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Un prévenu de 19 ans est notamment poursuivi pour harcèlement en ligne contre une amie. Le dossier montre des faits d’une grande violence et une spirale de haine décuplée par les réseaux sociaux.
La présidente du tribunal de Pontoise montre la photo à son assesseure, qui lève les yeux au ciel, écœurée. Le cliché est un montage où la tête de Leïla* surmonte un corps nu dans une pose pornographique. Il est signé : « Sosso ». A la barre, Sofiane, 19 ans, attend les questions.
Il est poursuivi pour une série d’infractions : chantage avec mise à exécution de la menace, divulgation d’information personnelle permettant d’identifier ou de localiser une personne mineure, harcèlement moral, arrestation, enlèvement et séquestration, destruction d’un bien appartenant à autrui.
Sur une application de rencontre en 2021, Sofiane rencontre Leila, avec qui il devient ami. « En raison d’un différent, dit la juge, il apparaît que vous allez publier un photomontage avec une photo d’elle sur une femme dénudée en diffusant son identité et son numéro de téléphone sur Telegram ». Une plainte est déposée, mais elle est classée sans suite.
Ce cliché circulera – et circule toujours – sur Snapchat et d’autres réseaux sociaux, et vaudra un harcèlement massif à l’adolescente. Cette situation durera des années. Sofiane et Leïla, malgré tout, continuent de se fréquenter.
Le 26 janvier 2024, les parents de Leila se présentent à la gendarmerie afin d’expliquer que leur fille a été menacée, séquestrée et sexuellement agressée par plusieurs garçons. Elle vient de faire une tentative de suicide au Tramadol®, et s’est confiée à ses parents ensuite.
L’histoire qu’elle raconte est la suivante : le 23 janvier dernier, elle retrouve Sofiane au centre commercial. Il fouille dans son téléphone, découvre qu’elle a des conversations avec d’autres garçons, s’énerve, l’insulte, la menace et la saisit par la nuque. Il l’emmène dans un hôtel où il la séquestre avec d’autres garçons, qui l’agressent sexuellement. Sofiane la prend en photo, nue, et menace de diffuser le cliché sur les réseaux sociaux si elle dénonce les faits. Ce n’est que le lendemain qu’elle pourra rentrer chez elle. Son portable est détruit.
Aux policiers, Leïla raconte que Sofiane se comporte ainsi avec de nombreuses autres filles, et qu’elle vit un cauchemar depuis 2021. Si les médecins n’ont décelé sur elles que de légères ecchymoses, les psychiatres ont certifié une ITT psychologique de 12 jours en raison d’un état dépressif « post-traumatique de sévérité intense », occasionnant des troubles du sommeil et des envies de mort.
La présidente lit une conversation audio entre la plaignante et le prévenu. Sofiane dit :
« Suicide-toi nique ta grand-mère la pute, en fait. C’est mieux pour toi. Quand tu seras au paradis, tu vas pas pleurer. (Elle pleure). Casse-toi de ta vie, crois-moi, je te dis ça pour te blesser. Du fond du cœur, suicide-toi.
–Ok.
–Je te parle sérieux.
–Ok.
–T’es une menteuse, t’as une maladie. Le Sheitan est avec toi, c’est une dinguerie frère. Wallah, ça sort vraiment du cœur ».
A la barre, ce 19 septembre 2025, Sofiane admet : « C’est grave et c’est de ma faute. J’étais vraiment inconscient à ce moment-là.» Il reconnaît ces faits – harcèlement, divulgation -, mais il conteste la séquestration, le chantage et la destruction du téléphone.
Ce n’est qu’à sa quatrième audition, en septembre 2024, que Leïla expliquera avoir menti sur le déroulé de la soirée du 23 janvier. Elle est allée avec Sofiane au cinéma, où son portable aurait été accidentellement cassé. Effrayée à l’idée d’affronter son père (violent) qui venait de le lui acheter, elle a demandé à Sofiane de l’héberger. Le jeune homme lui aurait payé l’hôtel avant de rentrer dormir chez lui.
C’est la version défendue par Sofiane à la barre, mais pas par l’avocat de la plaignante, absente, qui estime que la jeune fille, sous emprise, a cédé à la pression des réseaux sociaux pour épargner Sofiane, qu’il décrit en prédateur, manipulateur, sans empathie, reprenant les mots d’un expert psychiatre l’ayant examiné durant sa garde à vue en 2024.
C’était vrai à l’époque, rétorquera l’avocat de Sofiane. Puis, vint la détention provisoire, les séances avec le psychologue, le stage de sensibilisation au harcèlement en ligne. Tout ceci, dit le jeune homme, l’a profondément changé. Et puis, il comprend très bien la souffrance de Leïla, puisqu’il a lui-même vécu la même chose.
Ce n’est pas pour se faire passer pour une victime, comme le pense l’avocat de la partie civile, mais s’il a agi ainsi, c’était parce qu’il était ivre de vengeance. Leïla et un certain Rayane l’ont harcelé. Son adresse a été diffusée. Il a été agressé lors d’une audience. Son avocat l’interroge :
« Je me fais afficher de partout, on m’accuse de viol. Les gens y croient car ils savent que j’ai des affaires devant la justice.
– Encore cet été au mois d’août, il y a eu un canular de ce fameux Rayane.
– Il a dit que mon père a tiré sur ma mère au fusil de chasse.
– Votre petite sœur est traumatisée.
– Elle a 13 ans, elle dort avec sa mère.
– Il y a eu un jugement à Bobigny récemment. Un homme a été condamné ?
– Oui, il s’est introduit chez nous avec un couteau de 30 cm. Il croyait que j’avais violé Leïla.
– Vous êtes encore sur les réseaux ?
– Non. »
Leïla comparaît dans quelques mois devant le tribunal pour enfants pour des faits de divulgation, comme Sofiane, mais pour le moment, c’est lui le prévenu et elle, la victime, plaide l’avocat en partie civile, passablement agacé du comportement victimaire de Sofiane, dont il entend les plaintes, dont il comprend que les parents, présents à l’audience et émus, puissent avoir été choqués.
Mais, il rappelle que sa cliente est « détruite », qu’elle a cessé d’aller au lycée, a raté son bac, n’a plus de contact avec ses amis, est en dépression, suicidaire. « Monsieur a l’habitude de manipuler des jeunes filles, mais manipuler le tribunal, ce sera moins facile ».
Puisque l’avocat a déjà fait son travail, la procureure est brève : elle demande la relaxe sur les faits contestés par Sofiane, et la condamnation pour le surplus à 10 mois de prison avec sursis probatoire (interdiction de contact, de paraître au domicile, obligation de soins).
« En réalité ils sont tous les deux victimes et auteurs, mais pas à la même audience », plaide l’avocat de la défense. « Ce dossier est celui de la jeunesse d’aujourd’hui ! » Il demande la dispense de l’inscription de la condamnation au bulletin n°2.
Accordée. La décision est strictement conforme aux réquisitions.
* Le prénom a été modifié
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