Tribunal de Pontoise : « Vous avez peur des représailles ? »


lundi 6 janvier4 min
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CHRONIQUE. A Domont, les banquettes arrière des Citroën C3 disparaissent. Le mystère est rapidement levé : une bande de jeunes outillés écumait les rues de la commune et les chargeait dans un utilitaire conduit par Siradiou, 20 ans, jugé ce 22 novembre en comparution immédiate.

Il y a d’abord un vol de banquette, commis à Domont le 19 novembre. Puis, un vol de banquette commis à Domont le 19 novembre. Ensuite, un vol de banquette, commis à Domont le 19 novembre. Et puis, un vol de banquette, commis à Domont le 14 novembre. Enfin, une tentative de vol de banquette arrière d’une Citroën C3, commis à Domont… le 19 novembre.

Parfois, il faut du temps au juge pour simplement résumer les infractions pour lesquelles l’homme du box est poursuivi. Le 22 novembre à Domont, la présidente du tribunal correctionnel a dû énumérer tous ces faits pour présenter à ses assesseurs le dossier pour lequel le jeune Siradiou, 20 ans, est actuellement courbé sur un micro placé trop bas pour lui, derrière une vitre blindée, devant trois agents assoupis de l’administration pénitentiaire.

Siradiou et une bande de copains mineurs - renvoyés devant un tribunal pour enfants - ont, ce soir-là, répondu à une commande. Les instructions étaient de dérober les banquettes arrière de Citroën C3, ce à quoi ils se sont strictement tenus. Mais vers 22h, quelqu’un aperçoit un Renault Trafic et une Nissan se livrer à un manège louche autour d’une voiture, et appelle les gendarmes. Ces derniers se déplacent et tombent sur l’utilitaire, au volant duquel ils découvrent « vous, Monsieur », dit la présidente en désignant le prévenu des yeux. « Vous allez indiquer dans un premier temps être là en tant que livreur Amazon. Les gendarmes vous demandent de présenter le contenu du coffre. Ce ne sont pas des colis Amazon, mais des sièges auto. »

Comme ce sont des professionnels, les gendarmes font le lien avec la disparition de banquettes arrière de C3 signalées aux abords de la gare de Domont, en début de soirée. Puis, ils remarquent une quantité anormale de buée sur la fenêtre d’une C3 blanche garée à côté de Siradiou. Les enquêteurs approchent et constatent une vitre brisée, une porte déverrouillée, et deux personnes allongées au sol, avec des outils. Ils sont tous interpellés et placés en garde à vue.

« Je garde le silence »

L’un des mineurs est assez bavard pour raconter le déroulé des faits, qu’il résume ainsi : « Entre 19h et 20h, nous rejoignons Siradiou, qui se trouve avec un grand qui nous commande de charger des banquettes dans le camion. » En gros, les petits étaient forcés de commettre des vols (en échange de quoi ?) pour le compte de majeurs les ayant menacés de représailles s’ils se hasardaient à révéler leur identité.

A l’audience, la menace plane encore. La présidente l’interroge : « Est-ce que vous reconnaissez les faits ?

-     Oui, je reconnais.

-     Vous pouvez m’en dire plus ?

-     Je garde le silence.

-     D’accord. »

En garde à vue, il a déclaré qu’il devait 700 euros, et que le « grand » lui a proposé soit de le rembourser, soit de travailler pour lui. « Vous maintenez ?

-     Oui. »

Le procureur interroge à son tour : « Sans donner de nom, pouvez-vous en dire plus sur cette dette ?

-     Non, je ne peux pas expliquer.

-     Vous avez peur des représailles ?

-     Oui.

-     Ces personnes sont dans la salle ?

-     Oui.

-     Pas d’autre question. »

Au dernier rang, deux jeunes impassibles restent tout à fait détendus en observant Siradiou dans son box. Cela faisait quelques minutes que les magistrats et l’avocat du prévenu leur jetaient des regards suspicieux. Ils s’éclipseront rapidement à la fin du procès.

« J’ai ouvert ma voiture et la banquette avait disparu »

Le prévenu n’a été condamné qu’une seule fois, à 4 mois de prison avec sursis ; c’était le 14 juin 2024. Il est donc en récidive légale. Profession ? « Livreur chez Amazon.

-     Pour de vrai ?

-     Oui, oui.

-     Le camion que vous avez utilisé, c’est celui de votre travail ? 

-     Oui. »

Un juge assesseur sourit : « Bon, à votre avis il va le prendre comment ? Pas besoin de répondre. » La procureure demande : « À part les vols de banquettes, vous avez quelque chose à faire dans le 95 ?

-     Non.

Une femme dans le public lève le doigt : « Mais si ! Sa mamie habite dans le 95 ! » C’est la mère de Siradiou.

Enfin, on appelle l’unique victime présente, une jeune femme dépitée. « Je suis sortie de chez moi, j’ai ouvert ma voiture et la banquette avait disparu. » Elle semble affectée. « Les voleurs ne se rendent pas compte de ce qu’ils font subir aux victimes. » Elle a besoin de temps pour évaluer son préjudice et demande un renvoi sur intérêts civils. L’audience aura lieu en février 2026.

Un avocat représente les autres parties civiles et demande beaucoup d’argent (de l’ordre de 25 000 euros au total, ces banquettes valent une fortune).

La procureure espère que le prévenu « va prendre conscience de tout ça », c’est-à-dire des conséquences de ses actes. « Au début on a du sursis, du sursis probatoire, et ensuite : ça tombe. Et ça devient des peines fermes », prévient-elle. Justement, elle demande 8 mois ferme, aménagés en détention à domicile sous surveillance électronique, la révocation du sursis de 4 mois et une interdiction du département.

C’est le dernier dossier de la journée et le premier jugé au fond, rappelle l’avocate qui promet d’être brève (et elle le sera, tout comme elle sera d’accord avec le réquisitoire « équilibré » de la procureure). « J’espère que cette décision sera la dernière ! » Siradiou opine. L’avocate rappelle que la grand-mère de ce dernier vit dans le 95. Après une courte pause, le tribunal le condamne à 10 mois de prison (révocation comprise) et ne lui interdit que la commune de Domont. Siradiou repart chez sa mère.

Julien Mucchielli


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