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CHRONIQUE. La 6e chambre correctionnelle examinait il y a peu un renvoi de comparution immédiate pour « des violences conjugales réciproques un peu atypiques ». C’est peu de le dire, puisque les deux conjoints se sont en fait percutés à plusieurs reprises lors d’une course-poursuite.

Pendant que leurs escortes respectives les désentravent, Adrien D. et Hana E. échangent un vague sourire. Ils ne se sont pas vus depuis un mois : à la dernière audience de comparution immédiate, il a demandé un « renvoi droits de la défense », et tous deux ont atterri en détention provisoire. Ils comparaissent pour ce que le président qualifie de « violences conjugales réciproques assez atypiques ». Au mois d’août dernier, au terme d’une course-poursuite de plusieurs kilomètres, la voiture d’Hana E. s’est retrouvée perchée sur un muret, avec deux roues dans le vide. Avant même d’envisager de prévenir les secours, Adrien D. lui a mis son poing dans la figure, sans d’ailleurs que la jeune femme ait eu le temps de ne serait-ce que détacher sa ceinture.
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Sur les motifs de la dispute, leurs versions divergent, mais sont à peu près aussi dérisoires l’une que l’autre. Toujours est-il qu’Hana E. est sortie de l’appartement en prenant son téléphone à lui – ils se le partageaient, car elle n’en avait pas -, avant d’aller s’isoler dans la voiture de sa belle-sœur pour ne pas que les voisins entendent sa conversation. Selon elle, c’est alors qu’Adrien D. serait sorti en trombe. « Quand j’ai vu son visage, j’ai démarré et je suis partie. […] J’avais déjà vu ce visage chez des gens, [alors] j’ai eu peur ». Son (ex-)compagnon indique pour sa part n’être sorti qu’après avoir entendu le moteur démarrer, et ajoute qu’elle l’a renversé en partant : il a d’ailleurs eu quatre jours d’ITT, en raison notamment de « dermabrasions au niveau de la main gauche ».
Toujours est-il qu’Adrien D. est monté à son tour dans sa voiture, et a poursuivi celle « empruntée » par Hana E.. Lorsqu’il a entamé un dépassement, il y a eu un premier choc : il assure que c’est elle qui l’a percuté, mais concède qu’elle « a été surprise, et en tournant la tête, a tourné le volant ». Puis un deuxième, à son initiative à lui : « j’ai voulu l’arrêter et j’ai mal calculé ma distance », explique-t-il. Et enfin un troisième : « Là par contre je l’ai percutée volontairement ». Hana E. aurait pu terminer sa course à gauche, dans un « ravin de quatre mètres », mais elle est partie à droite : sur le parapet, donc.
Curieusement, Adrien D. explique avoir voulu l’arrêter « parce qu’elle aurait pu causer un accident ». Il précise d’ailleurs qu’il lui avait interdit de se servir de la voiture « parce que les deux dernières fois, elle me l’avait ramenée endommagée ». Il justifie l’ensemble par son « état de colère ». « Mais en colère de quoi ? Parce que je n’ai toujours pas compris… », interrompt le procureur : « Toute la journée avait été assez désagréable. Elle me rabaissait ». Une fois Hana E. immobilisée, Adrien D. reconnaît lui avoir porté un coup de poing au niveau de l’oreille gauche, lui causant trois jours d’ITT pour « une problématique au niveau du tympan ».
Ce n’est pas le seul dossier à examiner car, une semaine plus tôt, Hana E. avait été interpellée, ivre morte, au volant de la même voiture, mais en stationnement – sur une place handicapée. « Ta mère la pute », « va niquer ta grand-mère », avait-elle alors lancé à la policière municipale qui la contrôlait, avant de lui cracher dessus. Personne n’avait pu retrouver la clé de contact, et ce n’est qu’une fois au commissariat qu’Hana E. avait livré l’explication de cette disparition : « Elle est dans ma chatte, je l’ai mise tout au fond, si vous me touchez, je vais dire que vous m’avez violée ». Après avoir sollicité « des renforts », les policiers l’avaient transportée à l’hôpital : « Je présume pour faire retirer médicalement la clé de l’endroit où elle se trouvait », ponctue le président, « mais finalement elle a été retrouvée au niveau de votre cheville, donc vous l’aviez expulsée avant le passage à la radio ».
Hana E. est arrivée d’Espagne – où se trouvent ses deux enfants de 10 et 13 ans – il y a un peu moins d’un an et demi, et s’est depuis constitué un petit casier : conduite en état d’ivresse manifeste, outrage et violences sur personne dépositaire de l’autorité publique (dix mois de sursis). Elle considère qu’ils ne sont désormais plus en couple. « J’ai déjà assez de problèmes toute seule » assure-t-elle. Lui a deux mentions : une pour la dégradation d’un radar automatique, et l’autre (cinq mois de sursis) pour une incompréhensible histoire d’extorsion : « Une soirée qui a dégénéré… ». « Ça dégénère quand même souvent, avec vous ! », gronde le président. Adrien D. a été diagnostiqué dans son adolescence pour « un trouble schizophrénique ». En détention, il a « pris conscience que c’était une relation toxique et que ça n’apportait rien de bon ».
Place aux réquisitions : « Tout cela paraît irrationnel, [d’autant qu’ils étaient] totalement à jeun ! ». Pour Adrien D., qui se trouvait dans le délai d’épreuve de son sursis simple, le procureur réclame une révocation totale, et sept mois ferme de plus. Soit douze mois, « qui pourraient être aménagés ab initio, sous forme de semi-liberté ou [de bracelet électronique] ». Il embraye sur Hana E., et souligne que « la joyeuseté de cette perte de clé a valu pour la sécurité de madame que les services de police se tapent (sic) des allers-retours à l’hôpital ». En bref, « évidemment, cette relation, il faut qu’elle cesse, et il faut donc des mesures judiciaires pour s’en assurer. Mais elle n’a pas d’attaches en France, donc je ne me lancerais pas dans un sursis probatoire, et j’exclus le sursis simple », indique le ministère public. Il requiert quatre mois ferme « pour l’ensemble de son œuvre, si je puis dire », avec mandat de dépôt. Et une interdiction du territoire de deux ans : « Elle ferait mieux de repartir en Espagne, où se trouvent ses enfants ».
Pour l’avocate d’Adrien D., « bien évidemment, il sait que vous allez entrer en voie de culpabilité. […] Ce n’est pas un grand orateur, mais […] il a parfaitement conscience que l’histoire […] aurait pu avoir une issue dramatique ». Elle estime que « ce jour-là, il y a des verrous qui ont sauté, et c’est une cocotte-minute qui a explosé », et ajoute : « On voit bien que cette relation ne tire ni l’un ni l’autre vers le haut ». Mais elle tempère : « Il y a un éclair de lucidité qui revient, il appelle les services de police, il explique avec une honnêteté désarmante ce qu’il s’est passé, sans mentir, sans en rajouter ». Bref, « l’essentiel aujourd’hui, c’est [qu’il puisse] garder son travail. Parce que [sinon], il perd sa source de revenus, son logement, et il se retrouve à la rue avec ses fragilités ».
Place à sa consœur assistant Hana E. Pour les violences – avec arme – sur conjoint, elle sollicite la relaxe : « Elle a essayé de l’éviter, mais elle a eu tellement peur quand elle l’a vu arriver qu’elle a démarré. Il s’est accroché et il est tombé de son propre fait ». Sur l’épisode précédent, elle martèle que quand sa cliente « est très alcoolisée, elle n’est plus du tout la même. […] Et quand elle n’est plus alcoolisée, elle fond en larmes [en audition, NDLR] ». Elle explique qu’Haha E. était battue par son ancien compagnon, et que « c’est cette fragilité qui ressort à ce moment-là, cette même fragilité qui la pousse à boire ». Elle demande un sursis probatoire.
Adrien D. écope de dix mois ferme et d’une révocation partielle (deux mois), soit douze mois en tout, aménagés ab initio en détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE), et d’une suspension de permis de la même durée. Hana E. est relaxée pour les violences, mais prend douze mois avec sursis et une interdiction définitive du territoire, « étant donné que sur une condamnation précédente, vous aviez eu une interdiction de cinq ans ».
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