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Le 14 mars dernier, l'Assemblée nationale a adopté, en première lecture, la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé. Depuis, elle a commencé à être examinée par le Sénat. L’objectif : un vote définitif du Parlement dans les prochains mois, par-delà le contexte politique actuel pour le moins incertain.
Il y a d’abord le poids des
chiffres qui dit tout de l’ampleur du phénomène. Depuis plusieurs années
maintenant, l’Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS) fait
état de près de 20 000 signalements par an de violences à l’encontre des
professionnels de santé, ce qui représente, annuellement, environ 30 000
atteintes aux personnes et 5 000 aux biens.
D’où la volonté du législateur
de continuer à prendre le taureau par les cornes et, plus que jamais, de durcir
la riposte. Une politique qui avait connu un premier tournant il y a sept ans :
l’actuelle proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels
de santé « s’inscrit dans un mouvement
ancien puisqu’un premier dispositif juridique avait été mis en place en 2017 avec
l’extension à tous les ordres de santé de la possibilité d’exercer les droits
de la partie civile en cas de violences, voire de menaces commises contre leurs
membres, rappelle Jean-François Laigneau, avocat au sein du cabinet Jasper,
spécialiste des questions de santé. En
somme, de pouvoir porter plainte en leur nom en plus des professionnels de
santé victimes eux-mêmes. » Parallèlement, l’arsenal répressif avait
été modifié à l’unisson dans le Code pénal avec l’introduction des circonstances
aggravantes, qu’il s’agisse de menaces ou de violences, dès lors que les unes
et les autres ont pour cible un professionnel de santé dans l’exercice de ses
fonctions.
Ce premier durcissement n’a pourtant
pas empêché le nombre de ces délits de continuer à progresser, ne serait-ce que
durant l’épidémie de Covid marquée par une pénurie de masques qui a attisé les
tensions et les comportements inappropriés ou, plus récemment, les émeutes urbaines
qui se sont accompagnées de dégradations de biens.
On l’aura compris, « l’idée de la proposition de loi est de compléter cet arsenal pour mieux protéger les professionnels », décrypte Jean-François Laigneau. Avec, toutefois, quelques bémols : « Quand on parle de nouvelles normes qui viennent s’ajouter à celles existantes, il convient de s’interroger sur ce dont on dispose déjà et si cela est bien connu et utilisé ou pas. Or, en la matière, ce n’est pas le cas. En effet, on recense beaucoup de classements sans suite pour des faits de violence ou de menace qui ont pourtant donné lieu à des dépôts de plaintes. De surcroît, il est fréquent que celles-ci débouchent sur des sanctions qui ne sont pas à la hauteur de la gravité des actes commis. »
Les raisons sont connues. En l’occurrence, un manque de temps et de moyens des
enquêteurs ou encore, la difficulté accrue de retrouver l’auteur, en particulier
en cas d’atteinte aux biens. En outre, les réponses pénales sont souvent le choix
de la simplicité et de la rapidité. Un simple rappel à la loi au commissariat
est, en effet, moins lourd sur le plan logistique qu’un jugement devant le tribunal
correctionnel qui mobilise des ressources en termes de magistrats et nécessite
de programmer des audiences. De plus, il arrive même que le parquet ignore
l’existence des circonstances aggravantes quand les victimes sont des
professionnels de santé…
La proposition de loi visant
à renforcer la sécurité des professionnels de santé reprend certaines des
préconisations formulées, en septembre 2023, dans le Plan pour la sécurité des
professionnels de santé. Ce document se décline en trois axes : sensibiliser le public et former les
soignants, prévenir les violences et sécuriser l’exercice des
professionnels, déclarer les violences et accompagner les victimes. Parmi
les mesures qu’il appelait de ses vœux, plusieurs ont trait au volet
strictement juridique et judiciaire inhérent à ce type d’agressions.
Dans le détail, la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé comporte un durcissement dans trois domaines. En premier lieu, elle concerne l’extension et l’aggravation des peines en cas de violences ou de vol en milieu de santé.
De fait, le texte réprime les violences contre tous les personnels et dans tous les secteurs de la santé. Plus précisément, il renforce les sanctions en cas de violences commises dans les locaux des hôpitaux ou des cliniques ; et contre le personnel non médical de ces établissements, par exemple, les agents travaillant à l’accueil des urgences hospitalières, au service de facturation, etc.
Par ailleurs, ces sanctions sont étendues aux violences commises dans l’enceinte ou contre le personnel des cabinets médicaux et paramédicaux, des centres de santé ainsi que des maisons de santé et de naissance, des services (services de protection de l’enfance…) et des établissements sociaux et médico-sociaux (Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes - Ehpad…) ou encore des pharmacies et des laboratoires de biologie médicale.
Sont particulièrement
concernées les violences les plus graves, notamment celles ayant entraîné une
interruption totale de travail (ITT). Ainsi, en cas d'ITT de plus de 8 jours d'un personnel du secteur de la santé,
l'agresseur encourra jusqu'à 5 ans de prison et 75 000 euros d'amende.
Enfin, le vol de matériel
médical ou paramédical commis dans un cabinet de ville, un hôpital ou une
clinique est également plus lourdement puni. Ce qui est loin d’être marginal et
anodin, pointe Maître Laigneau : « C’est
une bonne chose, car de nombreux trafiquants s’intéressent particulièrement aux
produits de santé, lesquels sont un bien commun et coûtent de plus en cher.
Même chose concernant les médicaments alors que nous sommes confrontés, pour
certains d’entre eux, à des pénuries. En somme, on est en train de prendre
conscience qu’il existe aussi une criminalité qui touche les produits de santé
et, plus largement, l’ensemble du secteur. D’où ce souci de disposer d’outils
répressifs à la hauteur de l’enjeu et de l’atteinte à la santé publique que
cela induit. »
La création du délit d'outrage
Les députés souhaitent
remédier à cette carence en décrétant qu’à l’avenir, l’outrage s’appliquera à
tous les professionnels de santé, qu’ils officient à l’hôpital, en clinique, en
Ehpad ou encore, en libéral, dans un cabinet, un centre de santé, une pharmacie
ou un laboratoire.
Son auteur risquera une
amende maximale de 7 500 euros. De plus, une circonstance aggravante est
prévue lorsque l’outrage a lieu à l’intérieur d’un établissement ou d’une
structure de santé. Avec, à la clef, une peine maximale de 6 mois de prison et
de 7 500 euros d’amende.
La proposition de loi
instaure enfin la possibilité, pour l’employeur d’un professionnel de santé ou d’un
autre membre du personnel, de déposer plainte à sa place, avec son accord écrit
et pour certaines infractions. Une habilitation qui concerne les directions des établissements de santé
médicaux et médico-sociaux (hôpitaux, cliniques, centres de santé,
Ehpad…) mais également les employeurs
des cabinets médicaux et paramédicaux, des pharmacies et des laboratoires. Pour
les professionnels de santé qui sont leur propre employeur, un décret viendra
préciser l’organisme représentatif autorisé à porter plainte en leur nom.
Auparavant, en cas
d’agression d’un professionnel de santé, son ordre ou son employeur pouvaient
seulement déposer plainte pour eux-mêmes et au nom de la profession au regard
du préjudice collectif subi. Désormais, ils pourront donc aussi le faire au nom
de la victime, en se substituant à elle, et au regard du préjudice individuel
qu’elle aura enduré.
Sur le papier, la chose est
séduisante. En pratique, elle risque de se heurter à des écueils, estime
Jean-François Laigneau : « Il y
a, à mon sens, une faiblesse dans le texte. En l’occurrence, le fait qu’à un
moment ou un autre, le professionnel devra de toute façon réintégrer le circuit
pénal, ne serait-ce que pour faire acter sa constitution de partie civile lors
du procès et percevoir une éventuelle indemnisation. De même, le plaignant
devra avoir son propre avocat, l’action de l’ordre ou de l’employeur ne pouvant
pas se substituer à celle du professionnel de santé personne physique devant
les juges. » Autre obstacle, « le
fait que l’employeur ou l’ordre vont être astreints à des obligations lourdes.
Par exemple, respecter les délais de la procédure sous peine de s’exposer à une
réclamation du professionnel de santé qui verrait sa plainte invalidée parce
que hors délai. De même, l’opportunité de saisir la justice en lieu et place de
la personne demeure à l’appréciation de l’employeur et de l’ordre. Ils peuvent
très bien refuser de le faire pour des motifs qui leur appartiennent. Ce qui,
là encore, est susceptible de générer des conflits avec la victime. »
Si bien qu’aux yeux de Maître
Laigneau, « la question de l’utilité
et de la complexité de cette disposition en trompe-l’œil se pose. Il n’est pas
certain qu’elle soit une avancée majeure dans la mesure où plus on ajoute
d’acteurs, plus cela engendre des difficultés. Et il ne faudrait pas que cela
aboutisse à désintéresser la victime de son procès. » De là à évoquer
une usine à gaz, il n’y a qu’un pas…
Enfin, il sera possible, pour
tout professionnel de santé qui porte
plainte à titre personnel, de déclarer comme domicile l'adresse de son ordre
professionnel ou du commissariat ou de la gendarmerie afin de ne pas
révéler son adresse personnelle. Jusque-là, il ne pouvait se domicilier qu’à
son cabinet ou chez son avocat.
Mais, en dépit des bémols
évoqués, l’intention du législateur est, bien sûr, globalement louable et
nécessaire, conclut Jean-François Laigneau : « Vouloir combler les trous dans la raquette afin d’être plus
dissuasif est une bonne chose. Et c’est précisément l’ambition de ce
texte. »
En
outre, les discussions ne sont pas terminées au Parlement. D’autres
recommandations du Plan de 2023 pour la sécurité des professionnels de santé
pourraient bien alimenter la suite des débats dans les deux hémicycles. On
pense notamment au fait de faciliter le
traitement de certaines infractions pour rendre plus systématique la réponse pénale
en incitant le recours aux avertissements pénaux probatoires par le délégué´
du procureur ; ou encore, de généraliser
les référents sécurité´ des ordres et accompagner leur montée en compétences en
partenariat avec les parquets et les forces de sécurité´ intérieure, eux
qui constituent le premier recours pour les victimes et s’avèrent de précieux
relais pour la police et la gendarmerie nationales. À suivre donc...
Alexandre Terrini
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