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Elle serait « l’acte politique par excellence » pour la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet. Le 16 mai, la députée Renaissance des Yvelines ouvrait au Palais Bourbon une journée d’études consacrée à l’évaluation des politiques publiques, une prérogative du Parlement depuis la révision constitutionnelle de 2008. Au sein de la salle Lamartine, chercheurs et praticiens ont tenté d’œuvrer au rapprochement du monde politique et du monde de la recherche, réunis au sein de la « communauté évaluative française », à travers le partage de constats et de travaux.
Afin de soutenir les évaluations « ex ante », l'Assemblée a créé en 2020 une cellule nommée Leximpact. Composée d'économistes, de statisticiens et de spécialistes des traitements de données, elle a pour rôle l'évaluation « de l'effet des amendements parlementaires sur les recettes de l’État, ou sur des catégories de ménage type ». Elle se rajoute au Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC), né en 2009, qui privilégie la recherche sur les sujets transverses afin de ne pas empiéter sur les compétences des commissions permanentes.
Pour Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, chargée d’assister le Parlement et le gouvernement dans l’évaluation des politiques publiques, citoyens et décideurs publics doivent avoir accès à des « sources d'informations, des analyses, des propositions indépendantes, impartiales », pour « nourrir un débat public perturbé par les fake news ». Selon lui, l'évaluation des politiques publiques est « une démarche de transparence et de compréhension », pouvant contribuer à restaurer « une certaine confiance dans l'action publique, aujourd'hui gravement défaillante ».
L’ancien ministre de l’Économie affirme que l'évaluation des politiques publiques dans les juridictions financières a progressé : alors qu'en 2020, année de sa nomination, « seules 3 à 4% des ressources de la Cour étaient employées à cet exercice », ce taux serait aujourd'hui passé à 12%. Pour souligner la nécessaire dimension collaborative de l'évaluation, notamment avec les chercheurs, Pierre Moscovici évoque le lancement, il y a un an, d'une plateforme de participation citoyenne, sur laquelle chacun peut proposer des sujets de contrôle et d'évaluation à la Cour.
L’évaluation locale en berne
Mais malgré les progrès notables de l’évaluation des politiques publiques nationales, le bât blesse au niveau local. Gautier Maigne, inspecteur général des affaires sociales à France Stratégie, parle d’une « terra incognita, une boîte noire, qui serait le parent pauvre de l’évaluation ou encore son angle mort ». Pourtant, la dimension locale de l’évaluation est selon lui incontournable, tant pour « l'évaluation des politiques de la compétence des collectivités », que celle « de politiques nationales, dont la mise en œuvre est évidemment territoriale ».
En cohérence avec ce constat, Annie Vidal, députée de Seine-Maritime et vice-présidente du CEC, parle « d'importantes difficultés méthodologiques pour collecter les données », dès lors qu'il s'agit d'évaluer une politique publique relevant totalement ou partiellement des collectivités territoriales. De plus, remarque t-elle, ces dernières ne sont pas obligées de transmettre leurs données, « du fait de leur autonomie constitutionnelle ».
Elle souligne néanmoins la possibilité de s'appuyer sur des associations, à l’instar de ce que fait le CEC dans le cadre de ses travaux sur l'adaptation des logements aux transitions démographiques et environnementales. Ainsi, l'Agence parisienne du climat a fourni au comité « des données précieuses sur la rénovation énergétique des copropriétés à Paris ». Afin de favoriser la consolidation de l'information souvent dispersée et hétérogène, la vice-présidente suggère de s'appuyer sur l'échelon régional.
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Bernard Lejeune, président de la Chambre régionale des comptes (CRC) Auvergne Rhône-Alpes, relève que les CRC peuvent jouer le rôle de centre de données. Selon le responsable, les CRC sont reconnues comme des tiers de confiance indépendants, qui ont accès à toutes les données nécessaires, souvent plus facilement que les collectivités et administrations.
Centraliser les données ?
Autre ressource : la Société française de l'évaluation (SFE) publie tous les deux ans un baromètre de l’évaluation des politiques publiques fondé sur un observatoire. De 2007 à aujourd'hui, elle regroupe 3500 références d'évaluation. 28% d’entre elles sont purement nationales tandis que 62% concernent l'échelon local. Seul hic, le taux de publication des évaluations plafonne à 27% des travaux, un chiffre « trop faible » selon la présidente de l’organisme Isabelle Duchefdelaville. De plus, quand il y a publication, celle-ci est souvent confidentielle, traduisant une certaine « frilosité » dans la diffusion des documents.
« Ces quinze dernières années, il y a eu des changements structurels », relève tout de même Yannick L’Horty, directeur de la fédération de recherche du CNRS Théorie et évaluation des politiques publiques (TEPP). Le chercheur en économie salue un certain nombre de travaux menés en coopération avec des collectivités. Mais il considère néanmoins qu'il y a un décalage entre les « promesses », et une réalité « larvaire », « tout à fait limitée », malgré « quelques régions, quelques collectivités qui font appel, de façon exceptionnelle, à des chercheurs à des fins d'évaluation ».
Pour Isabelle Duchefdelaville le besoin pour faire monter en puissance l’évaluation locale des politiques publiques est double : « convaincre les élus », mais aussi « mieux former les cadres et responsables aux techniques de l'évaluation ». La présidente de la (SFE) insiste sur la nécessité de « structurer les datas ». Une tâche qui supposerait d'aider les collectivités moins grandes à se structurer en cohérence avec d'autres concepts, « pour qu'on n'ait pas à chaque fois à réinventer des systèmes d'information ».
Etienne Antelme
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