5 ans après, quel bilan pour l’Agence française anticorruption ?


mercredi 23 février 202217 min
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Créée par la loi Sapin 2 et érigée en gardienne de la conformité, l’AFA, après quelques tâtonnements, paraît avoir pris ses marques. Malgré un manque d’effectifs, les actions de sensibilisation et de contrôle qu’elle mène semble entrer dans les mœurs, dans un contexte global où la lutte contre la corruption est de plus en plus prise au sérieux par les entreprises et les acteurs publics.

 




La semaine dernière, l’AFP révélait que le procureur Xavier Bonhomme avait ouvert fin novembre trois enquêtes préliminaires sur la gestion de la Chambre de commerce et d’industrie de Nice pour des faits éventuels de prise illégale d’intérêts, favoritisme et détournement de fonds, à la suite d’un rapport rendu par l’Agence française anticorruption (AFA), dévoilé par Médiapart, faisant état de « nombreux dysfonctionnements et l’absence de respect des procédures ».

L’occasion de mettre un coup de projecteur sur l’AFA qui, si elle fait d’ordinaire peu parler d’elle, a été l’objet d’une conférence au tribunal de commerce de Paris, le 24 janvier dernier, destinée à faire le point sur ses missions et ses cinq années d’activité. Originalité de cette agence née en 2017 : présenter à la fois un volet de sensibilisation et de conseil des acteurs publics et privés en vue de la mise en œuvre de leurs dispositifs anticorruption, mais aussi un volet de contrôle, comme le souligne le président du Tribunal de commerce Paul-Louis Netter en préambule de cette présentation.

De quoi la distinguer de son ancêtre lancé en 1993, le Service central de prévention de la corruption (SCPC). Un service « laissé dans un rôle contemplatif », estime le directeur de l’Agence, Charles Duchaine, puisque le Conseil constitutionnel avait censuré les dispositions qui lui accordaient des pouvoirs de contrôle. « Le SCPC établissait chaque année un rapport, mais sans avoir le moindre impact sur la réalité des choses », déplore-t-il.

Un certain nombre de critiques s’étaient accumulées contre la France, notamment de la part des organisations internationales telles que l’OCDE. « On soupçonnait notre pays de ne pas avoir de volonté en la matière ; de ne pas suffisamment poursuivre et condamner les entreprises, puisqu’aucune personne morale n’était jamais condamnée, et quand une condamnation était prononcée, on s’accordait à dire qu’elle était ridicule », développe le directeur de l’AFA. La France assistait donc à la multiplication de sanctions lourdes à l’encontre de ses entreprises par la justice américaine, qui arguait que la lutte contre la corruption était un combat collectif impliquant d’établir des règles communes et de s’y plier. « Le raisonnement des Américains était simple : “puisque vous ne faites pas le boulot, on vient le faire chez vous” ». Autant de raisons qui ont poussé le législateur à agir – sans oublier un motif financier non négligeable, pointe de son côté l’avocat Frédéric Lalance, également présent lors de la conférence, puisque la corruption coûte à l’Europe pas moins de 100 milliards d’euros par an.

 

 

Un ornithorynque administratif

L’Agence a ainsi été instaurée, rappelle Marc Ringlé, président de l’association Droit et Commerce, par la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite Sapin 2, promulguée le 16 décembre 2016 pour doter la France « d’outils innovants permettant de détecter, prévenir et sanctionner efficacement la corruption et les atteintes à la probité ». Le texte introduit également à son fameux article 17 une obligation de vigilance pour les grandes entreprises et leur enjoint de mettre en œuvre un certain nombre de mesures de prévention de la corruption : un code de conduite, un dispositif d’alerte interne, une cartographie des risques, un dispositif d’évaluation des risques des tiers, un contrôle comptable, une formation destinée aux personnels les plus exposés aux risques de corruption, un régime disciplinaire et un dispositif de contrôle interne ; huit « piliers » dont l’AFA est chargée de contrôler la mise en œuvre. 

Nommé à sa tête dès sa création, Charles Duchaine qualifie volontiers l’agence gouvernementale qu’il dirige et a vu naître « d’ornithorynque administratif » ; car si elle est soumise à l’autorité du ministre de la Justice et du ministre en charge du Budget, son directeur, « magistrat judiciaire hors hiérarchie », doit se tenir à une obligation d’indépendance : il ne peut ni solliciter ni recevoir d’instructions d’une quelconque autorité administrative gouvernementale dans l’exercice de ses missions de contrôle.

Son fonctionnement, en revanche, est plus trivial, puisque l’AFA a calqué son organisation sur les dispositions de la loi, et comporte deux sous-directions : l’une s’occupe du contrôle, tandis que l’autre est chargée du conseil, de l’analyse stratégique et des affaires internationales ; chacune composée de deux départements (acteurs économiques et acteurs publics).

Côté budget, l’AFA est rattachée au programme 218 du secrétariat général de Bercy. Bien que Charles Duchaine estime l’Agence « peu dispendieuse » dans la réalisation de ses missions, c’est en termes de recrutement que le bât blesse. Alors qu’une étude d’impact avait établi à 70 le nombre d’équivalents temps plein (ETP), le service n’a jamais pu atteindre cet effectif, regrette-t-il, et plafonne aujourd’hui à 53. Pour le directeur de l’AFA, cela « empêche l’Agence de fonctionner dans toute sa dimension ». « Nous n’avons pas eu le temps de terminer notre construction que déjà nous avons été appelés à réduire nos effectifs », indique-t-il. « Cela implique de faire des choix et de sacrifier certaines missions. » Pour autant, le directeur se félicite d’avoir su diversifier les recrutements au sein de l’Agence. « La corruption concerne tous les secteurs, et je souhaitais recruter partout pour comprendre et couvrir tous les spectres de nos missions : nous avons donc des fonctionnaires d’État, hospitaliers, territoriaux, et plus de 30 % d’agents contractuels – ce qui n’était pas le cas à notre création, car le recours aux contractuels doit être justifié. »

 

 

Des recommandations comme « modes d’emploi »

Au titre de son activité de conseil, l’AFA reçoit diverses requêtes lui réclamant son aide : un maire qui s'enquiert de la possible vente d’un terrain, une entreprise qui lui demande son avis sur une opération ponctuelle… « Nous apportons également, sur sollicitation des collectivités territoriales ou des entreprises, un appui individualisé : nous pouvons intervenir pour donner des avis méthodologiques sur leur manière de mettre en œuvre leur dispositif anti-corruption. »

L’Agence est également habilitée à former, sensibiliser, lors de ses interventions au sein des universités, grandes écoles, entreprises, associations, etc. Objectif, pour Charles Duchaine : changer les mentalités, et ce, le plus tôt possible. « Il existe une certaine tolérance à l’égard de la corruption, car en France, cela se voit moins qu’ailleurs. Or la corruption représente une perte de ressources publiques et une perte de confiance dans les institutions publiques, et, à terme, la fin de l’État de droit », met-il en garde.

Rapidement après sa création, l’Agence a constaté qu’il était nécessaire d’expliquer aux personnes assujetties comment mettre en œuvre ces nouvelles obligations, et de formaliser ces lignes directrices. « Dès le mois de décembre 2017, nous avons décidé de rédiger nos premières recommandations, comme un mode d’emploi de la loi », témoigne Charles Duchaine. « Nous avons assisté à des discussions juridiques à n’en plus finir. Si nous n’avions rien écrit, on nous aurait reproché de laisser les entreprises dans l’embarras, et lorsque nous écrivions, certains nous reprochaient d’ajouter à la loi. » Les recommandations de l’AFA ne sont pas dépourvues de valeur juridique – la Commission des sanctions considère que si les entreprises s’y conforment, elles bénéficient d’une présomption de conformité –, cependant, elles n’ont pas de force contraignante : les entreprises ne sont pas tenues de s’y conformer, et peuvent agir selon d’autres méthodes. « Elles ont en revanche une obligation de résultat, et si elles n’adoptent pas nos préconisations, ce sera à elles, en cas de contrôle ou de poursuite pour défaut de conformité, de démontrer que la méthode mise en œuvre permet d’atteindre des résultats équivalents à ceux permis par l’AFA. »

Par ailleurs, ces recommandations ont vocation à s’étendre à toutes les entreprises et pas seulement à celles, visées par la loi, de plus de 500 salariés et réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros. Les recommandations de 2017 ont été réactualisées le 12 janvier 2021 et publiées au Journal Officiel : l’Agence a tenté à cette occasion de couvrir « un public plus large », via trois types de préconisations : celles qui concernent tout le monde, celles qui concernent les acteurs publics et celles qui concernent les entreprises assujetties.









Au-delà, l’AFA publie aussi des fiches et des guides techniques sur certains thèmes et secteurs, parfois en collaboration avec une entreprise ou un secteur, comme celui de BTP récemment, ou celui des assurances bientôt. « Nous essayons de nous montrer attentifs à la demande des entreprises et acteurs publics qui souhaitent avoir des informations sur tel ou tel sujet », assure Charles Duchaine. « Ces guides sont moins solides que nos recommandations, moins stabilisés car ils peuvent être amenés à changer, mais quand leur teneur aura durci, je n’exclus pas la possibilité de faire passer leur contenu dans les recommandations publiées au JO. »

Malgré les divers guides et recommandations publiés par l’AFA, Damien Goubau, directeur aux affaires juridiques chez le constructeur Demathieu-Bard, pointe qu’il existe « encore un fichu écart entre le point de départ et le point d’atterrissage ». L’article 17 est « outrancièrement synthétique », martèle-t-il. La loi donne un objectif et laisse les moyens d’y arriver : à son sens, « c’est la tendance de l’histoire », puisque la même méthode apparaît au travers du Règlement général sur la protection des données (RGPD) du 27 avril 2016. « Il s’agit d’un animal juridique relativement nouveau pour nous qui sommes habitués à un système de droit écrit précis. On se retrouve avec des grands principes, et à nous de mettre le contenu, qui doit atteindre le résultat qui nous est donné », expose Damien Goubau.

De ce fait, le juriste indique « viser avant tout le pragmatisme » et utiliser les modes d’emploi de l’AFA pour « en faire quelque chose de concret et qui fonctionne ». D’autant que les recommandations sont regardées de près par les directeurs juridiques français. « On sait que le risque est d’être fustigé dans un rapport ou d’arriver devant le bureau des sanctions. Personne n’a envie d’aller faire de la jurisprudence devant les juridictions de recours ! »

 

 

Contrôler les acteurs les plus exposés

Les contrôles de l’AFA, quant à eux, sont décidés librement par le directeur de l’Agence, sans condition de justification, ni de plainte ou dénonciation préalable. « Toutefois, on ne fait pas cela n’importe comment ! », nuance Charles Duchaine. La loi Sapin 2 ayant un objectif de protection économique, l’AFA a considéré, en termes stratégiques, qu’il convenait d’inspecter en priorité les acteurs économiques les plus exposés. « Nous avons d’abord contrôlé les plus grands groupes et ceux qui avaient une activité importante à l’international. De la même manière, nous nous sommes tournés en premier lieu vers les régions, qui ont davantage les moyens de mettre en œuvre ce type de dispositif, et qui assurent la gestion de fonds européens. » En outre, l’Agence tente de se spécialiser par filière. « C’est ainsi que nous avons contrôlé six entreprises dans le même secteur au même moment, et nous continuerons de mener ce type de contrôles qui nous permettent d’enrichir nos connaissances et d’améliorer nos compétences dans notre relation avec ces acteurs », soutient son directeur.

Hormis les cas laissés à l’appréciation du directeur, la loi prévoit que le président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, le Premier ministre, les ministres ou les préfets peuvent demander un contrôle à l’Agence, qui n’est pas tenue de s’exécuter. « Néanmoins, nous n’avons aucune raison de nous y opposer si la demande est motivée par des éléments objectifs », commente Charles Duchaine. D’autant que si le directeur de l’AFA pensait être « submergé » de demandes, selon ses propres termes, l’expérience ne lui donne pas vraiment raison. Depuis 2017, l’Agence n’a été saisie qu’une seule fois ; par un préfet.

Les contrôles menés ne concernent que les entreprises assujetties à l’obligation de mettre en œuvre les points de l’article 7 précité. Les « grandes entreprises » visées sont celles qui comptent au moins 500 salariés et un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros ; ou des entités plus petites appartenant à un groupe qui atteindrait les seuils, à la condition que le siège de la société mère soit situé en France. « On peut donc contrôler un certain nombre d’entreprises étrangères, et depuis notre création, 23 % de nos contrôles concernent des sociétés appartenant à un groupe étranger. Mais un certain nombre nous échappent, raison pour laquelle nous avons proposé au législateur de supprimer cette condition de territorialité du siège de la société mère », informe le directeur de l’AFA.

Autre point « regrettable » selon lui : bien que le législateur ait prévu dans son article 17 un certain nombre d'obligations précises pour les entreprises avec sanctions à la clef, ces mesures n’ont parallèlement pas été adoptées pour les acteurs publics, de sorte que les contrôles sont possibles, mais ne peuvent pas donner lieu à sanction. De plus, l’article 3 de la loi précise que l’Agence peut aussi contrôler les acteurs publics – administrations de l’État, centrales ou déconcentrées, collectivités territoriales, leurs établissements, les fondations, associations reconnues d’utilité publique… « Malheureusement, la liste n’est pas complète et un certain nombre de structures échappent à notre contrôle, notamment des associations qui pourtant reçoivent des subventions et mériteraient d’être un peu plus contrôlées car elles sont parfois utilisées par certains élus pour éluder les règles de la comptabilité publique », désapprouve Charles Duchaine, qui émet le vœu d’un élargissement des compétences du service.

Depuis le début de son activité, l’AFA a engagé 159 contrôles dont 108 auprès d’acteurs économiques, 51 auprès d’acteurs publics.

 

 

« Tout document » dans le viseur

Quand le contrôle est possible, concrètement, son déroulement est ensuite invariablement le même. Son ouverture est notifiée au responsable de l’entreprise ou au président du conseil départemental / directeur général du service. « Cela se traduit d'abord par une rencontre avec la personne désignée pour être notre interlocuteur. Nous essayons de comprendre l’entreprise, son modèle économique. Puis nous demandons un certain nombre de documents : nous envoyons un questionnaire volumineux qui comprend des demandes de production de documents ainsi que des questions, et qui peut être enrichi au fur et à mesure de la relation entretenue au fil des mois avec l’entreprise. »








Sur la notion de « tout document », Frédéric Lalance soulève que cette question a généré deux types de difficultés. D’abord, certaines entreprises contrôlées ont estimé que les demandes de documents formulées par l’AFA ne rentraient pas dans le champ de ses prérogatives et n’étaient pas pertinentes au regard du but poursuivi. « La réponse apportée à cette question n’est, de mon point de vue, pas satisfaisante », fustige l’avocat : la Commission des sanctions a considéré qu’elle n’était pas juge de la régularité ou non de la demande de production de documents : si l’entreprise a un problème à ce sujet, elle doit aller voir le juge pénal. « Cela veut dire que c’est à l’entreprise de prendre ce risque et d’estimer qu’elle refuse de communiquer un document, au risque de voir constatée par l’Agence une éventuelle entrave à ses pouvoirs et à s’en expliquer devant un juge pénal », s’inquiète Frédéric Lalance. Autre difficulté, estime-t-il : l’Agence considère que le secret professionnel ne lui est pas opposable. Elle cherche en effet à savoir dans quelles conditions l’entreprise a diligenté les analyses, enquêtes, permettant d’orienter son plan de conformité dans telle ou telle direction, et estime que quel que soit le professionnel amené à participer à ces analyses, fût-ce un avocat, le secret professionnel ne lui est pas opposable. « Je ne suis pas en accord avec ce point de vue, fait savoir l’avocat. On peut considérer que, dans le cadre de son intervention, l’avocat peut être amené à donner un avis à l’entreprise sur la fiabilité, l’efficacité des choix qu’elle fait au regard des recommandations de l’AFA, et avoir accès à ce type de document est de nature à l’incriminer dans le cadre de la procédure de sanction. »

Après le contrôle sur pièces, l’AFA réalise un contrôle sur place. En théorie en tout cas, puisqu’en pratique, depuis deux ans, la pandémie a évidemment bousculé les choses. Ce que Charles Duchaine relativise : « La crise sanitaire nous a imposé de beaucoup travailler par téléphone ou par visioconférence, sans que cela ne nuise particulièrement à la qualité du résultat, mais notre travail a perdu un peu de sa saveur. Nous revenons sur le terrain quand nous pouvons. » L’Agence peut de nouveau réclamer tout document relatif à l’entreprise, et procéder à des entretiens au sein d’une entreprise ou à l’extérieur (commissaire aux comptes, banquiers, clients, fournisseurs, intermédiaires...). « Nous avons pris la décision de ne pas recevoir les déclarations par procès-verbal, pour ne pas nous engager dans cette complexité » indique Charles Duchaine. À ce titre, Frédéric Lalance cite deux décisions de la Commission des sanctions, qui, en 2019 et 2020, a considéré qu’elle devait apprécier la conformité des plans de prévention de l’entreprise à la date à laquelle elle statue. « C’est important, car les entreprises estimaient qu’entre le moment du contrôle et le moment où la Commission s’était prononcée, elles avaient apporté des améliorations à leur politique de conformité – améliorations actées par la Commission des sanctions qui a considéré qu’il n’y avait pas matière à sanction ».

Charles Duchaine explique qu’au départ, l’AFA réalisait des contrôles exhaustifs « un peu ambitieux », en inspectant chaque groupe sur les huit mesures prévues par la loi Sapin 2. « La durée de nos contrôles a souvent été excessive au début de notre activité, car nous avons inventé le métier, la feuille était blanche. C’était utile, mais aujourd’hui, pour avoir un impact plus fort et aller plus vite, nous faisons des contrôles qui ne portent que sur certaines mesures de l’article 17 : la cartographie et l’évaluation des tiers, mais aussi un autre critère que nous avons établi : l’engagement de l’instance dirigeante. Si l’on insiste là-dessus, le reste suit tout seul », certifie Charles Duchaine. L’Agence vérifie si les procédures ont été mises en place, si elles sont effectivement appliquées, et si toutes les conséquences en sont tirées. « Par exemple, quand on se rend dans les collectivités territoriales, on regarde dans quelles conditions sont recouvrées les indemnités d’occupation du domaine public. On vérifie comment les subventions sont versées, si leur bon usage a été vérifié, etc. » Parfois, l’AFA met au jour des infractions, et doit alors faire un avis au procureur sur le fondement de l’article 40 du Code de procédure pénale.

Le contrôle donne lieu à une période de contradictoire durant laquelle l’entreprise peut faire des observations, et si l’AFA estime que les manquements sont nombreux, graves et persistants, son directeur peut saisir la Commission des sanctions qui infligera, le cas échéant, des sanctions administratives. Il peut s’agir ou bien de peines d’amende allant jusqu’à 200 000 euros pour les personnes physiques, 1 million d’euros pour les personnes morales, ou bien il peut s’agir de mesures d’injonction de mise en œuvre d’un programme de conformité sous le contrôle de l’Agence, ou encore de mesures de publicité. Jusqu’ici, l’AFA a saisi la Commission des sanctions seulement deux fois depuis sa création. 

Charles Duchaine porte un regard réaliste mais plein d’optimisme sur « son » Agence. Le directeur de l’AFA juge fondamental de poursuivre le chantier entrepris, et insiste sur le « travail colossal » réalisé avec les autorités étrangères. Sur ce point, il en est sûr, la loi Sapin 2 a « restauré l’image de la France », notamment aux yeux d’un certain nombre de pays qui se montrent moins agressifs et plus en confiance. « Plus nous montrerons l’exemple, moins nous serons embêtés », assure-t-il.

Aujourd’hui, constate Charles Duchaine, la plupart des entreprises et des collectivités territoriales ont compris que l’AFA n’était « pas là pour les embêter mais pour les aider ». Un constat partagé par Damien Goubau, bien qu’il faille généralement qu’elles en fassent l’expérience pour s’en rendre compte, tempère-t-il. « Pour avoir échangé avec des confrères d’autres entreprises, et bien que le sujet soit quelque peu tabou – personne n’aime dire qu’il a fait l’objet d’un contrôle –, il m’a semblé que la plupart des entreprises n’auraient pas abordé le contrôle de la même manière si elles avaient su comment il se déroulait. Quand vous recevez votre lettre de l’AFA disant que vous êtes placé sous contrôle, d’emblée vous êtes méfiant, vous vous posez mille questions. Mais lorsque l’ensemble du contrôle s’est déroulé, que l’on a appris à se connaître, on se rend compte qu’on s’est fait des nœuds au cerveau pour rien et qu’on aurait abordé le contrôle avec plus d’ouverture, de confort. »

Pour le directeur aux affaires juridiques, l’Agence est désormais « une institution qui fait référence » et qui doit être prise en compte plus que comme un simple organe de contrôle.

Le juriste affirme percevoir que le contrôle se transforme souvent en conseil : « Bien que l’AFA ne délivre pas de conseils durant le contrôle, tout au long du processus, nous voyons très bien où les contrôleurs veulent faire arriver l’entreprise dans son plan de prévention des pratiques non éthiques, où nous avons besoin de nous améliorer, à travers les questions qu’ils nous posent. » Le contrôle a donc une vraie vertu pédagogique, selon lui, bien qu’il juge dommage « d’avoir à interpréter les mimiques et les réactions ». En guise d’amélioration, ajoute-t-il, l’AFA pourrait donc formellement apporter une mission de conseil à l’occasion de sa mission de contrôle ou en-dehors. « Le but n’est pas de lui demander de faire le plan de prévention, mais de l’amener à passer du général et abstrait à l’individuel et concret. »

 

 

(R)évolution des mentalités

Car il ne suffit pas de faire de la conformité d’apparence, souligne Damien Goubau. « On a dépassé l’idée qu’en faisant de la gesticulation, on sauvait les meubles. Nous devons appliquer les mesures de conformité de façon concrète non seulement dans les entreprises grandes et structurées mais aussi dans les PME. » D’autant que si seules 1 500 entreprises françaises relèvent de la loi Sapin 2, appuie Frédéric Lalance, les huit piliers relevant de la conformité, « par capillarité, se diffusent au sein de l’ensemble du tissu économique français », puisqu’un grand nombre de groupes soumis à ces obligations vont également imposer à leurs partenaires d’y souscrire.

Selon l’avocat, la première obligation est d’accepter puis d’acter au sein de l’entreprise et de sa direction, « moteur dans la mise en œuvre du plan de conformité », le fait que ledit plan nécessite un investissement substantiel. Investissement auquel il convient de dédier des « ressources importantes »... notamment en vue des contrôles de l’AFA, « intenses et intrusifs ».

L’avis de ces deux spécialistes n’est pas isolé. Après cinq ans de contrôles, Charles Duchaine se rend compte que, de façon globale, les esprits ont largement évolué. « Lors des premiers contrôles en 2017, il n’y avait rien, même dans un certain nombre de grandes entreprises. Seules celles qui avaient été sanctionnées par des justices étrangères étaient un peu plus sensibilisées et avaient mis en place des dispositifs. Désormais, ce n’est plus le cas : quand on arrive dans un groupe, certes on constate toujours des manquements, mais on trouve des dispositifs, des cartographies convenables. Certaines mesures sont faibles, mais ce ne sont plus des mesures complètement désordonnées », résume-t-il. Aujourd’hui, la dimension systémique des dispositifs a bien été comprise, dans les entreprises comme dans les collectivités, précise Charles Duchaine. « Évidemment, on ne se rend pas dans les mairies des villes de 1 500 habitants, mais dans les régions et départements, et même si c’est loin d’être parfait, une certaine culture se met en place : il y a des référents déontologues, des référents alertes… Les gens ont pris les choses en main et ont notamment compris qu’on demandait surtout un contrôle interne, qui ne fait pas seulement plaisir à l’AFA, mais qui permet aussi de faire des économies, et de détecter des fraudes – dont on peut être aussi victime. » Le directeur de l’AFA résume : « mettre en place des mesures, c’est à la fois se protéger contre les mauvaises tentations et contre les autres ».

 

Bérengère Margaritelli



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