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PODCAST. Suivi de la procédure, gestion des audiences ou encore accompagnement du public… Les journées d’un greffier judiciaire sont très souvent intenses et sans répit, émaillées d’échéances importantes dans des juridictions sous tension. Avec sa casquette de représentant syndical, Yoan Bourquin évoque aussi les conditions de travail parfois archaïques et le manque de moyens humains qui pèsent sur la profession, laquelle fait, depuis peu, entendre sa voix.
Selon un sondage réalisé pour
la Cour d'appel de Paris en 1990, 54 % des Français ne connaîtraient pas les
fonctions exactes d'un greffier. Et s’il ne semble pas y avoir de nouvelle
étude depuis à ce sujet, 35 ans plus tard, pas sûr que le greffier fasse
davantage parler de lui.
Professionnel de l’ombre, ses
tâches souvent invisibles aux yeux du public et la complexité du système
judiciaire contribuent à rendre ses missions relativement obscures. Mais c’est
aussi un rouage du monde judiciaire pratiquement absent des médias et tout
aussi rare dans la littérature ou le 7e art.
Pourtant, il s’agit d’un maillon
essentiel dans les coulisses de la grosse machine judiciaire. « Un magistrat n’est rien sans son
greffier, et quand les greffes vont mal, c’est la justice qui va mal »,
avait ainsi lancé le député des Landes Dominique Valaud devant l’Assemblée
nationale en 2023.
Une réalité dont témoigne
Yoan Bourquin, notre invité pour l’épisode
5 de notre podcast.
JSS :
Vous êtes greffier judiciaire depuis une douzaine d'années. C'était un métier
que vous aviez envisagé lors de vos études ?
Yoan
Bourquin : Généralement,
quand on rentre dans la filière droit, on a plutôt en tête le métier
d'huissier, de notaire, de magistrat. C’est lors d'un stage en troisième année
de licence que j'ai découvert plus amplement le métier de greffier.
Et
notamment l'importance du greffier dans les tribunaux, en tant que technicien,
garant de la procédure, et c’est ce côté-là qui m'a donné envie de me diriger
vers ce métier, en passant le concours.
JSS :
C'est une profession que le grand public connaît très mal. Mais il y a un stéréotype
qui revient souvent, le greffier c'est un secrétaire qui prend des notes à
l'audience. Comment
est-ce que vous réagissez quand vous entendez ça ?
Y.B. : On a vraiment cette image, héritée des films,
du greffier qui prend des notes à l’audience. On connaît mieux le magistrat,
car il y a plus de médiatisation autour de cette fonction, mais les greffiers ont
un rôle très important, notamment sur la gestion de la détention, sur la garantie
de la procédure, et dans l'exécution des décisions qui sont prononcées par les
magistrats.
Donc
le greffier est loin d'être un simple secrétaire, parce que sans greffier, on
n'a pas de décision, on n'a pas d'audience. C'est vraiment un élément central,
et un des maillons essentiels au bon fonctionnement de la justice.
JSS : Quels sont les différents postes que vous avez
occupés ?
Y.B. : J'ai commencé ma carrière au service de
l'application des peines, en sortie d'école, au tribunal judiciaire de Mulhouse.
C’est le service qui intervient après le prononcé d'une décision. Donc là, la
particularité, c'est qu'on est en lien avec des personnes déjà condamnées. Or,
souvent, les personnes ne comprennent pas forcément la décision et la
condamnation. Donc [en tant que greffier], on doit vraiment faire preuve de
suivi, de pédagogie.
Par
la suite, je suis revenu par voie de mutation au tribunal judiciaire de
Belfort.
Et à cette occasion, j'ai été affecté au
tribunal correctionnel. Là, il s’agit du service qui va juger les personnes qui
ont commis une infraction, notamment délictuelle. Dans ce service-là, le
greffier prépare les dossiers, les met en état, tient les notes d’audience. Mais notre rôle va plus loin : on doit
vraiment s'assurer qu'au cours de ce débat, de cette audience, le magistrat
respecte les règles de procédure.
« On est sous-calibrés, sur-chargés »
On
peut lui rappeler qu'il a oublié une mention ou une notification. Et surtout, en
cas de conflit ou de difficulté, la note d'audience qu'on va tenir fait foi. Vous
pouvez avoir un incident d'audience : un avocat ou un justiciable, par
exemple, qui va aller un peu trop loin, ou bien un désaccord entre les propos
tenus par l'avocat et éventuellement celui du magistrat.
Après
ça, j'ai demandé à intégrer le service de l'exécution des peines – soit le
service qui intervient de nouveau après le correctionnel et qui est, à mon
sens, l'un des services les plus techniques. On est la charnière entre les
services du tribunal entre eux, mais également la charnière et l'interface
entre les services du tribunal et les services extérieurs et les partenaires,
comme les maisons d'arrêt, les préfectures, le casier judiciaire national...
Et
en tant que greffier de l'exécution des peines, on est chargé de mettre à
exécution les peines prononcées, mais également de transmettre les décisions à
la préfecture en cas de suspension de permis ou d'annulation de permis, ou
encore, quand des personnes se sont vues condamnées à une peine
d'emprisonnement, on va transmettre les décisions à la maison d'arrêt pour
qu'elles soient écrouées.
JSS :
On parle de quel volume de dossier pour un seul greffier ?
Y.B. : C'est difficile de donner un chiffre précis,
parce que vraiment, ça va dépendre des juridictions, de la taille des services.
Ce que je peux vous dire, c'est que d'une manière générale, la charge de
travail des greffiers est énorme.
On
est constamment soumis à cette charge, à cette quantité de dossiers, et on est
sous-calibrés, car on souffre d'un manque d'effectifs. On est surchargés.
À
lire aussi : ENQUÊTE. Greffiers, génération
sinistrée
Si
on prend le cas d’un cabinet d'instruction, on parle de 70 dossiers, mais c'est
très théorique, parce que vous pouvez avoir un dossier avec une personne qui va
vous demander beaucoup moins de travail, en fonction de l'infraction pour
laquelle elle est mise en examen, et des dossiers, notamment du trafic de
stupéfiants, avec 15, 20, 50 personnes, qui vont demander beaucoup plus de
travail.
Cela
reste de toute façon des chiffres théoriques, mais dans tous les cas, la charge
de travail est bien plus élevée que ce qu'elle ne devrait dans les greffes.
JSS :
Vous rédigez aussi des projets de décision. Est-ce que ça concerne tous les types de
décisions ?
Y.B. : En réalité, ça va dépendre des services et de
la relation de travail avec le magistrat ; de sa façon de travailler. Dans
tous les cas, on doit sortir la trame de base, fusionner les décisions, remplir
les éléments : l'identité de la personne, les infractions commises ou le
litige, plutôt dans la partie civile. Et puis, on peut être amené à rédiger et
pré-motiver des décisions également.
Par
exemple, dans le service des tutelles majeures, le magistrat peut rendre une
ordonnance, nous dire qu'il y a une décision de placement sous tutelle, et on
va commencer à pré-rédiger l'ordonnance de placement.
JSS :
Vous travaillez avec les magistrats, notamment en préparant les dossiers. Comment est-ce que ça se passe exactement ?
Est-ce que vous travaillez avec un magistrat spécifique ou alors tous ceux de
la juridiction indistinctement ?
Y.B. : C'est un métier qui suppose d'avoir une
grande capacité d'adaptation, puisqu'on est effectivement amené à travailler
avec plusieurs magistrats différents, avec des méthodes de travail différentes
également. On doit toujours essayer de tisser des liens et de mettre en place
des méthodes pour s'adapter et répondre aux demandes et aux besoins des
magistrats.
On
fait le lien entre les différents magistrats. Par exemple, dans le cadre des permanences
week-end - puisque dans certaines juridictions, il n'y a pas d'audience le
week-end - en cas de personnes déférées en attendant la prochaine audience, le
greffier va être l'interlocuteur entre le magistrat du parquet, donc le
procureur de la République, le juge des libertés de la détention,
éventuellement le juge d'instruction si ça nécessite une ouverture
d'information. Et donc, on suit le dossier avec différents magistrats tout au
long de la procédure.
JSS : Quelles relations entretenez-vous
avec les magistrats ?
Y.B. : Il y a les services où on va être en binôme,
vraiment en cabinet. Donc
le cabinet d'instruction, le cabinet de juge des enfants, on est vraiment en
binôme avec le même magistrat. Et puis des services où on va être avec
plusieurs magistrats.
Personnellement,
je n'ai jamais eu de difficulté avec un magistrat dans ma carrière. L'idée est
vraiment de savoir quelles sont les attentes du magistrat, quelles sont celles
du greffier, et puis de fonctionner ensemble pour l'intérêt de la justice. Il faut
quand même préciser qu'il n'y a pas de lien hiérarchique direct entre le
magistrat et le greffier. Le
supérieur hiérarchique du greffier est le directeur des services de greffes judiciaire.
En
revanche, de par les fonctions respectives de chacun, le magistrat va donner
des directives au greffier. Ça peut arriver que les liens soient parfois un peu
flous et qu'il faille un petit peu reposer le cadre. Mais dans la plupart des
cas, j'ai rarement été confronté à des difficultés. L'idée est également de se positionner, de
prendre ses fonctions à bras-le-corps.
J'ai
déjà pu être en désaccord sur un point de procédure avec un magistrat, sur des questions
du type : est-ce
qu'on peut prononcer telle peine, quelles sont les conditions, quelles conséquences
est-ce que cela engendre. Et là, à mon sens, pour être entendu et avoir de la
crédibilité, il faut se référer au texte. J’ai toujours tendance à reprendre mon code, et
pour argumenter et pour justifier mon désaccord, je vais apporter le texte à
l'appui.
JSS :
Y a-t-il eu des affaires dans lesquelles vous n'avez pas compris la décision
d'un magistrat ? Et dans ces cas-là, est-ce que ça vous est arrivé de faire
valoir votre point de vue ou au moins d'essayer d'en parler avec le magistrat
concerné ?
Y.B. : A moins qu’il s’agisse d’une décision très
tranchée et incompréhensible, souvent on ne se pose pas vraiment la question de
savoir si c'est juste ou pas.
On
est formé, à l'École nationale des greffes, au respect de la procédure, et pas à
la prise de décision au regard du Code pénal, du Code civil, etc. Et même si on peut avoir un avis, bien souvent,
en pratique, dans les juridictions, au regard de la charge de travail, on n'a
pas le temps de se plonger dans le fond du dossier. On va vraiment s'attacher
au respect de la procédure.
Par
exemple, quand j'étais au tribunal correctionnel et que je préparais mon
audience, je n'allais pas voir quelle était l'infraction commise par la
personne et ce qu'elle encourait, mais plutôt si elle avait bien été convoquée,
si ses droits avaient été respectés, si les délais de convocation étaient les
bons. Vraiment sur la forme et pas sur le fond.
Le
seul moment où on va regarder quand même le fond, pour savoir quelle infraction
a été commise et quelle peine est encourue, c’est lors du prononcé de la
décision, pour s'assurer que la peine prononcée par le magistrat soit en
adéquation avec ce qui était encouru.
JSS :
Vous gardez donc une certaine distance avec les affaires en question…
Y.B. : Effectivement, on garde une distance, mais on
va en connaître tous les détails quand même. On ne les aura pas lus, on n'aura
pas eu le temps de se faire une idée, mais en direct à l'audience - ou alors au
service de l'instruction -, même si on ne connaît pas le fond du dossier,
pendant l'interrogatoire avec le juge d'instruction, étant donné que c'est un
jeu de questions-réponses, on va quand même connaître tout le dossier.
J'ai
cependant déjà été amené à travailler avec des magistrats qui me sollicitaient
et pouvaient me demander mon avis quant à la décision à prendre, même avant
qu'elle soit prise. Et là, on pouvait échanger, partager. C'est d'ailleurs
intéressant, puisque ça nous intègre un peu plus aussi au processus et ça,
c'est très stimulant également.
« Face à la défiance, c'est à nous de
désamorcer les situations »
Ça
m’est arrivé notamment dans le cas d’une personne qui était suivie par le juge
de l'application des peines et qui était libre, puisqu'elle avait une mesure de
sursis mise à l'épreuve - c'est-à-dire que la personne reste libre : elle
a une peine d'emprisonnement « au-dessus de sa tête », mais elle doit
respecter un certain nombre de conditions.
Or
cette personne ne respectait pas les conditions imposées : on était donc
en droit de procéder à la révocation de ce sursis pour qu’elle purge une peine
d'emprisonnement. On l'avait convoquée avec ma juge de l'application des peines
en vue de la révocation, on l'avait entendue avant que la magistrate puisse
prendre sa décision.
A
cette occasion, la personne avait pu faire part de problèmes d'alcool, d'une
situation sociale très dégradée, très compliquée. Ma juge de l'application des
peines avait alors sollicité mon avis quant à mon impression sur la situation
de la personne et m’avait demandé s'il me semblait plus opportun de
l'incarcérer ou de lui apporter d'autres solutions. Ça avait été à la fois très
enrichissant et très important pour moi, de prendre part à la décision.
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