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Au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, le nombre d’affaires jugées en hausse


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22/05/2025 11:56:04 1 5 6429 23 0 2676 5702 5900 TVA, travail dissimulé, soins médicaux fictifs... les multiples visages de la fraude aux finances publiques

Les fraudes fiscales et sociales coûtent chaque année plus d’une centaine de milliards d’euros à l’État. Parmi les nombreuses pratiques, les fraudes à la TVA ou aux prestations sociales restent très présentes, ont alerté plusieurs experts réunis le 12 mai à la Cour de cassation.

Chaque année, les fraudes génèrent des pertes colossales pour les finances publiques françaises. La seule fraude à la TVA est ainsi estimée entre 20 et 25 milliards d’euros de manque à gagner, sur un total d’environ 100 milliards d’euros de fraude fiscale.

« Impôt le plus rentable, la TVA est aussi l’impôt le plus fraudé avec environ 25 % des droits éludés au titre de la fraude fiscale », analyse Julie Gallois, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université de Paris-Saclay, intervenue lors de ce colloque de la Cour de cassation consacré à la fraude aux finances publiques.

« Les enjeux sont de taille parce que seulement 2,2 milliards d’euros ont été recouvrés en 2024 par le trésor public sur les 20 à 25 milliards d’euros de fraude à la TVA », précise-t-elle.

Quant à la fraude à la Sécurité sociale, elle atteignait entre 4 et 5 milliards d’euros en 2024. « Ce qui interpelle particulièrement, c’est que 80 % des montants fraudés proviennent non pas des assurés sociaux, mais des professionnels de santé », souligne Julie Gallois.

Les procédés de fraude sont divers et variés mais se recoupent. « En matière de fraude à la Sécurité sociale par le professionnel de santé, il s’agit globalement de facturation de soins médicaux ou paramédicaux fictifs. On retrouve également des soins faussement majorés, ou encore de soins qui auraient été effectivement prodigués mais par un autre professionnel de santé », développe l’universitaire.

Autre méthode de fraude à la Sécurité sociale : le remboursement de médicaments « non utiles » dans le but, pour un médecin, de se constituer une réserve. Chez les assurés sociaux, les procédés résultent majoritairement de faux certificats médicaux et de faux arrêts de travail. Il s’agit également de multiplier les consultations médicales non utiles dans l’optique, là aussi, de se constituer un stock de médicaments après l’obtention d’une série d’ordonnances.

Collaboration entre administration et justice, un moyen de lutte très efficace

Pour lutter efficacement contre les fraudes fiscales et sociales, les administrations collaborent désormais étroitement avec la justice. Cette collaboration, permise par des évolutions législatives récentes, se révèle particulièrement efficace sur le terrain.

Grâce à plusieurs textes de loi - notamment la loi de lutte contre la fraude d’octobre 2018 et une circulaire interministérielle de 2019 - magistrats et agents des finances publiques partagent aujourd'hui beaucoup plus facilement les données utiles à leurs enquêtes respectives.

« Cette collaboration a permis de mettre en place des synergies efficientes dans la lutte contre les fraudes aux finances publiques », explique Nicolas Souffrin, inspecteur de la Justice, magistrat détaché à la direction générale des finances publiques.

« Elle permet une réponse institutionnelle enrichie et étendue, en allant beaucoup plus loin dans la réponse, tant d’un point de vue qualitatif que quantitatif », ajoute-t-il.

Parmi les exemples concrets de réussite, une direction locale a pu signaler des faits de travail dissimulé au parquet local et systématiser un protocole pour la saisie des avoirs criminels.

« De l’autre côté, un parquet local a communiqué à l’administration fiscale un dossier de travail dissimulé dans le cadre d’un dossier de blanchiment », continue Nicolas Souffrin. Cette communication a permis à l’administration de réaliser un contrôle fiscal bien ciblé qui a mis en évidence une série de fraudes.

« Il y a ainsi comme un effet miroir entre d’un côté ce qui est communiqué par l’autorité judiciaire vers les administrations, et réciproquement par l’administration vers l’autorité judiciaire », commente-t-il.

Plusieurs articles du Livre des procédures fiscales encadrent les échanges entre justice et administration. Par exemple, l’article L101 oblige les magistrats à signaler les fraudes suspectées, le L82 C permet de transmettre des dossiers même « sans présomption », et le L142 A autorise le procureur à accéder à des informations couvertes par le secret fiscal, détaille Nicolas Souffrin.

De son côté, l’administration peut alerter la justice en s’appuyant sur l’article 40 du Code de procédure pénale, comme le prévoit la circulaire du 7 mars 2019.

TVA : le crédit de taxe, un terrain propice à la fraude

Cette collaboration renforcée entre administrations et justice est d’autant plus cruciale que les mécanismes de fraude évoluent et se complexifient, notamment dans le domaine de la TVA. Sur ce point, Julie Gallois a présenté les différents types de fraudes à la TVA qui sont actuellement les plus observés.

En tant qu’impôt indirect, la TVA est collectée par les agents économiques, comme les bars et les restaurants. Ces agents économiques doivent ensuite reverser cette TVA à l’État, sauf si ces derniers bénéficient d’un crédit de taxe, rappelle-t-elle.

Or ce crédit de taxe est par « essence criminogène ». « Et c’est précisément pour obtenir ce crédit de TVA, qui se matérialise soit par un report sur les exercices suivants, soit par un remboursement par le Trésor public, que l’agent économique fraude », continue-t-elle.

Le procédé le plus souvent utilisé est d’émettre des fausses factures faisant état d’achats réels, soit avec une TVA non acquittée (achats hors taxes), soit avec une taxe inférieure au taux normal déclaré.

« Il peut également s’agir de factures de complaisance faisant aussi état d'achats purement fictifs et donc avec une TVA fictive », poursuit Julie Gallois.

« Bien souvent, un certain nombre de fraudeurs en matière fiscale ou sociale sont amenés à recourir à des logiciels de caisse ou comptables qui brouillent les pistes, au point que l’administration sociale tout comme l’Urssaf se retrouvent dans l’incapacité de suivre le fil d’Ariane d’une comptabilité exacte », complète Renaud Salomon, avocat général à la Cour de cassation et professeur associé à l’Université de Paris Dauphine PSL.

À cela s’ajoutent des techniques plus élaborées. On observe toujours le fameux système de fraude dit du « carrousel ». Beaucoup plus complexe, ce système est basé sur des échanges commerciaux fictifs entre plusieurs entreprises domiciliées dans différents pays de l’Union européenne, dont certaines disparaissent sans reverser la TVA due à l’État.

Convergence entre travail dissimulé et fraude fiscale

Outre ces montages complexes, d’autres méthodes plus artisanales perdurent. « Il peut s’agir, par exemple, de se servir d’une association pour dégager des revenus commerciaux, d’un professionnel développant une activité clandestine à côté de son activité officielle, ou encore d’une société étrangère implantant un établissement stable en France sans le déclarer », ajoute Ida Chafaï, conseillère référendaire à la chambre criminelle de la Cour de cassation.

Le but de tous ces procédés étant, à la fin, de garder la part de TVA pour soi ou bien de se la faire rembourser.

Les fraudes à la Sécurité sociale reposent souvent sur le même mécanisme que les escroqueries à la TVA, fait remarquer Renaud Salomon. « Là aussi, il va y avoir l’utilisation d’une manœuvre frauduleuse pour tromper les caisses sociales et se faire remettre un certain nombre de cotisations, par exemple pour des soins fictifs. »

Les plus grosses escroqueries des dernières années ont d’ailleurs concerné des prestations sociales, souligne-t-il. « C’est d’ailleurs ce qui a en grande partie justifié la création par les pouvoirs publics de la délégation nationale de lutte contre la fraude [DNLF], devenue ensuite la mission interministérielle de coordination anti-fraude [Micaf]. »

Par ailleurs, Renaud Salomon insiste sur le fait que quand une personne cache une activité professionnelle (travail dissimulé), elle ne paie ni les impôts (TVA, impôt sur le revenu, etc.), ni les cotisations sociales (pour la retraite, la Sécurité sociale, etc.).

La personne fraude donc en même temps les administrations fiscale et sociale. Cela constitue un cas particulier : « En commettant le délit de travail dissimulé, on commet simultanément un délit de fraude fiscale. Il existe ainsi une convergence énorme entre le délit de travail dissimulé et de fraude fiscale », analyse-t-il.

Les fraudes portent atteinte aux principes mêmes de la République

Finalement, la fraude fiscale sape l’un des piliers de notre démocratie : l’égalité des citoyens devant l’impôt, continue Renaud Salomon. « Elle porte atteinte à la nécessité de contribuer de façon égale aux charges publiques, un principe fondamental de la République. » 

Quant à la fraude sociale, elle porte atteinte à un principe voisin : « La solidarité nationale, telle que définie dans le code de la sécurité sociale. »

Ces deux types de fraude compromettent l’action de la collectivité nationale, affaiblissent le financement des services publics, et déséquilibrent les budgets de l’État comme ceux de la sécurité sociale.

« En outre, ces comportements frauduleux entraînent des évasions fiscales et sociales qui conduisent à minorer les revenus, les bénéfices ou encore l’assiette des cotisations », poursuit Renaud Salomon.

« Tout cela conduit à un enrichissement frauduleux et à des transferts de fonds susceptibles d’alimenter le blanchiment d’argent, l’économie souterraine et des activités illicites », ajoute-t-il.

Au-delà de leur impact sur les finances publiques, ces fraudes engendrent également une distorsion de concurrence. « On l’oublie trop souvent, mais les fraudes fiscales comme sociales menacent les entreprises respectueuses de la législation », souligne-t-il.

En échappant à leurs obligations, certains acteurs faussent la compétition économique et mettent en difficulté les structures vertueuses. La concurrence devient alors déloyale, creusant un fossé entre ceux jouant le jeu et ceux qui ne respectent pas les règles.

Sylvain Labaune

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