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Une émission organisée courant
décembre et qui accueillait notamment Cécile de Saint Michel abordait le sujet
du report de la réforme à 2026. Un report que « la profession n’a pas demandé », a assuré la présidente du CNOEC, qui a prôné une meilleure information de la
réforme par les experts-comptables auprès de leurs clients.
Malgré le report de la réforme,
2024 sera-t-elle une année de montée en puissance de la facture
électronique ? La première date prévue de généralisation, le 1er
juillet 2024, était pourtant irréaliste. D’après une enquête réalisée par le
logiciel de facturation Tiime et présentée durant l’émission « Tendances
comptables 2024 », organisée par la startup Dext, 85 % des
entrepreneurs se sentent pas du tout, peu ou moyennement informés au sujet de
la facturation électronique. Pire : 42 % des entrepreneurs ne sont
pas du tout au courant de la réforme, et un entrepreneur sur trois ne sait pas
s’il a besoin d’un accompagnement spécifique. « Ces chiffres montrent
qu’il y a un certain niveau de méconnaissance ou d’impréparation des
entreprises », estime Julien Catanese, expert-comptable et animateur
de l’émission.
« Ce report, la
profession ne l’a pas demandé », assure Cécile de Saint Michel,
présidente du Conseil national de l’ordre des experts-comptables (CNOEC). Mais
« peut-être qu’il vaut mieux que cela soit décalé, car les entreprises
n’étaient pas complètement prêtes. Les cabinets d’expertise-comptable ont
encore du travail à faire pour accompagner leurs clients », nuance
celle selon qui cette réforme est « un sujet primordial pour la
profession ». C’est aussi un sujet qui intéresse : le dernier congrès
des experts-comptables, qui s’est tenu en septembre dernier à Montpellier et
dont la thématique principale était la facturation électronique, a attiré plus
de 7 500 professionnels du chiffre, du jamais vu pour un congrès se tenant
hors de la région capitale.
L’ordre a notamment développé
des formations pour sensibiliser les cabinets à ce sujet, et ainsi former les
clients des cabinets. La généralisation de la facture électronique va
d’ailleurs avoir des conséquences dans les cabinets. « Qui dit facture
électronique dit automatisation de la partie saisie comptable, qui représente
une importante partie du métier. Il était normal que l’ordre s’en saisisse »,
explique Cécile de Saint Michel. Ces formations vont se poursuivre avec le
report de la réforme, avec un montant alloué pour celles-ci similaire entre
2023 et 2024. « Il faut que les cabinets se forment et se saisissent de
la facture électronique le plus vite possible », argue la présidence
du Conseil, qui précise par ailleurs que « ce n’est pas la facture
électronique qui est reportée, c’est la mise en place de la plateforme fiscale,
le portail public de facturation (PPF) qui est reporté ».
Alors que faire d’ici 2026,
année de report de l’obligation de la facturation électronique pour les grandes
entreprises et les entreprises intermédiaires (2027 pour les plus petites
entreprises) ? « Toute la partie facture électronique peut être mise
en place dès aujourd’hui chez les clients », assure Boris Sauvage,
vice-président du CNOEC en charge du secteur d’études numériques. Cela concerne
les factures de vente et d’achat. « La première étape consiste à
identifier les clients qui n’ont pas de logiciel de facturation pour leur en
proposer un, ou leur proposer une mission de facturation »,
conseille-t-il. Pour les achats, « nous pensions que l’on allait
arrêter de courir après les factures. Ce n’est pas totalement vrai, car il faut
faire confiance aux gens pour perdre des factures, même quand elles sont électroniques »,
plaisante Boris Sauvage.
Autre étape qui
approche : l’obligation de mise-à-jour des statuts des factures. En bref,
quand un événement survient à propos d’une facture, comme un encaissement ou un
rejet par exemple, l’expert-comptable disposera de dix jours pour en informer
l’administration fiscale. « C’est un vrai bouleversement dans
l’organisation des cabinets, mais également de l’entreprise », estime
le vice-président du CNOEC « Tous les jours, le gérant devra vérifier le
paiement de ses factures. Certains de mes clients qui travaillent dans le
bâtiment sont en chantier la semaine et s’attaquent à l’administratif le
dimanche. Il ne pourront pas tenir ce délai de dix jours ». Là aussi,
« il faut identifier quelle entreprise sera capable de tenir ce point,
et quelle entreprise ne le sera pas ».
La question des moyens
humains mis en place pour effectuer ce travail doit également être posée. Des
modules de formation sont en cours de conception par l’ordre. « La
question des statuts est une grande opportunité pour tous les fournisseurs. Comme
pour les statuts de lecture d’un message Whatsapp, on saura désormais si une
facture a été reçue, acceptée et payée », justifie Florent Dujardin,
directeur de Dext France. « Il y a néanmoins des réorganisations à
faire et des logiciels à utiliser pour automatiser cette gestion. » Pour
lui, « une vision de la facture électronique peut avancer sans forcément
attendre l’État ».
La facture électronique va
passer par des plateformes de dématérialisation partenaires (PDP), toujours en
cours de déploiement. Le CNOEC possède d’ailleurs sa propre PDP, jefacture.com.
« L’objectif de cette plateforme est d’être un point central pour
recenser toutes les factures de ventes et d’achats, et mettre à jour les
statuts, ainsi que mettre en place des systèmes de paiement en ligne pour
faciliter la vie de l’entreprise, notamment via un système de reconnaissance
faciale », détaille Boris Sauvage. Celle-ci est en cours
d’accréditation, qui devrait intervenir au cours du 1er semestre
2024, mais 600 000 factures ont déjà transité par le système en 2023.
« Une fois que les PDP seront accrédités, nous pourrons avoir des
échanges de factures électroniques entre les PDP », explique la
présidente de l’ordre. Le Conseil se veut d’ailleurs un acteur essentiel de
cette réforme : « Chez nos clients, dans les PME, la facture
électronique va se mettre en place par l’expert-comptable. Certes, le client
dit qu’il n’est pas au courant, ou pas équipé, mais c’est nous qui allons le
faire », défend Cécile de Saint Michel. « Le fait qu’il y ait
une majorité d’entreprises qui aujourd’hui ne savent pas trop de quoi ça parle,
c’est un peu normal. Toute la complexité, c’est nous [experts-comptables] qui
allons les gérer. »
À lire aussi : INTERVIEW. 78e
congrès des experts-comptables : « La facture électronique est la dernière
marche de la digitalisation des cabinets »
Même son de cloche pour Florent
Dujardin : « Ce n’est pas si choquant que cela que les entreprises ne
soient pas au courant. L’important pour les experts-comptables est qu’ils
soient le premier point d’entrée si jamais l’entrepreneur a une question. »
Objectif : rassurer au maximum le client et lui expliquer le nouveau
fonctionnement. « Nous sommes le conseiller privilégié de nos clients »,
argue Cécile de Saint Michel. « Il ne faut pas attendre que le client
nous pose la question pour expliquer les avantages de la facture électronique
pour son entreprise. »
Parmi ces avantages, la
présidente du CNOEC explique que dans les pays où une telle réforme est déjà en
place, une réduction des délais de règlement est constatée. « En
Italie, ils ont réussi à mener à bien une réforme du même type mais moins ambitieuse
en 18 mois », assure Pascal Liénard, directeur commercial et marketing
de la plateforme Fulll. « Nous sommes le seul pays à avoir développé un
système aussi complexe pour la facture électronique, ceci expliquant peut-être
les reports », nuance à ce sujet Cécile de Saint Michel.
Pour Boris Sauvage, la
réforme est même une chance pour la profession : « Nous allons pouvoir
apporter de nouveaux services aux entreprises et à des personnes qui n’ont pas
les compétences que nous avons. Au niveau des cabinets, nous aurons des gains
de productivité », notamment grâce à l’automatisation de certaines
tâches comme la saisie comptable.
Ce devrait également être positif
pour les entreprises : « À terme, leur organisation administrative
va être plus fluide. » Avec un objectif ultime : que le chef
d’entreprise n’ait plus à se soucier du tout de la comptabilité. « Le
rêve de nos clients est de se concentrer sur leur métier », assure
Pascal Liénard. « Aux États-Unis, les cabinets les plus rentables sont
ceux qui ont développé cela. »
Les experts-comptables
peuvent notamment récupérer la rédaction des factures et les actions de
recouvrement pour les factures impayées des clients. « Il y a là une
vraie valeur ajoutée pour le client pour nos travaux », juge Cécile de
Saint Michel, pour qui « il faut offrir ce service à un tarif qui soit
acceptable pour les clients ». Autre avantage : la sécurité, notamment
par une intervention humaine réduite au strict minimum sur la partie saisie
comptable.
La présidente de l’ordre
donne également l’exemple de l’Australie, qui a également reporté plusieurs
fois cette réforme : « Des cabinets ont décidé de continuer sur la
facture électronique malgré le report, quand d’autres ont préféré rester sur
leurs missions traditionnelles. On constate aujourd’hui que les cabinets qui
sont restés en attente ont perdu entre 30 et 40 % de leurs revenus, et
ceux qui se sont saisis de la facture électronique sans attendre l’obligation
ont développé leur business, car ils ont repensé la stratégie de leurs cabinets
et ont développé de nouvelles missions. »
Le CNOEC redoute d’ailleurs
que cette même fracture se produise en France : « Je refuse que
cela arrive. Je suis persuadée que c’est l’avenir pour les cabinets. Il faut
impérativement que l’on se saisisse le plus vite possible de la facture
électronique », martèle la présidente de l’ordre. Objectif à la fin de
cette réforme pour Cécile de Saint Michel : « Accompagner encore
mieux nos clients. » Encore deux ans et demi pour être prêts.
Alexis
Duvauchelle
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