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Créée par la loi Sapin 2 et érigée en gardienne de la conformité, l’AFA, après quelques tâtonnements, paraît avoir pris ses marques. Malgré un manque d’effectifs, les actions de sensibilisation et de contrôle qu’elle mène semble entrer dans les mœurs, dans un contexte global où la lutte contre la corruption est de plus en plus prise au sérieux par les entreprises et les acteurs publics.
La
semaine dernière, l’AFP révélait que le procureur Xavier Bonhomme avait ouvert
fin novembre trois enquêtes préliminaires sur la gestion de la Chambre de
commerce et d’industrie de Nice pour des faits éventuels de prise illégale
d’intérêts, favoritisme et détournement de fonds, à la suite d’un rapport rendu
par l’Agence française anticorruption (AFA), dévoilé par Médiapart,
faisant état de « nombreux dysfonctionnements et l’absence de respect
des procédures ».
L’occasion de mettre un coup de projecteur sur l’AFA qui, si elle fait d’ordinaire peu parler d’elle, a été l’objet d’une conférence au tribunal de commerce de Paris, le 24 janvier dernier, destinée à faire le point sur ses missions et ses cinq années d’activité. Originalité de cette agence née en 2017 : présenter à la fois un volet de sensibilisation et de conseil des acteurs publics et privés en vue de la mise en œuvre de leurs dispositifs anticorruption, mais aussi un volet de contrôle, comme le souligne le président du Tribunal de commerce Paul-Louis Netter en préambule de cette présentation.
De quoi la distinguer de son ancêtre lancé en 1993, le Service central de prévention de la corruption (SCPC). Un service « laissé dans un rôle contemplatif », estime le directeur de l’Agence, Charles Duchaine, puisque le Conseil constitutionnel avait censuré les dispositions qui lui accordaient des pouvoirs de contrôle. « Le SCPC établissait chaque année un rapport, mais sans avoir le moindre impact sur la réalité des choses », déplore-t-il.
Un certain nombre de critiques s’étaient accumulées contre
la France, notamment de la part des organisations internationales telles que
l’OCDE. « On soupçonnait notre pays de ne pas avoir de volonté en la
matière ; de ne pas suffisamment poursuivre et condamner les entreprises,
puisqu’aucune personne morale n’était jamais condamnée, et quand une
condamnation était prononcée, on s’accordait à dire qu’elle était ridicule »,
développe le directeur de l’AFA. La France assistait donc à la multiplication
de sanctions lourdes à l’encontre de ses entreprises par la justice américaine,
qui arguait que la lutte contre la corruption était un combat collectif
impliquant d’établir des règles communes et de s’y plier. « Le
raisonnement des Américains était simple : “puisque vous ne faites pas
le boulot, on vient le faire chez vous” ». Autant de raisons qui ont
poussé le législateur à agir – sans oublier un motif financier non négligeable,
pointe de son côté l’avocat Frédéric Lalance, également présent lors de la
conférence, puisque la corruption coûte à l’Europe pas moins de
100 milliards d’euros par an.
Un ornithorynque administratif
L’Agence a ainsi été instaurée, rappelle Marc Ringlé,
président de l’association Droit et Commerce, par la loi relative à la
transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie
économique, dite Sapin 2, promulguée le 16 décembre 2016 pour doter la France « d’outils
innovants permettant de détecter, prévenir et sanctionner efficacement la
corruption et les atteintes à la probité ». Le texte introduit
également à son fameux article 17 une obligation de vigilance pour les grandes
entreprises et leur enjoint de mettre en œuvre un certain nombre de mesures de
prévention de la corruption : un code de conduite, un dispositif d’alerte
interne, une cartographie des risques, un dispositif d’évaluation des risques
des tiers, un contrôle comptable, une formation destinée aux personnels les
plus exposés aux risques de corruption, un régime disciplinaire et un
dispositif de contrôle interne ; huit « piliers » dont l’AFA est
chargée de contrôler la mise en œuvre.
Nommé à sa tête dès sa création, Charles Duchaine
qualifie volontiers l’agence gouvernementale qu’il dirige et a vu naître
« d’ornithorynque administratif » ; car si elle est
soumise à l’autorité du ministre de la Justice et du ministre en charge du
Budget, son directeur, « magistrat judiciaire hors hiérarchie »,
doit se tenir à une obligation d’indépendance : il ne peut ni solliciter
ni recevoir d’instructions d’une quelconque autorité administrative gouvernementale
dans l’exercice de ses missions de contrôle.
Son fonctionnement, en revanche, est plus trivial,
puisque l’AFA a calqué son organisation sur les dispositions de la loi, et
comporte deux sous-directions : l’une s’occupe du contrôle, tandis que l’autre
est chargée du conseil, de l’analyse stratégique et des affaires
internationales ; chacune composée de deux départements (acteurs
économiques et acteurs publics).
Côté
budget, l’AFA est rattachée au programme 218 du secrétariat général de Bercy.
Bien que Charles Duchaine estime l’Agence « peu dispendieuse »
dans la réalisation de ses missions, c’est en termes de recrutement que le bât
blesse. Alors qu’une étude d’impact avait établi à 70 le nombre d’équivalents
temps plein (ETP), le service n’a jamais pu atteindre cet effectif,
regrette-t-il, et plafonne aujourd’hui à 53. Pour le directeur de l’AFA, cela
« empêche l’Agence de fonctionner dans toute sa dimension ».
« Nous n’avons pas eu le temps de terminer notre construction que déjà
nous avons été appelés à réduire nos effectifs », indique-t-il.
« Cela implique de faire des choix et de sacrifier certaines
missions. » Pour autant, le directeur se félicite d’avoir su
diversifier les recrutements au sein de l’Agence. « La corruption
concerne tous les secteurs, et je souhaitais recruter partout pour comprendre
et couvrir tous les spectres de nos missions : nous avons donc des
fonctionnaires d’État, hospitaliers, territoriaux, et plus de 30 %
d’agents contractuels – ce qui n’était pas le cas à notre création, car le
recours aux contractuels doit être justifié. »
Des recommandations comme
« modes d’emploi »
Au titre de son activité de conseil, l’AFA reçoit
diverses requêtes lui réclamant son aide : un maire qui s'enquiert de la
possible vente d’un terrain, une entreprise qui lui demande son avis sur une
opération ponctuelle… « Nous apportons également, sur sollicitation des
collectivités territoriales ou des entreprises, un appui individualisé :
nous pouvons intervenir pour donner des avis méthodologiques sur leur manière
de mettre en œuvre leur dispositif anti-corruption. »
L’Agence est également habilitée à former, sensibiliser,
lors de ses interventions au sein des universités, grandes écoles, entreprises,
associations, etc. Objectif, pour Charles Duchaine : changer les
mentalités, et ce, le plus tôt possible. « Il existe une certaine
tolérance à l’égard de la corruption, car en France, cela se voit moins
qu’ailleurs. Or la corruption représente une perte de ressources publiques et
une perte de confiance dans les institutions publiques, et, à terme, la fin de
l’État de droit », met-il en garde.
Rapidement après sa création, l’Agence a constaté qu’il
était nécessaire d’expliquer aux personnes assujetties comment mettre en œuvre
ces nouvelles obligations, et de formaliser ces lignes directrices. « Dès
le mois de décembre 2017, nous avons décidé de rédiger nos premières
recommandations, comme un mode d’emploi de la loi », témoigne Charles
Duchaine. « Nous avons assisté à des discussions juridiques à n’en plus
finir. Si nous n’avions rien écrit, on nous aurait reproché de laisser les
entreprises dans l’embarras, et lorsque nous écrivions, certains nous
reprochaient d’ajouter à la loi. » Les recommandations de l’AFA ne
sont pas dépourvues de valeur juridique – la Commission des sanctions considère
que si les entreprises s’y conforment, elles bénéficient d’une présomption de
conformité –, cependant, elles n’ont pas de force contraignante : les
entreprises ne sont pas tenues de s’y conformer, et peuvent agir selon d’autres
méthodes. « Elles ont en revanche une obligation de résultat, et si
elles n’adoptent pas nos préconisations, ce sera à elles, en cas de contrôle ou
de poursuite pour défaut de conformité, de démontrer que la méthode mise en
œuvre permet d’atteindre des résultats équivalents à ceux permis par l’AFA. »
Par ailleurs, ces recommandations ont vocation à
s’étendre à toutes les entreprises et pas seulement à celles, visées par la
loi, de plus de 500 salariés et réalisant un chiffre d’affaires supérieur à
100 millions d’euros. Les recommandations de 2017 ont été réactualisées le
12 janvier 2021 et publiées au Journal Officiel : l’Agence a tenté
à cette occasion de couvrir « un public plus large », via
trois types de préconisations : celles qui concernent tout le monde,
celles qui concernent les acteurs publics et celles qui concernent les
entreprises assujetties.
Au-delà, l’AFA publie aussi des fiches et des guides
techniques sur certains thèmes et secteurs, parfois en collaboration avec une
entreprise ou un secteur, comme celui de BTP récemment, ou celui des assurances
bientôt. « Nous essayons de nous montrer attentifs à la demande des
entreprises et acteurs publics qui souhaitent avoir des informations sur tel ou
tel sujet », assure Charles Duchaine. « Ces guides sont moins
solides que nos recommandations, moins stabilisés car ils peuvent être amenés à
changer, mais quand leur teneur aura durci, je n’exclus pas la possibilité de
faire passer leur contenu dans les recommandations publiées au JO. »
Malgré les divers guides et recommandations publiés par
l’AFA, Damien Goubau, directeur aux affaires juridiques chez le constructeur
Demathieu-Bard, pointe qu’il existe « encore un fichu écart entre le
point de départ et le point d’atterrissage ». L’article 17 est « outrancièrement
synthétique », martèle-t-il. La loi donne un objectif et laisse les
moyens d’y arriver : à son sens, « c’est la tendance de l’histoire »,
puisque la même méthode apparaît au travers du Règlement général sur la
protection des données (RGPD) du 27 avril 2016. « Il s’agit d’un animal
juridique relativement nouveau pour nous qui sommes habitués à un système de
droit écrit précis. On se retrouve avec des grands principes, et à nous de mettre
le contenu, qui doit atteindre le résultat qui nous est donné »,
expose Damien Goubau.
De ce fait, le juriste indique « viser avant
tout le pragmatisme » et utiliser les modes d’emploi de l’AFA pour
« en faire quelque chose de concret et qui fonctionne ».
D’autant que les recommandations sont regardées de près par les directeurs
juridiques français. « On sait que le risque est d’être fustigé dans un
rapport ou d’arriver devant le bureau des sanctions. Personne n’a envie d’aller
faire de la jurisprudence devant les juridictions de recours ! »
Contrôler les acteurs les plus exposés
Les contrôles de l’AFA, quant à
eux, sont décidés librement par le directeur de l’Agence, sans condition de
justification, ni de plainte ou dénonciation préalable. « Toutefois, on ne fait pas cela n’importe comment ! », nuance Charles Duchaine. La loi Sapin 2 ayant un
objectif de protection économique, l’AFA a considéré, en termes stratégiques,
qu’il convenait d’inspecter en priorité les acteurs économiques les plus
exposés. « Nous avons d’abord contrôlé les plus grands groupes et ceux
qui avaient une activité importante à l’international. De la même manière, nous
nous sommes tournés en premier lieu vers les régions, qui ont davantage les
moyens de mettre en œuvre ce type de dispositif, et qui assurent la gestion de
fonds européens. » En outre, l’Agence tente de se spécialiser par
filière. « C’est ainsi que nous avons contrôlé six entreprises dans le
même secteur au même moment, et nous continuerons de mener ce type de contrôles
qui nous permettent d’enrichir nos connaissances et d’améliorer nos compétences
dans notre relation avec ces acteurs », soutient son directeur.
Hormis les cas laissés à l’appréciation du directeur, la
loi prévoit que le président de la Haute autorité pour la transparence de la
vie publique, le Premier ministre, les ministres ou les préfets peuvent
demander un contrôle à l’Agence, qui n’est pas tenue de s’exécuter. « Néanmoins,
nous n’avons aucune raison de nous y opposer si la demande est motivée par des
éléments objectifs », commente Charles Duchaine. D’autant que si le
directeur de l’AFA pensait être « submergé » de demandes,
selon ses propres termes, l’expérience ne lui donne pas vraiment raison. Depuis
2017, l’Agence n’a été saisie qu’une seule fois ; par un préfet.
Les contrôles menés ne concernent que les entreprises
assujetties à l’obligation de mettre en œuvre les points de
l’article 7 précité. Les « grandes entreprises » visées sont celles
qui comptent au moins 500 salariés et un chiffre d’affaires supérieur à
100 millions d’euros ; ou des entités plus petites appartenant à un groupe
qui atteindrait les seuils, à la condition que le siège de la société mère soit
situé en France. « On peut donc contrôler un certain nombre
d’entreprises étrangères, et depuis notre création, 23 % de nos contrôles
concernent des sociétés appartenant à un groupe étranger. Mais un certain
nombre nous échappent, raison pour laquelle nous avons proposé au législateur
de supprimer cette condition de territorialité du siège de la société mère »,
informe le directeur de l’AFA.
Autre point « regrettable » selon
lui : bien que le législateur ait prévu dans son article 17 un certain
nombre d'obligations précises pour les entreprises avec sanctions à la clef,
ces mesures n’ont parallèlement pas été adoptées pour les acteurs publics, de
sorte que les contrôles sont possibles, mais ne peuvent pas donner lieu à
sanction. De plus, l’article 3 de la loi précise que l’Agence peut aussi
contrôler les acteurs publics – administrations de l’État, centrales ou
déconcentrées, collectivités territoriales, leurs établissements, les
fondations, associations reconnues d’utilité publique… « Malheureusement,
la liste n’est pas complète et un certain nombre de structures échappent à
notre contrôle, notamment des associations qui pourtant reçoivent des
subventions et mériteraient d’être un peu plus contrôlées car elles sont
parfois utilisées par certains élus pour éluder les règles de la comptabilité
publique », désapprouve Charles Duchaine, qui émet le vœu d’un
élargissement des compétences du service.
Depuis le début de son activité, l’AFA a engagé
159 contrôles dont 108 auprès d’acteurs économiques, 51 auprès d’acteurs
publics.
« Tout document »
dans le viseur
Quand
le contrôle est possible, concrètement, son déroulement est ensuite
invariablement le même. Son ouverture est notifiée au responsable de
l’entreprise ou au président du conseil départemental / directeur général du
service. « Cela se traduit d'abord par une rencontre avec la personne
désignée pour être notre interlocuteur. Nous essayons de comprendre
l’entreprise, son modèle économique. Puis nous demandons un certain nombre de
documents : nous envoyons un questionnaire volumineux qui comprend des
demandes de production de documents ainsi que des questions, et qui peut être
enrichi au fur et à mesure de la relation entretenue au fil des mois avec
l’entreprise. »
Sur
la notion de « tout document », Frédéric Lalance soulève que cette
question a généré deux types de difficultés. D’abord, certaines entreprises
contrôlées ont estimé que les demandes de documents formulées par l’AFA ne
rentraient pas dans le champ de ses prérogatives et n’étaient pas pertinentes
au regard du but poursuivi. « La réponse apportée à cette question
n’est, de mon point de vue, pas satisfaisante », fustige
l’avocat : la Commission des sanctions a considéré qu’elle n’était pas
juge de la régularité ou non de la demande de production de documents : si
l’entreprise a un problème à ce sujet, elle doit aller voir le juge pénal.
« Cela veut dire que c’est à l’entreprise de prendre ce risque et
d’estimer qu’elle refuse de communiquer un document, au risque de voir
constatée par l’Agence une éventuelle entrave à ses pouvoirs et à s’en
expliquer devant un juge pénal », s’inquiète Frédéric Lalance. Autre
difficulté, estime-t-il : l’Agence considère que le secret professionnel
ne lui est pas opposable. Elle cherche en effet à savoir dans quelles
conditions l’entreprise a diligenté les analyses, enquêtes, permettant
d’orienter son plan de conformité dans telle ou telle direction, et estime que
quel que soit le professionnel amené à participer à ces analyses, fût-ce un
avocat, le secret professionnel ne lui est pas opposable. « Je ne suis
pas en accord avec ce point de vue, fait savoir l’avocat. On peut
considérer que, dans le cadre de son intervention, l’avocat peut être amené à
donner un avis à l’entreprise sur la fiabilité, l’efficacité des choix qu’elle
fait au regard des recommandations de l’AFA, et avoir accès à ce type de
document est de nature à l’incriminer dans le cadre de la procédure de sanction. »
Après le contrôle sur pièces, l’AFA réalise un contrôle
sur place. En théorie en tout cas, puisqu’en pratique, depuis deux ans, la
pandémie a évidemment bousculé les choses. Ce que Charles Duchaine
relativise : « La crise sanitaire nous a imposé de beaucoup
travailler par téléphone ou par visioconférence, sans que cela ne nuise
particulièrement à la qualité du résultat, mais notre travail a perdu un peu de
sa saveur. Nous revenons sur le terrain quand nous pouvons. » L’Agence
peut de nouveau réclamer tout document relatif à l’entreprise, et procéder à
des entretiens au sein d’une entreprise ou à l’extérieur (commissaire aux
comptes, banquiers, clients, fournisseurs, intermédiaires...). « Nous
avons pris la décision de ne pas recevoir les déclarations par procès-verbal,
pour ne pas nous engager dans cette complexité » indique Charles
Duchaine. À ce titre, Frédéric Lalance cite deux décisions de la Commission des
sanctions, qui, en 2019 et 2020, a considéré qu’elle devait apprécier la
conformité des plans de prévention de l’entreprise à la date à laquelle elle
statue. « C’est important, car les entreprises estimaient qu’entre le
moment du contrôle et le moment où la Commission s’était prononcée, elles
avaient apporté des améliorations à leur politique de conformité –
améliorations actées par la Commission des sanctions qui a considéré qu’il n’y
avait pas matière à sanction ».
Charles Duchaine explique qu’au départ, l’AFA réalisait
des contrôles exhaustifs « un peu ambitieux », en inspectant
chaque groupe sur les huit mesures prévues par la loi Sapin 2. « La
durée de nos contrôles a souvent été excessive au début de notre activité, car
nous avons inventé le métier, la feuille était blanche. C’était utile,
mais aujourd’hui, pour avoir un impact plus fort et aller plus vite, nous
faisons des contrôles qui ne portent que sur certaines mesures de
l’article 17 : la cartographie et l’évaluation des tiers, mais aussi un
autre critère que nous avons établi : l’engagement de l’instance
dirigeante. Si l’on insiste là-dessus, le reste suit tout seul »,
certifie Charles Duchaine. L’Agence vérifie si les procédures ont été mises en
place, si elles sont effectivement appliquées, et si toutes les conséquences en
sont tirées. « Par exemple, quand on se rend dans les collectivités
territoriales, on regarde dans quelles conditions sont recouvrées les
indemnités d’occupation du domaine public. On vérifie comment les subventions
sont versées, si leur bon usage a été vérifié, etc. » Parfois, l’AFA
met au jour des infractions, et doit alors faire un avis au procureur sur le
fondement de l’article 40 du Code de procédure pénale.
Le contrôle donne lieu à une période de contradictoire
durant laquelle l’entreprise peut faire des observations, et si l’AFA estime
que les manquements sont nombreux, graves et persistants, son directeur peut
saisir la Commission des sanctions qui infligera, le cas échéant, des sanctions
administratives. Il peut s’agir ou bien de peines d’amende allant jusqu’à
200 000 euros pour les personnes physiques, 1 million d’euros pour les
personnes morales, ou bien il peut s’agir de mesures d’injonction de mise en
œuvre d’un programme de conformité sous le contrôle de l’Agence, ou encore de
mesures de publicité. Jusqu’ici, l’AFA a saisi la Commission des sanctions
seulement deux fois depuis sa création.
Charles Duchaine porte un regard réaliste mais plein d’optimisme sur « son » Agence. Le directeur de l’AFA juge fondamental de poursuivre le chantier entrepris, et insiste sur le « travail colossal » réalisé avec les autorités étrangères. Sur ce point, il en est sûr, la loi Sapin 2 a « restauré l’image de la France », notamment aux yeux d’un certain nombre de pays qui se montrent moins agressifs et plus en confiance. « Plus nous montrerons l’exemple, moins nous serons embêtés », assure-t-il.
Aujourd’hui, constate Charles
Duchaine, la plupart des entreprises et des collectivités territoriales ont
compris que l’AFA n’était « pas là pour les embêter mais pour les aider ».
Un constat partagé par Damien Goubau, bien qu’il faille généralement qu’elles
en fassent l’expérience pour s’en rendre compte, tempère-t-il. « Pour
avoir échangé avec des confrères d’autres entreprises, et bien que le sujet
soit quelque peu tabou – personne n’aime dire qu’il a fait l’objet d’un
contrôle –, il m’a semblé que la plupart des entreprises n’auraient pas abordé
le contrôle de la même manière si elles avaient su comment il se déroulait.
Quand vous recevez votre lettre de l’AFA disant que vous êtes placé sous
contrôle, d’emblée vous êtes méfiant, vous vous posez mille questions. Mais
lorsque l’ensemble du contrôle s’est déroulé, que l’on a appris à se connaître,
on se rend compte qu’on s’est fait des nœuds au cerveau pour rien et qu’on
aurait abordé le contrôle avec plus d’ouverture, de confort. »
Pour le directeur aux affaires
juridiques, l’Agence est désormais « une institution qui fait référence »
et qui doit être prise en compte plus que comme un simple organe de contrôle.
Le juriste affirme percevoir que le
contrôle se transforme souvent en conseil : « Bien que l’AFA ne
délivre pas de conseils durant le contrôle, tout au long du processus, nous
voyons très bien où les contrôleurs veulent faire arriver l’entreprise dans son
plan de prévention des pratiques non éthiques, où nous avons besoin de nous
améliorer, à travers les questions qu’ils nous posent. » Le contrôle a
donc une vraie vertu pédagogique, selon lui, bien qu’il juge dommage « d’avoir
à interpréter les mimiques et les réactions ». En guise
d’amélioration, ajoute-t-il, l’AFA pourrait donc formellement apporter une
mission de conseil à l’occasion de sa mission de contrôle ou en-dehors. « Le
but n’est pas de lui demander de faire le plan de prévention, mais de l’amener
à passer du général et abstrait à l’individuel et concret. »
(R)évolution des mentalités
Car il ne suffit pas de faire de la
conformité d’apparence, souligne Damien Goubau. « On a dépassé l’idée
qu’en faisant de la gesticulation, on sauvait les meubles. Nous devons
appliquer les mesures de conformité de façon concrète non seulement dans les
entreprises grandes et structurées mais aussi dans les PME. » D’autant
que si seules 1 500 entreprises françaises relèvent de la loi Sapin 2,
appuie Frédéric Lalance, les huit piliers relevant de la conformité, « par
capillarité, se diffusent au sein de l’ensemble du tissu économique français »,
puisqu’un grand nombre de groupes soumis à ces obligations vont également
imposer à leurs partenaires d’y souscrire.
Selon l’avocat, la première obligation
est d’accepter puis d’acter au sein de l’entreprise et de sa direction, « moteur
dans la mise en œuvre du plan de conformité », le fait que ledit plan
nécessite un investissement substantiel. Investissement auquel il convient de
dédier des « ressources importantes »... notamment en vue des
contrôles de l’AFA, « intenses et intrusifs ».
L’avis de ces deux spécialistes n’est
pas isolé. Après cinq ans de contrôles, Charles Duchaine se rend compte que, de
façon globale, les esprits ont largement évolué. « Lors des premiers
contrôles en 2017, il n’y avait rien, même dans un certain nombre de grandes
entreprises. Seules celles qui avaient été sanctionnées par des justices
étrangères étaient un peu plus sensibilisées et avaient mis en place des
dispositifs. Désormais, ce n’est plus le cas : quand on arrive dans un
groupe, certes on constate toujours des manquements, mais on trouve des
dispositifs, des cartographies convenables. Certaines mesures sont faibles, mais
ce ne sont plus des mesures complètement désordonnées », résume-t-il.
Aujourd’hui, la dimension systémique des dispositifs a bien été comprise, dans
les entreprises comme dans les collectivités, précise Charles Duchaine. « Évidemment, on ne se rend pas dans les mairies des
villes de 1 500 habitants, mais dans les régions et départements, et même
si c’est loin d’être parfait, une certaine culture se met en place : il y
a des référents déontologues, des référents alertes… Les gens ont pris les
choses en main et ont notamment compris qu’on demandait surtout un contrôle
interne, qui ne fait pas seulement plaisir à l’AFA, mais qui permet aussi de
faire des économies, et de détecter des fraudes – dont on peut être aussi
victime. » Le
directeur de l’AFA résume : « mettre en place des mesures, c’est à
la fois se protéger contre les mauvaises tentations et contre les autres ».
Bérengère Margaritelli
THÉMATIQUES ASSOCIÉES
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