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Avocat de combat, figure de l’Etat de droit, Robert Badinter est entré au Panthéon, vendredi 9 octobre, 44 ans jour pour jour après l’abolition de la peine de mort, dont il a été l’artisan. Dans la foule qui s’est pressée rue Soufflot, le monde du droit est venu en nombre dire son admiration et sa reconnaissance. Récit d’une cérémonie historique à travers les yeux d’un ancien garde des Sceaux, d’un avocat, d’une étudiante en droit et d’une libraire.
Dès le milieu d’après-midi, la rue Soufflot est noire de monde. Derniers ajustements : les instruments de la Garde nationale sont accordés, le staff présidentiel presse les spectateurs et les escorte jusqu’aux tribunes, les invités de marque saluent les badauds et répondent aux questions des journalistes, des étudiants et des enseignants tentent de braver les files d’attente pour assister de plus près à la cérémonie qui se prépare. Le temps de quelques heures, la crise politique qui agite l’actualité française est relayée au second plan. Le pays rend hommage à un grand homme.
Le ciel est clair, et les rues du Ve arrondissement plutôt calmes malgré la foule, fermement encadrée par les – nombreuses – forces de l’ordre. Le Panthéon semble attendre le public : paré des trois couleurs de la Nation, et du portrait en noir et blanc de Robert Badinter, il est éclairé de grands faisceaux lumineux. Une phrase orne sa façade : « La justice française ne sera plus une justice qui tue. La peine de mort est abolie. » Car c’est bien cette loi historique qui est au cœur des hommages, et cette lutte de Badinter pour la vie humaine va imprégner chacun des discours à suivre. Mais de Robert Badinter, il faut retenir les autres combats, tient à rappeler Eric Dupond-Moretti.
Comme lui, il a été avocat. Comme lui, ministre de la Justice aussi. « Humaniste, universaliste, il n’écoutait pas le vent mauvais de l’opinion », témoigne-t-il, attablé à la terrasse d’un café en haut de la montagne Sainte-Geneviève, quelques heures avant le début de la cérémonie. L’ex-garde des Sceaux, venu rendre hommage à son illustre prédécesseur, tient à rappeler combien Robert Badinter a été attaqué pour son combat contre la peine de mort, traité d’« assassin » par ses adversaires, dont un certain Jean-Marie Le Pen.
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Parmi les combats menés, Eric Dupond-Moretti souhaite aussi rendre hommage au rôle européen de l’homme politique : son engagement pour que la France accepte pleinement la compétence individuelle de la Cour européenne des droits de l’homme, qui permet à tout citoyen de saisir la juridiction supranationale. La captation filmée des procès historiques, dont le premier celui du bourreau nazi Klaus Barbie, laissera 140 heures d’archives pour la mémoire collective. Et il croit important d’ajouter à l’heure où certains ont « de fâcheuses tendances à taper sur les étrangers » que « Badinter, c’était la France universelle, il n’avait pas une goutte de sang français ! ». Touché par cette cérémonie « magnifique », il la juge aujourd’hui insuffisante : face au déni démocratique d’une Marine Le Pen ou à la « haine des juges » d’un Nicolas Sarkozy.
Jérôme Marbot, avocat, siège dans l’une des tribunes réservées au public invité. C’est « très ému » qu’il témoigne de son bonheur d’être là et de rendre hommage à « ce modèle, à la fois comme avocat et comme homme politique » – Jérôme Marbot est aussi élu PS à Pau. « Avocat en droit public, je fais aussi un peu de pénal, et pour moi Robert Badinter représente tout ce qu’incarne l’avocat de la défense : la permanence du combat et la protection de la vie humaine avant tout. » Pour ce professionnel du droit, la médiatisation de l’entrée au Panthéon de l’ancien ministre est salutaire, à l’heure où l’Etat de droit est menacé : « Elle va dans le sens de la défense de l’Etat de droit, et permet de mieux faire comprendre son importance aux gens. En général, quand on leur explique, ils comprennent. »
Comme lui, l’avocate pénaliste Anagi Kodituwakku voit en Robert Badinter un éclaireur pour la démocratie, une figure qui nous rappelle que « la lutte contre le facisme ne s’arrête jamais vraiment. Il ne faut pas l’oublier en ces temps d’instabilité », défend l’avocate. Dans sa tête, résonne l’avertissement que Badinter proféra devant les militants de la Ligue des droits de l’homme en 1984 : « Le fascisme ne se lève pas dans les pays développés comme la tempête en une nuit. Il est d’abord rampant, dissimulé, ordinaire. Il progresse par les mille voies de la haine, avivée par les difficultés économiques. Il s’empare des cœurs avant de pervertir les esprits puis de prendre le pouvoir. »
Léa et Lavinia sont respectivement étudiantes en droit et en philosophie. Elles vivent dans un foyer étudiant situé à quelques mètres du Panthéon et ont tenu à être présentes cet après-midi. Pour les deux jeunes femmes, rater cette « unique opportunité » et « ce moment d’Histoire » n’était pas à l’ordre du jour. « Robert Badinter, c’est une personnalité qui a marqué le droit français. Je viens d’Allemagne et je ne le connaissais pas avant mes études en France, raconte Léa. C’est à travers les médias que je l’ai découvert. Je souhaitais lui rendre hommage. » Lavinia complète : « J’ai déjà visité le Panthéon, dont je trouve les traditions un peu vieilles et distantes. Mais assister en vrai à une cérémonie d’entrée, c’est quelque chose que je souhaitais faire. D’autant que Robert Badinter, ce n’est pas que l’interdiction de la peine de mort, c’est aussi la dépénalisation de l’homosexualité. Ses combats étaient modernes et il ne les a jamais lâchés. »
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César, 20 ans, étudiant en histoire, abonde : « Robert Badinter a fait avancer les mœurs de notre société, il l’a purgée de la loi du talion, de l’injustice. Il s’est battu pour la dignité de tous, avant tout », résume-t-il avec beaucoup de déférence. Pour lui, sa Panthéonisation est « un symbole important », à l’heure où « les médias, surtout d’extrême-droite, désacralisent la peine de mort ».
Un peu plus loin, près des estrades, un groupe d’étudiantes immortalise dans une photo leur participation à ce moment historique. Parmi elles, Juliette, invitée, comme ses camarades, par l’université Paris Panthéon-Sorbonne à assister à cet hommage. La jeune femme de 22 ans est inscrite en master Justice, Procès et Procédure. De Badinter, elle veut aussi retenir les discours : « C’est le modèle du grand orateur. Qu’on se destine à l’avocature ou à la magistrature, Robert Badinter est un exemple qu’on nous pousse à étudier, un incontournable », témoigne celle qui souhaiterait devenir gendarme.
Aline Ferrault, libraire, a été invitée à l’hommage par l’équipe communication du Panthéon. Un geste qui a du sens : la commerçante s’occupe de la librairie Lefebvre-Dalloz, à quelques pas de la fac de Droit qui avoisine le monument. Elle y est aussi chargée des événements. Pour Aline Ferrault, qui a fait des études de droit, assister à la cérémonie d’hommage à l’avocat est « un grand honneur » : « Il doit rester un modèle pour le monde du droit, estime-t-elle. Il n’a jamais lâché ses combats. C’est un modèle de résilience, de pugnacité. Et ses combats, il faut qu’ils perdurent aujourd’hui, pour que les droits de chacun puissent être respectés. Rappelons-le : de nombreux pays pratiquent encore la peine de mort. »
Devant la bière du grand homme recouverte du drapeau tricolore, Emmanuel Macron, promet lors d’un ultime discours de continuer le combat de Robert Badinter contre la peine de mort « jusqu’à l’abolition universelle » : « Robert Badinter entre au Panthéon, et nous entendons sa voix, qui plaide ses grands combats essentiels et inachevés : l’abolition universelle de la peine de mort, la lutte contre le poison antisémite et ses prêcheurs de haine, la défense de l’État de droit. Ses combats sont ceux qui traversent les siècles et portent nos idéaux, comme la définition véritable de ce que nous sommes ».
Delphine Schiltz et Mylène Hassany
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