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EMPREINTES D'HISTOIRE. Dans sa 146e chronique publiée il y a cinq ans dans le JSS, notre chroniqueur évoquait le poète Pierre de Ronsard et son égérie, la jeune Cassandre. Il revient cette semaine sur les déboires judiciaires du prieur commendataire de Saint-Cosme qui n’a pas seulement écrit pour sa muse enchanteresse mais s’est laissé aller à quelques grivoiseries qui lui ont occasionné bien des soucis.
En 2005, le département de la Charente-Maritime décide de rendre hommage à Pierre de Ronsard en lui dédiant un rond-point. Pas n’importe où ! A Surgères (illustration ci-dessus), en demandant à l’artiste Jean-Luc Plé de réaliser la main du poète tenant une plume et écrivant : « Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain ; / Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie ». Ce sont les deux derniers vers de l'émouvant sonnet « Quand vous serez bien vieille... » que Ronsard écrivit à Hélène de Fonsèque, protégée et fille d'honneur (fille damoiselle puis fille de chambre de la reine) de Catherine de Médicis mais aussi fille du baron de… Surgères.
La jeune Hélène de Fonsèque, au teint cuivré et aux cheveux d’ébène, dus aux origines ibères de son père, avait croisé en 1572 au Louvre le regard du quinquagénaire Ronsard qui lui voua un amour platonique. Célibataire, elle s’est éteinte à l’âge de 72 ans dans son château de Surgères.
Depuis la création du rond-point illustrant l’amour porté par le poète à la demoiselle de Surgères, plusieurs automobilistes, pas tous poètes mais peut-être distraits par l’imposante plume ornant le giratoire, ont foncé dans la main de l’écrivain, dégradant ce décor original.
Mais ces imprudents ayant brûlé des priorités savent-ils que certains ouvrages de Ronsard ont été brûlés à la demande de la justice ?
En 1553, 8 ans après avoir écrit pour la belle Cassandre Salviati âgée de 14 ans rencontrée lors d’un bal à Blois son célèbre « Mignonne allons voir si la rose… »*, Ronsard publie les « Folastries », recueil de plusieurs poèmes grivois qu’il compose de 1547 à 1553, donc entre ses 23 et 29 ans. Le ton y est licencieux, sans être pour autant d’une crudité inhabituelle. Il y est parfois question de « Dame Catin » et de Bacchus, de bigotes, de « fesses accroupies », de « doucelettes amourettes », de « peau plus blanche que lait », …
Le livre est édité anonymement donc sans nom d’auteur, sous le titre « Livret de Folastries à Janot Parisien ». L’auteur sera cependant rapidement identifié !
La métrique adoptée est l’octosyllabe à rimes plates, c’est-à-dire avec des vers composés de huit syllabes. Ronsard aurait pu tout aussi bien adopter l’hendécasyllabe, donc des vers de onze syllabes, puisque c’est la métrique du poète romain Catulle qu’il a étudié l’année précédente.
Son éditrice, la veuve de La Porte, prend soin de demander au Parlement l’exclusivité de la parution, sans toutefois révéler le contenu de l’œuvre. C’est elle qui vient de publier en 1552 le premier livre du recueil « Les Amours » qui comprendront au total plus de 350 poèmes dans la rédaction desquels Ronsard s’inspire de Pétrarque, le poète toscan du XIVe siècle fondateur du lyrisme amoureux qu’il admire et dont le pape Grégoire XI avait dit qu’il était « une lumière éclatante de la sagesse morale ».
Le Parlement de Paris, le 19 avril 1553, rend un arrêt favorable : « La Cour, après avoir vu la requête présentée à elle par Catherine, veuve de feu Maurice de la Porte, lui permet d’imprimer et exposer en vente un Livre intitulé Livret de Folastries à Janot Parisien, défendant à tous autres libraires et imprimeurs de ce ressort de iceluy imprimer et vendre sans l’aveu et consentement de ladite suppliante dans le temps de quatre ans »
L’ouvrage commence donc à être diffusé immédiatement.
Mais le contenu interpelle rapidement les magistrats.
La première folastrie évoque « Une jeune pucelette, pucelette grasselette » et « une autre pucelette, pucelette maigrelette, aux « tetins maigrelets » ».
On trouve dans la quatrième folastrie :
« Robine aussi, d’une autre part, De Jaquet guignoit le tribart, / Qui luy pendoit entre les jambes, / Plus rouge que les rouges flambes, / Qu’elle atisoit songneusement. / Après avoir veu longuement / Ce membre gros et renfrongné, / Robine ne l’a dédaigné ».
Ronsard utilise ici le mot « tribard » pour désigner le sexe masculin. Le tribart est à l’époque un gros bâton que l’on attache autour du cou d’un animal pour l’empêcher de courir ou de passer à travers les haies.
Quelques-unes des eaux-fortes de l’artiste Aristide Maillol illustrant
l’édition des Folastries de 1939 par Ambroise Vollard. © Étienne Madranges
Le Premier président du Parlement est Gilles Le Maistre, un juriste conservateur, ancien avocat général, que Marcel Rousselet, dans son « Histoire de la Magistrature » (Plon, 1957) qualifie d’ « homme violent et servile », qui se déplace juché sur sa mule accompagné d’un clerc à pied, parfois avec sa femme et sa fille installées dans une charrette couverte de foin frais, leur chambrière les suivant sur un ânon.
Il n’est pas très bien vu par ses Conseillers car son gendre, l’avocat La Vergne, réussit à le faire condamner par le Parlement à une amende dans le cadre d’un litige les opposant.
Gilles Le Maistre n’est guère sensible à la sensualité paillarde et aux facéties gauloises de Ronsard, même si ce dernier fait souvent référence à l’Antique dans sa fête des sens.
Le 28 avril 1553, 6 jours seulement après l’autorisation d’exclusivité accordée à l’éditrice, le Parlement rend un arrêt qui condamne pour obscénité les Folastries et ordonne la destruction par le feu de tous les exemplaires du livret licencieux.
Cette décision marque singulièrement Ronsard, qui abandonne l’idée de la poésie érotique et les facéties empreintes de sel gaulois pour ne se livrer qu’à la poésie lyrique, satirique et politique. L’écrivain retire les Folastries de toutes ses publications ultérieures, s’autocensure, change de ton, et cherche à donner de lui-même une image sérieuse et respectable. Il abandonne définitivement la veine grivoise et se consacre à l’ode et à l’hymne.
Cet épisode judiciaire contrariant ne l’éloigne pas de la cour puisque le roi Henri II le soutient dès 1554 pour son projet « La Franciade » et consacre « Prince des Poètes » ce versificateur, grand linguiste et infatigable réformateur.
En 1568, Ronsard, âgé de 44 ans, est abbé du prieuré de Saint-Cosme près de Tours.
Cela fait longtemps que le quadragénaire se sent bizarrement vieux puisqu’alors âgé d’à peine trente ans, il avait confessé avec une certaine brutalité sincère mais navrante dans « Les Odes » : « Ma douce Jouvence est passée, / Ma première force est cassée / J’ai la dent noire et le chef blanc / Mes nerfs sont dissouts et mes veines, / Tant que j’ai le corps froid, ne sont pleines / Que d’une eau rousse, au lieu de sang / Adieu ma lyre, adieu, fillettes ! ».
Un certain Fortin, teinturier à Tours, souhaite installer une teinturerie au pont de la Mothe sur la rivière Choisille, sur les terres dépendant du prieuré Saint-Cosme. Ronsard s’oppose avec la dernière énergie à ce projet qui empiète sur les terres dont il a la responsabilité, en contestant son utilité de même que sa légalité. Ronsard défend en effet les droits et privilèges du prieuré.
Ronsard et le Prieuré Saint-Cosme près de Tours (Indre-et-Loire) © Étienne
Madranges
Faisant état d’arrêts du Parlement et d’une tradition multiséculaire ininterrompue en sa faveur, il écrit en juillet 1568 un courrier au maire et aux échevins de Tours commençant ainsi : « Monsieur le Maire, je croy que vous avez bien entendu, avec tout le corps de la ville, le proces que le seigneur Fortin, contre tout droit et raison et iniquement et de mauvaise conscience, a contre moy et lequel proces il vous veut persuader et à tous messieurs les eschevins, soubz couleurs frivolles et raisons en l’air, que c’est pour le proffit et utilité du public; come si les rois et les corps de villes estoient tyrans pour oster le bien d’un particulier… »
Ronsard veut à tout prix éviter qu’une teinturerie ne soit installée sur la rivière Choisille qui traverse son domaine. Il obtient gain de cause.
Nombreux sont à l’époque les litiges mettant aux prises les intérêts économiques en pleine expansion et les intérêts ecclésiastiques.
Ce procès est emblématique des conflits fréquents à la Renaissance entre les institutions religieuses qui possèdent de vastes domaines et les artisans ou commerçants qui veulent développer leur activité.
Dans cette affaire, ce n’est pas le poète proche du monarque qui agit, mais le gestionnaire rigoureux qui défend avec acharnement par tous les moyens possibles les intérêts de son institution.
Ronsard n’est pas seulement un homme de lettres talentueux. C’est un acteur de la vie locale se préoccupant des enjeux juridiques et sociaux de son temps.
Non content d’être parfois confronté à des litiges réels, Ronsard s’amuse à mettre en scène un procès fictif contre un cardinal dans « Le procès par Pierre de Ronsard vandosmois à très illustre Charles, cardinal de Lorraine ». Le poète y est demandeur et intente un procès au cardinal qui y est donc défendeur.
Cette œuvre brève et satirique est un reproche pour ingratitude en raison d’une promesse non tenue : « Or de vous accuser il prend la hardiesse / De n'avoir vers Ronsard gardé vostre promesse. / Tout homme qui ne veut sa promesse tenir / Se doibt selon la Loy severement punir. »
Ronsard prend comme avocat Calliope, muse de la poésie, et désigne Phébus comme juge. Dénonçant une injustice, il y rappelle les services rendus et les oublis du cardinal qui a récompensé d’autres personnages.
Le procès se déroule donc devant le tribunal de la poésie et de la justice céleste. C’est en réalité une critique plus générale de la tendance des puissants à oublier leurs promesses. Ronsard, avec son art rhétorique habituel, déploie toute son ironie pour dénoncer l’ingratitude de ces puissants et insiste sur la valeur de la fidélité à la parole donnée.
Bien évidemment, le tribunal fictif condamne le cardinal !
Ronsard ? Un homme de lettres lucide, un artiste engagé et intrépide qui a su défendre la dignité du métier de poète et qui demeure une figure centrale de la poésie française.
Étienne
Madranges
Avocat à la cour
Magistrat honoraire
Chronique n° 259
* voir notre 146ème chronique dans le JSS n°20 du 11 mars 2020
10 empreintes d’histoire précédentes :
• Pourquoi la plume de Pierre se Ronsard fut-elle confrontée à la plume du greffier ? ;
• A quel procès fut confronté un grand Français qui présida le Sénégal ? ;
• Quelle pucelle fut croquée par un greffier puis dévorée par les flammes ? ;
• Pourquoi Honoré Daumier a-t-il été incarcéré par les juges qu'il allait honorer de son crayon ? ;
• Pourquoi l'amende jadis était-elle honorable ? ;
• Comment la scène du "Noli me tangere"
s'est-elle glissée dans les plis du droit contemporain ? ;
• Comment sont nés les P'tits Poulbots ? ;
• Pourquoi le peintre Utrillo, incarcéré à la Santé, n'a-t-il pas été condamné ? ;
• Fallait-il autoriser la réédition de "Mein kampf" ;
• Pourquoi les visiteurs de certains palais de justice demeurent-ils parfois médusés ;
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