par exemple, si vous mettez un porte-avions à la mer en 2036, il va naviguer jusqu’en 2090. En cinq décennies, il subira une multitude d’améliorations et devra être en capacité d’intégrer toutes les nouveautés présentement inconnues. Ce n’est pas simple comme exercice », explique Emmanuel Chiva.
L’armement moderne se compose de puissants équipements sophistiqués et d’une masse de petites unités bon marché, mobiles. L’innovation et le bas coût ne sont pas antinomiques. La conjoncture pousse à aller vers la production en grande quantité d’armes très performantes, déjà « calculées », sans perdre de temps à les améliorer. Les commandes sollicitent donc l’industrie civile, notamment automobile, avec la rapidité pour impératif de fabrication. « Effectivement, les délais et les volumes ont changé », constate le délégué.
« Dans la conception d’une arme, plus il y a de prescriptions et plus les possibilités sont réduites et les procédures allongées. S’agissant des chaines de fabrication, il faut en chasser les goulots d’étranglement pour optimiser la vitesse de production. » Le manque de main d’œuvre, de matériel, de matières premières ou de composants constituent des freins.
Par ailleurs, se pose aussi la question de la dépendance. Par exemple, si la Chine refuse au secteur de la défense l‘accès à ses terres rares, comment construire des moteurs électriques pour drone ?

A contario, le contexte a changé pour le financement de l’industrie des armes qui séduisait peu auparavant. Aujourd’hui, ce marché est devenu porteur. Sur ce point, Emmanuel Chiva « récuse le terme de financement patriotique. Est-ce qu’il y a des fonds patriotiques ? Il n’y en a pas. Mais ceux qui sont là, c’est un marché, tant mieux. Parfait, on va s’en servir ». Le club des investisseurs de défense, créé en juin 2025, regroupe maintenant 80 fonds. De plus, la DGA gère deux fonds d’investissements pour les entreprises de défense qu’elle encourage à se diversifier, et pour celles dont l’activité primaire appartient à un autre secteur économique, par exemple le quantique, l’IA, l’énergie, les communications, le spatial.
Le chef de l’État déclarait dans son discours aux armées le 13 juillet dernier : « Pour être libres dans ce monde, il faut être craints, pour être craints, il faut être puissants. » Actuellement sur le continent, il n’existe pas plus de base industrielle de défense que d’armée européenne. Individuellement, la France dispose d’une BITD comme l’Italie, l’Allemagne, la Suède ou la Norvège, etc. Quant aux nations qui n’en ont pas, elles comptent sur leurs alliés, en particulier les Américains. Mais, ils se sont désengagés. Le temps est donc venu pour nous Européens de « prendre en main notre propre destin d’un point de vue notamment industriel et capacitaire », en déduit Emmanuel Chiva.
De nouveaux partenariats stratégiques apparaissent donc. Une base industrielle technique de défense européenne émerge. Les directeurs d’armements nationaux se sont réunis à l’invitation de la DGA en mai dernier pour dresser un inventaire de tout ce que chacun a comme moyens et comme besoins. Les chefs d’état-major des armées vont faire de même. Le but est de déterminer qui fabrique (éventuellement sous licence) et où acheter dans les meilleurs délais.
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