« Des conditions de détention dégradées deviennent dégradantes » : un rapport parlementaire alerte sur la santé mentale en prison


mercredi 23 juillet6 min
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Un rapport d’information parlementaire rendu public le 10 juillet alerte sur une « aggravation alarmante » de la santé mentale des personnes placées sous main de justice. Les députées Josiane Corneloup (Les Républicains) et Elise Leboucher (La France insoumise) y formulent 100 préconisations pour sortir de cette impasse.

« On assiste à un déplacement de l’hôpital psychiatrique vers la prison », observait déjà le Comité consultatif national d'éthique en 2006.

Près de 20 ans plus tard, ce constat est toujours d’actualité, si l’on en croit un rapport d’information parlementaire sur l’évaluation de la prise en charge des troubles psychiques des personnes placées sous main de justice, rendu public le 10 juillet.

Des chiffres alarmants loin d’être nouveaux

Alertant sur une « surreprésentation des troubles à tous les stades de la détention », cette mission copilotée par Josiane Corneloup (Les Républicains) et Elise Leboucher (La France insoumise) rappelle quelques chiffres alarmants. A l’entrée en prison, les troubles psychiatriques sont trois fois plus représentés qu’en population générale, et jusqu’à huit fois pour les addictions. A la sortie, deux tiers des hommes et trois quarts des femmes présentent un trouble psychiatrique ou addictif.

La prévalence des idées et conduites suicidaires y est également très prégnante : le taux de suicide est 10 fois plus élevé pour les hommes et 40 fois plus élevé pour les femmes en prison qu’en population générale. En 2024, 141 suicides ont ainsi été déplorés en détention (soit un suicide tous les deux jours et demi) - un chiffre en augmentation d’environ 37 % depuis 2017.

Ces données criantes sont loin d’être nouvelles : « Au total, huit hommes détenus sur dix présentent au moins un trouble psychiatrique, la grande majorité en cumulant plusieurs parmi lesquels la dépression (40%), l’anxiété généralisée (33%) ou la névrose traumatique (20%). », détaille l’Observatoire international des prisons sur son site, qui fait état de pathologies psychiatriques « 20 fois plus élevés » en milieu fermé.

« Nous avons été confrontées à une absence de données chiffrées sur les différents types de situations, donc à une difficulté à les réévaluer », commente la députée Elise Leboucher auprès du JSS. « L’un des gros sujets, c’est la gouvernance et le pilotage : on est face à deux ministères, la Santé et la Justice, qui doivent travailler ensemble, mais qui ont du mal à parler la même langue ». A une exception près : « Sauf localement, où il y a parfois une vraie cohésion et un partage d’information, mais cela est très dépendant des personnes sur place. », ajoute-t-elle.

Une prise en charge inégale sur le territoire

A l’échelle locale justement, « on a de plus en plus de détenus complètement désœuvrés », constate Mathieu Lacambre, qui a travaillé 20 ans en prison et est aujourd’hui responsable de l’unité de soins intensifs psychiatriques (USIP) du CHU de Montpellier, laquelle accueille des détenus en hospitalisation.

« La composante addicto est aussi très importante. Cela favorise l’exclusion, la souffrance, et ensuite c’est un engrenage », observe-t-il. Dans son service, les détenus occupent en moyenne un tiers des places : 5-6 sont hospitalisés en psychiatrie sur 15 lits. A Villeneuve-lès-Maguelone, qui compte un centre pénitentiaire et une maison d’arrêt, il y a, selon Mathieu Lacambre, 20 % d’épisodes dépressifs majeurs associés à des idées suicidaires, environ 90 % d’addiction au tabac, 70 % au cannabis et 60 % à l’alcool.

Unité de recours pour les « décompensations graves », l’USIP de l’hôpital de la Colombière du CHU de Montpellier est souvent sollicitée face à la saturation des autres services prenant en charge des détenus, par ailleurs répartis inégalement sur le territoire.

« En cas d’hospitalisation la personne sera hospitalisée de préférence à l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Toulouse mais les délais peuvent être d’une semaine pour une admission en SDRE (Soins psychiatriques sur décision d'un représentant de l'Etat, ndlr), voire de trois semaines pour une hospitalisation avec le consentement du patient », décrivait en 2015 un rapport de visite du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) au Centre pénitentiaire de Villeneuve-lès-Maguelone.

« Au moment du contrôle, au moins quinze patients nécessitent des soins psychiatriques en dehors de l’établissement : cinq patients sont à l’UHSA et deux en attente d’une prise en charge ; deux patients sont suivis par le SMPR (Service médico-psychologique régional , ndlr) et quatre en attente ; deux patients sont hospitalisés en psychiatrie au CHU », détaillait le CGLPL. Un SMPR situé à Perpignan, à plus de 150 kilomètres, tandis qu’une UHSA est en projet à Béziers, plus près de Montpellier.

Une situation aggravée par la surpopulation carcérale

Le contexte, national comme local, de surpopulation carcérale n'arrange pas la prise en charge en prison. « On essaie de développer l'offre de soins mais ça reste compliqué face à l’augmentation exponentielle du nombre de détenus », déplore Mathieu Lacambre.

« Depuis 1994, on a paramétré des mètres carrés d’unités de soins et nombre de soignants en fonction de la population pénale accueillie, mais ce chiffre correspond au nombre de places en prison. Or il y a un delta énorme entre ce dernier et le nombre de personnes en détention. Par exemple à Villeneuve on a 590 places, mais on est à plus de 1000 détenus », met en avant le professionnel de santé. Sauf que pendant ce temps-là, « les moyens humains n’augmentent pas ». Résultat : « On est toujours en décalage. », constate-t-il, alors que son service peine à recruter des psychiatres.

« On est clairement confronté·e·s au croisement de services en grande difficulté », pointe la députée LFI Elise Leboucher. « La psychiatrie qui en grande crise, la justice qui ne réussit plus aujourd’hui à répondre à ses missions, et la pénitentiaire avec une multiplication des lois sécuritaires et la surpopulation carcérale, qui favorise elle aussi une détérioration de la santé mentale ». « Des conditions de détention dégradées deviennent dégradantes. Tout ça nous amène à la situation qu’on connaît aujourd’hui, qui est explosive pour les premiers concernés, mais aussi tous les professionnels », résume la co-rapporteuse du rapport d’information parlementaire.

Des préconisations en détention, mais surtout en amont

Pour sortir de cette impasse, cette mission transpartisane formule 100 préconisations pour une meilleure prise en charge en détention, le développement d’une politique de réduction des risques, la prévention du suicide, l’accompagnement à la sortie, le décloisonnement de la gouvernance, l’évaluation des initiatives locales en milieu ouvert, ou encore la priorisation des mineurs.

Dans le détail, il est notamment proposé de corréler les effectifs de personnels pénitentiaires/de surveillants aux taux d’occupation réels des établissements pénitentiaires, de développer les activités en détention (auxquelles les femmes, beaucoup plus exposées au risque de suicide en prison, ont pourtant moins accès), de garantir la mise en œuvre systématique d’une évaluation psychiatrique et addictologique dans tous les établissements, sécuriser la couverture sociale des sortants de prison, ou encore faire du renforcement de l’accompagnement des enfants relevant de l’aide sociale à l’enfance une priorité absolue de l’action publique.

Alertant sur une « véritable pénalisation de la santé mentale », le rapport appelle surtout à « prioriser l’amont, ce qui implique de mieux repérer les troubles dès l’enfance, notamment à l’école, de mieux accompagner les enfants relevant de l’aide sociale à l’enfance, laquelle apparaît aujourd’hui comme le maillon le plus défaillant de l’action publique, alors même qu’elle devrait concentrer tous [les] efforts ».

« Au-delà des préconisations généralistes sur les moyens en psychiatrie et en détention, une des premières est la question de la régulation carcérale, qui consiste surtout en un gros travail en amont : que fait-on pour que personne n’entre dans un cycle de délinquance ? », décrypte Elise Leboucher.

Reste à savoir si les ministères concernés vont se saisir de ce rapport. « On a sollicité la Commission des lois et des affaires sociales ainsi que la délégation aux droits des femmes et aux droits des enfants pour le présenter. On espère un débat à la rentrée. Je ne vois pas comment les ministères ne peuvent pas se saisir du sujet », tranche la députée LFI. 

Rozenn Le Carboulec

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