2024, nouvelle année charnière pour la facture électronique ?


mardi 16 janvier 20247 min
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Une émission organisée courant décembre et qui accueillait notamment Cécile de Saint Michel abordait le sujet du report de la réforme à 2026. Un report que « la profession n’a pas demandé », a assuré la présidente du CNOEC, qui a prôné une meilleure information de la réforme par les experts-comptables auprès de leurs clients.

Malgré le report de la réforme, 2024 sera-t-elle une année de montée en puissance de la facture électronique ? La première date prévue de généralisation, le 1er juillet 2024, était pourtant irréaliste. D’après une enquête réalisée par le logiciel de facturation Tiime et présentée durant l’émission « Tendances comptables 2024 », organisée par la startup Dext, 85 % des entrepreneurs se sentent pas du tout, peu ou moyennement informés au sujet de la facturation électronique. Pire : 42 % des entrepreneurs ne sont pas du tout au courant de la réforme, et un entrepreneur sur trois ne sait pas s’il a besoin d’un accompagnement spécifique. « Ces chiffres montrent qu’il y a un certain niveau de méconnaissance ou d’impréparation des entreprises », estime Julien Catanese, expert-comptable et animateur de l’émission.

« Ce report, la profession ne l’a pas demandé », assure Cécile de Saint Michel, présidente du Conseil national de l’ordre des experts-comptables (CNOEC). Mais « peut-être qu’il vaut mieux que cela soit décalé, car les entreprises n’étaient pas complètement prêtes. Les cabinets d’expertise-comptable ont encore du travail à faire pour accompagner leurs clients », nuance celle selon qui cette réforme est « un sujet primordial pour la profession ». C’est aussi un sujet qui intéresse : le dernier congrès des experts-comptables, qui s’est tenu en septembre dernier à Montpellier et dont la thématique principale était la facturation électronique, a attiré plus de 7 500 professionnels du chiffre, du jamais vu pour un congrès se tenant hors de la région capitale.

L’ordre a notamment développé des formations pour sensibiliser les cabinets à ce sujet, et ainsi former les clients des cabinets. La généralisation de la facture électronique va d’ailleurs avoir des conséquences dans les cabinets. « Qui dit facture électronique dit automatisation de la partie saisie comptable, qui représente une importante partie du métier. Il était normal que l’ordre s’en saisisse », explique Cécile de Saint Michel. Ces formations vont se poursuivre avec le report de la réforme, avec un montant alloué pour celles-ci similaire entre 2023 et 2024. « Il faut que les cabinets se forment et se saisissent de la facture électronique le plus vite possible », argue la présidence du Conseil, qui précise par ailleurs que « ce n’est pas la facture électronique qui est reportée, c’est la mise en place de la plateforme fiscale, le portail public de facturation (PPF) qui est reporté ».

L’obligation de mise-à-jour des statuts des factures en approche

Alors que faire d’ici 2026, année de report de l’obligation de la facturation électronique pour les grandes entreprises et les entreprises intermédiaires (2027 pour les plus petites entreprises) ? « Toute la partie facture électronique peut être mise en place dès aujourd’hui chez les clients », assure Boris Sauvage, vice-président du CNOEC en charge du secteur d’études numériques. Cela concerne les factures de vente et d’achat. « La première étape consiste à identifier les clients qui n’ont pas de logiciel de facturation pour leur en proposer un, ou leur proposer une mission de facturation », conseille-t-il. Pour les achats, « nous pensions que l’on allait arrêter de courir après les factures. Ce n’est pas totalement vrai, car il faut faire confiance aux gens pour perdre des factures, même quand elles sont électroniques », plaisante Boris Sauvage.

Autre étape qui approche : l’obligation de mise-à-jour des statuts des factures. En bref, quand un événement survient à propos d’une facture, comme un encaissement ou un rejet par exemple, l’expert-comptable disposera de dix jours pour en informer l’administration fiscale. « C’est un vrai bouleversement dans l’organisation des cabinets, mais également de l’entreprise », estime le vice-président du CNOEC « Tous les jours, le gérant devra vérifier le paiement de ses factures. Certains de mes clients qui travaillent dans le bâtiment sont en chantier la semaine et s’attaquent à l’administratif le dimanche. Il ne pourront pas tenir ce délai de dix jours ». Là aussi, « il faut identifier quelle entreprise sera capable de tenir ce point, et quelle entreprise ne le sera pas ».

La question des moyens humains mis en place pour effectuer ce travail doit également être posée. Des modules de formation sont en cours de conception par l’ordre. « La question des statuts est une grande opportunité pour tous les fournisseurs. Comme pour les statuts de lecture d’un message Whatsapp, on saura désormais si une facture a été reçue, acceptée et payée », justifie Florent Dujardin, directeur de Dext France. « Il y a néanmoins des réorganisations à faire et des logiciels à utiliser pour automatiser cette gestion. » Pour lui, « une vision de la facture électronique peut avancer sans forcément attendre l’État ».

L’expert-comptable incontournable pour la réussite de la réforme

La facture électronique va passer par des plateformes de dématérialisation partenaires (PDP), toujours en cours de déploiement. Le CNOEC possède d’ailleurs sa propre PDP, jefacture.com. « L’objectif de cette plateforme est d’être un point central pour recenser toutes les factures de ventes et d’achats, et mettre à jour les statuts, ainsi que mettre en place des systèmes de paiement en ligne pour faciliter la vie de l’entreprise, notamment via un système de reconnaissance faciale », détaille Boris Sauvage. Celle-ci est en cours d’accréditation, qui devrait intervenir au cours du 1er semestre 2024, mais 600 000 factures ont déjà transité par le système en 2023. « Une fois que les PDP seront accrédités, nous pourrons avoir des échanges de factures électroniques entre les PDP », explique la présidente de l’ordre. Le Conseil se veut d’ailleurs un acteur essentiel de cette réforme : « Chez nos clients, dans les PME, la facture électronique va se mettre en place par l’expert-comptable. Certes, le client dit qu’il n’est pas au courant, ou pas équipé, mais c’est nous qui allons le faire », défend Cécile de Saint Michel. « Le fait qu’il y ait une majorité d’entreprises qui aujourd’hui ne savent pas trop de quoi ça parle, c’est un peu normal. Toute la complexité, c’est nous [experts-comptables] qui allons les gérer. »

Même son de cloche pour Florent Dujardin : « Ce n’est pas si choquant que cela que les entreprises ne soient pas au courant. L’important pour les experts-comptables est qu’ils soient le premier point d’entrée si jamais l’entrepreneur a une question. » Objectif : rassurer au maximum le client et lui expliquer le nouveau fonctionnement. « Nous sommes le conseiller privilégié de nos clients », argue Cécile de Saint Michel. « Il ne faut pas attendre que le client nous pose la question pour expliquer les avantages de la facture électronique pour son entreprise. »

Parmi ces avantages, la présidente du CNOEC explique que dans les pays où une telle réforme est déjà en place, une réduction des délais de règlement est constatée. « En Italie, ils ont réussi à mener à bien une réforme du même type mais moins ambitieuse en 18 mois », assure Pascal Liénard, directeur commercial et marketing de la plateforme Fulll. « Nous sommes le seul pays à avoir développé un système aussi complexe pour la facture électronique, ceci expliquant peut-être les reports », nuance à ce sujet Cécile de Saint Michel.

Une chance pour la profession… si les cabinets jouent le jeu

Pour Boris Sauvage, la réforme est même une chance pour la profession : « Nous allons pouvoir apporter de nouveaux services aux entreprises et à des personnes qui n’ont pas les compétences que nous avons. Au niveau des cabinets, nous aurons des gains de productivité », notamment grâce à l’automatisation de certaines tâches comme la saisie comptable.

Ce devrait également être positif pour les entreprises : « À terme, leur organisation administrative va être plus fluide. » Avec un objectif ultime : que le chef d’entreprise n’ait plus à se soucier du tout de la comptabilité. « Le rêve de nos clients est de se concentrer sur leur métier », assure Pascal Liénard. « Aux États-Unis, les cabinets les plus rentables sont ceux qui ont développé cela. »

Les experts-comptables peuvent notamment récupérer la rédaction des factures et les actions de recouvrement pour les factures impayées des clients. « Il y a là une vraie valeur ajoutée pour le client pour nos travaux », juge Cécile de Saint Michel, pour qui « il faut offrir ce service à un tarif qui soit acceptable pour les clients ». Autre avantage : la sécurité, notamment par une intervention humaine réduite au strict minimum sur la partie saisie comptable.

La présidente de l’ordre donne également l’exemple de l’Australie, qui a également reporté plusieurs fois cette réforme : « Des cabinets ont décidé de continuer sur la facture électronique malgré le report, quand d’autres ont préféré rester sur leurs missions traditionnelles. On constate aujourd’hui que les cabinets qui sont restés en attente ont perdu entre 30 et 40 % de leurs revenus, et ceux qui se sont saisis de la facture électronique sans attendre l’obligation ont développé leur business, car ils ont repensé la stratégie de leurs cabinets et ont développé de nouvelles missions. »

Le CNOEC redoute d’ailleurs que cette même fracture se produise en France : « Je refuse que cela arrive. Je suis persuadée que c’est l’avenir pour les cabinets. Il faut impérativement que l’on se saisisse le plus vite possible de la facture électronique », martèle la présidente de l’ordre. Objectif à la fin de cette réforme pour Cécile de Saint Michel : « Accompagner encore mieux nos clients. » Encore deux ans et demi pour être prêts.

Alexis Duvauchelle


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