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Octobre rose : une soirée de sensibilisation au barreau des Hauts-de-Seine


mercredi 2 octobre 20248 min
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02/10/2024 14:36:55 1 5 5407 23 0 2177 4861 5038 La proposition de loi sécurité des professionnels de santé vise à « combler les trous dans la raquette afin d’être plus dissuasif »

Le 14 mars dernier, l'Assemblée nationale a adopté, en première lecture, la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé. Depuis, elle a commencé à être examinée par le Sénat. L’objectif : un vote définitif du Parlement dans les prochains mois, par-delà le contexte politique actuel pour le moins incertain.

Il y a d’abord le poids des chiffres qui dit tout de l’ampleur du phénomène. Depuis plusieurs années maintenant, l’Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS) fait état de près de 20 000 signalements par an de violences à l’encontre des professionnels de santé, ce qui représente, annuellement, environ 30 000 atteintes aux personnes et 5 000 aux biens.

D’où la volonté du législateur de continuer à prendre le taureau par les cornes et, plus que jamais, de durcir la riposte. Une politique qui avait connu un premier tournant il y a sept ans : l’actuelle proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé « s’inscrit dans un mouvement ancien puisqu’un premier dispositif juridique avait été mis en place en 2017 avec l’extension à tous les ordres de santé de la possibilité d’exercer les droits de la partie civile en cas de violences, voire de menaces commises contre leurs membres, rappelle Jean-François Laigneau, avocat au sein du cabinet Jasper, spécialiste des questions de santé. En somme, de pouvoir porter plainte en leur nom en plus des professionnels de santé victimes eux-mêmes. » Parallèlement, l’arsenal répressif avait été modifié à l’unisson dans le Code pénal avec l’introduction des circonstances aggravantes, qu’il s’agisse de menaces ou de violences, dès lors que les unes et les autres ont pour cible un professionnel de santé dans l’exercice de ses fonctions.

Un nombre de délits qui continue à progresser

Ce premier durcissement n’a pourtant pas empêché le nombre de ces délits de continuer à progresser, ne serait-ce que durant l’épidémie de Covid marquée par une pénurie de masques qui a attisé les tensions et les comportements inappropriés ou, plus récemment, les émeutes urbaines qui se sont accompagnées de dégradations de biens.

On l’aura compris, « l’idée de la proposition de loi est de compléter cet arsenal pour mieux protéger les professionnels », décrypte Jean-François Laigneau. Avec, toutefois, quelques bémols : « Quand on parle de nouvelles normes qui viennent s’ajouter à celles existantes, il convient de s’interroger sur ce dont on dispose déjà et si cela est bien connu et utilisé ou pas. Or, en la matière, ce n’est pas le cas. En effet, on recense beaucoup de classements sans suite pour des faits de violence ou de menace qui ont pourtant donné lieu à des dépôts de plaintes. De surcroît, il est fréquent que celles-ci débouchent sur des sanctions qui ne sont pas à la hauteur de la gravité des actes commis. » 

Les raisons sont connues. En l’occurrence, un manque de temps et de moyens des enquêteurs ou encore, la difficulté accrue de retrouver l’auteur, en particulier en cas d’atteinte aux biens. En outre, les réponses pénales sont souvent le choix de la simplicité et de la rapidité. Un simple rappel à la loi au commissariat est, en effet, moins lourd sur le plan logistique qu’un jugement devant le tribunal correctionnel qui mobilise des ressources en termes de magistrats et nécessite de programmer des audiences. De plus, il arrive même que le parquet ignore l’existence des circonstances aggravantes quand les victimes sont des professionnels de santé…

Un texte de continuité

La proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé reprend certaines des préconisations formulées, en septembre 2023, dans le Plan pour la sécurité des professionnels de santé. Ce document se décline en trois axes : sensibiliser le public et former les soignants, prévenir les violences et sécuriser l’exercice des professionnels, déclarer les violences et accompagner les victimes. Parmi les mesures qu’il appelait de ses vœux, plusieurs ont trait au volet strictement juridique et judiciaire inhérent à ce type d’agressions.

Dans le détail, la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé comporte un durcissement dans trois domaines. En premier lieu, elle concerne l’extension et l’aggravation des peines en cas de violences ou de vol en milieu de santé.

De fait, le texte réprime les violences contre tous les personnels et dans tous les secteurs de la santé. Plus précisément, il renforce les sanctions en cas de violences commises dans les locaux des hôpitaux ou des cliniques ; et contre le personnel non médical de ces établissements, par exemple, les agents travaillant à l’accueil des urgences hospitalières, au service de facturation, etc.

Par ailleurs, ces sanctions sont étendues aux violences commises dans l’enceinte ou contre le personnel des cabinets médicaux et paramédicaux, des centres de santé ainsi que des maisons de santé et de naissance, des services (services de protection de l’enfance…) et des établissements sociaux et médico-sociaux (Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes - Ehpad…) ou encore des pharmacies et des laboratoires de biologie médicale.

Sont particulièrement concernées les violences les plus graves, notamment celles ayant entraîné une interruption totale de travail (ITT). Ainsi, en cas d'ITT de plus de 8 jours d'un personnel du secteur de la santé, l'agresseur encourra jusqu'à 5 ans de prison et 75 000 euros d'amende.

Enfin, le vol de matériel médical ou paramédical commis dans un cabinet de ville, un hôpital ou une clinique est également plus lourdement puni. Ce qui est loin d’être marginal et anodin, pointe Maître Laigneau : « C’est une bonne chose, car de nombreux trafiquants s’intéressent particulièrement aux produits de santé, lesquels sont un bien commun et coûtent de plus en cher. Même chose concernant les médicaments alors que nous sommes confrontés, pour certains d’entre eux, à des pénuries. En somme, on est en train de prendre conscience qu’il existe aussi une criminalité qui touche les produits de santé et, plus largement, l’ensemble du secteur. D’où ce souci de disposer d’outils répressifs à la hauteur de l’enjeu et de l’atteinte à la santé publique que cela induit. »

La création du délit d'outrage

Le texte vise par ailleurs la création du délit d’outrage à l’encontre de tous les professionnels de santé. A ce jour, le délit d’outrage (insultes…), lequel est bien spécifique et se distingue de la menace ou de l’agression, n’est réprimé que lorsqu’il vise certains professionnels de santé dont on considère qu’ils assument une mission de service public. En clair, ceux qui exercent en établissement public ou privé, au titre de l’obligation de permanence des soins. En revanche, les professionnels de ville n’étaient, jusqu’à présent, pas considérés comme pouvant être juridiquement la cible de ce délit. Et ce, alors même que « l’outrage constitue une grande partie des infractions subies par les professionnels de santé », insiste Jean-François Laigneau.

Les députés souhaitent remédier à cette carence en décrétant qu’à l’avenir, l’outrage s’appliquera à tous les professionnels de santé, qu’ils officient à l’hôpital, en clinique, en Ehpad ou encore, en libéral, dans un cabinet, un centre de santé, une pharmacie ou un laboratoire.

Son auteur risquera une amende maximale de 7 500 euros. De plus, une circonstance aggravante est prévue lorsque l’outrage a lieu à l’intérieur d’un établissement ou d’une structure de santé. Avec, à la clef, une peine maximale de 6 mois de prison et de 7 500 euros d’amende.

Un dépôt de plainte facilité

La proposition de loi instaure enfin la possibilité, pour l’employeur d’un professionnel de santé ou d’un autre membre du personnel, de déposer plainte à sa place, avec son accord écrit et pour certaines infractions. Une habilitation qui concerne les directions des établissements de santé médicaux et médico-sociaux (hôpitaux, cliniques, centres de santé, Ehpad…) mais également les employeurs des cabinets médicaux et paramédicaux, des pharmacies et des laboratoires. Pour les professionnels de santé qui sont leur propre employeur, un décret viendra préciser l’organisme représentatif autorisé à porter plainte en leur nom.

Auparavant, en cas d’agression d’un professionnel de santé, son ordre ou son employeur pouvaient seulement déposer plainte pour eux-mêmes et au nom de la profession au regard du préjudice collectif subi. Désormais, ils pourront donc aussi le faire au nom de la victime, en se substituant à elle, et au regard du préjudice individuel qu’elle aura enduré.

Sur le papier, la chose est séduisante. En pratique, elle risque de se heurter à des écueils, estime Jean-François Laigneau : « Il y a, à mon sens, une faiblesse dans le texte. En l’occurrence, le fait qu’à un moment ou un autre, le professionnel devra de toute façon réintégrer le circuit pénal, ne serait-ce que pour faire acter sa constitution de partie civile lors du procès et percevoir une éventuelle indemnisation. De même, le plaignant devra avoir son propre avocat, l’action de l’ordre ou de l’employeur ne pouvant pas se substituer à celle du professionnel de santé personne physique devant les juges. » Autre obstacle, « le fait que l’employeur ou l’ordre vont être astreints à des obligations lourdes. Par exemple, respecter les délais de la procédure sous peine de s’exposer à une réclamation du professionnel de santé qui verrait sa plainte invalidée parce que hors délai. De même, l’opportunité de saisir la justice en lieu et place de la personne demeure à l’appréciation de l’employeur et de l’ordre. Ils peuvent très bien refuser de le faire pour des motifs qui leur appartiennent. Ce qui, là encore, est susceptible de générer des conflits avec la victime. »

Si bien qu’aux yeux de Maître Laigneau, « la question de l’utilité et de la complexité de cette disposition en trompe-l’œil se pose. Il n’est pas certain qu’elle soit une avancée majeure dans la mesure où plus on ajoute d’acteurs, plus cela engendre des difficultés. Et il ne faudrait pas que cela aboutisse à désintéresser la victime de son procès. » De là à évoquer une usine à gaz, il n’y a qu’un pas…

Enfin, il sera possible, pour tout professionnel de santé qui porte plainte à titre personnel, de déclarer comme domicile l'adresse de son ordre professionnel ou du commissariat ou de la gendarmerie afin de ne pas révéler son adresse personnelle. Jusque-là, il ne pouvait se domicilier qu’à son cabinet ou chez son avocat.

« Combler les trous dans la raquette afin d’être plus dissuasif »

Mais, en dépit des bémols évoqués, l’intention du législateur est, bien sûr, globalement louable et nécessaire, conclut Jean-François Laigneau : « Vouloir combler les trous dans la raquette afin d’être plus dissuasif est une bonne chose. Et c’est précisément l’ambition de ce texte. »

En outre, les discussions ne sont pas terminées au Parlement. D’autres recommandations du Plan de 2023 pour la sécurité des professionnels de santé pourraient bien alimenter la suite des débats dans les deux hémicycles. On pense notamment au fait de faciliter le traitement de certaines infractions pour rendre plus systématique la réponse pénale en incitant le recours aux avertissements pénaux probatoires par le délégué´ du procureur ; ou encore, de généraliser les référents sécurité´ des ordres et accompagner leur montée en compétences en partenariat avec les parquets et les forces de sécurité´ intérieure, eux qui constituent le premier recours pour les victimes et s’avèrent de précieux relais pour la police et la gendarmerie nationales. À suivre donc...

Alexandre Terrini

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