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Depuis le 1er janvier 2024, une police unique de la sécurité alimentaire a été mise en place. Mais « de nombreuses exigences posées dépassent le cadre légal », estime Nathalie Goutaland, avocate en droit de la sécurité alimentaire au barreau de Lyon.
JSS : Depuis le début de
l’année, les contrôles d’hygiène des métiers de bouche sont plus
nombreux : pourquoi ?
Nathalie Goutaland : Une
nouvelle police unique de la sécurité alimentaire a été mise en place, avec une
délégation d'une grande partie des contrôles de commerces à des organismes
privés. L'objectif affiché est d'accroître significativement le nombre de
contrôles, qui était effectivement quelque peu insuffisant auparavant. Mais la
mise en place de cette police s’est faite avec bien des difficultés.
JSS : Comment sont
perçus les contrôles d’hygiène par les professionnels des métiers de
bouche ?
N.G. : Les
professionnels des métiers de bouche sont désemparés. Nous sommes passés d’une
fréquence de contrôle très faible à une fréquence beaucoup plus élevée, ce qui
ne leur pose pas forcément problème. En revanche, la nature du contrôle est
très différente. Alors que jusque-là les inspecteurs des DDPP admettaient
l’oralité dans le fonctionnement du commerce, aujourd’hui, on impose de tout
écrire, et même de prouver à l’inspecteur tout ce que l’on fait même en son
absence. De nombreuses exigences posées dépassent le cadre légal.
JSS : Et par les
consommateurs ?
N.G. : Les consommateurs
ont d’abord été très sensibles aux informations diffusées dans les médias,
nouvelle forme de « name and shame » mise en œuvre par les services
de contrôle. Aujourd’hui, on sent quand même que des critiques émergent,
lorsque certaines publications concernent le commerce qu’ils connaissent très
bien, et qu’ils ne reconnaissent pas du tout le descriptif qui en est fait.
JSS : Sauriez-vous
quantifier la proportion de restaurants qui ne respectent pas les normes
d’hygiène ?
N.G. : Les normes
d’hygiène issues des règlements européens sont pour certaines complexes à
mettre en œuvre pour des restaurateurs, comme la mise en place de l’analyse de
dangers de leurs fabrications, qui nécessite des ressources ou un
accompagnement pointu. Peu sont à jour sur ce point. Les bonnes pratiques
d’hygiène qui sont exigées sont plus faciles d’accès.
JSS : Les professionnels
doivent-ils être avertis en amont d’une visite de contrôle ?
N.G. : Non bien sûr, car
s’ils étaient avertis, le contrôle perdrait de sa valeur. L’objectif est
d’évaluer la réalité de la situation à un moment donné. Mais de plus en plus de
commerces font appel à un organisme consultant en sécurité alimentaire pour
faire des audits régulièrement et se préparer au contrôle en amont.
JSS : Un contrôle
inopiné est-il le meilleur moyen de s’assurer de la conformité d’un
établissement ?
N.G. : Il faut tout de
même s’assurer de ne pas être dans une situation exceptionnelle, et certains
points de contrôle nécessitent la présence du responsable. Il est inadmissible
par exemple de voir régulièrement dans les rapports de soi-disant non-conformités
majeures du fait de la non-présentation de documents administratifs, comme la
déclaration d’activité par exemple, alors que le responsable aurait pu les
fournir très rapidement même après le contrôle.
JSS : Selon votre
expérience, les professionnels ont-ils généralement conscience de leurs
manquements ?
N.G. : Ils ont souvent
clairement conscience de ne pas tout maîtriser, et les exigences à la fois
accrues et parfois démesurées des inspecteurs si l’on se réfère strictement aux
textes en vigueur peuvent renforcer ce sentiment. Ensuite, certains peuvent
laisser une situation de négligence s’installer sans vraiment s’en rendre
compte, plongés dans le quotidien. C’est là que le contrôle peut favoriser une
prise de conscience salutaire avant l’incident.
JSS : Comment les justifient-ils ?
N.G. : Aujourd’hui, les
commerces sont dans une situation particulièrement délicate en termes de
ressources humaines. C’est donc avant tout le temps qui manque notamment pour
réaliser les nombreux enregistrements exigés par les inspecteurs. Mais en
termes de RH, c’est aussi un problème d’imposer des contraintes aux salariés
qui ne correspondent pas à l’idée du métier qu’ils avaient choisi.
JSS : La fermeture d’un
établissement est-elle systématique en cas de grave manquements ? Le
restaurateur peut-il contester la décision du préfet ?
N.G. : Si le rapport fait
état d’une perte de maîtrise, elle est systématique. Mais la fermeture ne
devrait survenir que lorsqu’il est clair que la santé du consommateur est en
jeu d’une part, et que la situation ne peut pas être réglée par une mesure
moins contraignante qu’une fermeture d’autre part. On constate aujourd’hui que
les décisions de fermeture sont très nombreuses et parfois ne respectent pas
ces critères. Comme toute mesure de police administrative, la fermeture peut
être contestée en urgence lorsque cela se justifie, et en recours en excès de
pouvoir devant le juge administratif lorsque des illégalités entachent l’arrêté
pris. Il est toujours utile en tous cas de prendre conseil pour vérifier les
points essentiels de cette décision grave.
JSS : Que risque un
restaurateur en cas d’intoxication alimentaire de l’un de ses clients ?
N.G. : Dans tous les
cas, il risque de devoir indemniser la ou les victimes si celles-ci démontrent
des préjudices en lien avec la consommation dans son établissement. Si
l’intoxication peut être mise en lien avec des infractions, il risque également
d’être poursuivi au pénal pour ces infractions spécifiques au droit de la
sécurité alimentaire, mais aussi potentiellement pour des blessures
involontaires voire la mise en danger de la vie d’autrui par manquement à une
obligation de sécurité prévue par un règlement, ou encore la tromperie aggravée.
L’homicide involontaire peut également être retenu dans les cas où il y a eu
décès.
JSS : Depuis quelques
mois, le préfet du Val-d’Oise affiche sur ses réseaux sociaux les restaurants
fermés pour non-respect des règles d’hygiène. Est-ce la bonne solution pour
informer le consommateur ?
N.G. : Cette pratique a
effectivement été initiée par le préfet du Val-d’Oise mais elle a été copiée
depuis dans de nombreux départements. Or pour l’instant, aucune base légale
solide ne nous a été proposée pour la fonder, alors que les conséquences pour
les commerces sont désastreuses. En réalité, elle apparaît plutôt comme une
forme de sanction supplémentaire qui n’apporte aucune valeur ajoutée pour
protéger le consommateur, puisque le commerce ne sera réouvert que lorsqu’il
aura démontré sa conformité.
JSS : Le renforcement
des contrôles d’hygiène ne risque-t-il pas de décourager les nouveaux
restaurateurs ?
N.G. : C’est plus la
nature des demandes faites lors des contrôles qui peut réellement être vécue
comme une source de découragement. Certains restaurateurs qui avaient mis en
place un plan de maîtrise sanitaire formalisé depuis longtemps voient par
exemple le choix des moyens qu’ils ont fait critiquer par des inspecteurs qui
pensent qu’il n’y a qu’une seule façon d’atteindre les objectifs fixés par les
règlements européens. C’est à la fois faux et illégal, et cela peut décourager
ceux qui étaient en réalité plutôt en avance sur la conformité.
JSS : Comment jugez-vous
l’efficacité de nos services de contrôle d’hygiène en France en comparaison des
autres pays européens ?
N.G. : La nouvelle
police de la sécurité alimentaire est trop récente pour faire un bilan. Il est
vrai que le nombre de contrôles et de fermetures peut avoir un impact sur la
volonté des commerces de se faire accompagner pour se mettre en conformité.
Cependant, les critiques sont réelles sur la compétence des inspecteurs et les
demandes faites ne semblent pas toujours apporter une meilleure protection pour
le consommateur.
Les contrôles en France sont
en tous cas de plus en plus répressifs, et ne s’accompagnent plus de conseil
pour mieux faire comme c’était le cas encore il y a quelques années. Sur
certains sujets spécifiques, il apparaît clairement que la France fait moins
bien que nos voisins européens. En effet, la France refuse par exemple d’intégrer
le Syndrome hémolytique et urémique dans la liste des maladies à déclaration
obligatoire dès le premier cas, pour qu’il y ait une enquête alimentaire qui
permette de retirer bien plus rapidement les produits qui contiendraient un E
coli hautement pathogène, comme dans l’affaire Buitoni ou celle du Morbier
contaminé.
Propos recueillis par Mélanie
Pautrel
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