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Pendant que la présidente de la 10e chambre correctionnelle du tribunal d’Évry renvoie la moitié des affaires prévues ce jour pour cause de surcharge de l’audience, un couple attend assis côte à côte au fond de la salle, accompagné d’un adolescent bien sage.
Quand son dossier est appelé, l’homme, un quadragénaire grand et athlétique, vient se positionner à la droite du prétoire, côté prévenu, et l’adolescent sur la gauche, côté victime. L’adolescent a 16 ans et il est le fils du prévenu, qui se prénomme Simbala et a 44 ans. Il est assis sur une chaise à côté de Sylvie, son ex-belle-mère et ex-compagne de Simbala. Elle est habillée de noir et jette dans le public un œil vers sa sœur qui la rassure d’un regard doux et pétillant. La compagne de Simbala est restée sur son banc, au fond de la salle.
Elle
était présente le 22 octobre 2023, le jour où Simbala aurait frappé Sylvie. Et
selon les explications de la victime et du prévenu, sa présence aurait même été
le fait générateur des violences ayant causé 15 jours d’ITT à Sylvie (lésion
nasale et contusions au visage). En fait, explique le prévenu au tribunal, il
s’est présenté au domicile de Sylvie pour récupérer son fils, pas l’adolescent mais
un enfant plus jeune qu’il a eu avec Sylvie.
« Madame a commencé à m’insulter et à me reprocher que ma compagne soit présente. Elle m’a suivie jusqu’à la voiture et a voulu s’en prendre à elle. Je l’ai retenue et je l’ai faite rentrer dans la maison. Notre fille ? Elle s’est mise entre nous pendant que je repoussais sa mère à l’intérieur.
- Les violences, vous les contestez ?
- Je l’ai juste repoussée et poussée à l’intérieur pour l’empêcher de sauter sur ma compagne.
- Comment vous expliquez les lésions sur son nez ?
- Ça a pu arriver dans la bousculade.
- Quand on pousse quelqu’un, on ne porte pas de coup au visage. »
La fille de 10 ans décrit une « véritable scène de violence ». Le prévenu répond que c’est une fille, il est normal qu’elle prenne le parti de sa mère. La présidente précise que sur question du gendarme, la jeune fille a précisé qu’il lui avait porté « une gifle ou un coup de poing ».
Simbala répond : « Ça peut être un geste de bousculade ?
- Et bousculer, c’est pas des violences ?
- Si, ce sont des violences.
- Alors, vous reconnaissez les faits ?
- Oui mais c’était dans les deux sens.
- Vous étiez blessé ?
- Non. »
C’était la partie simple de l’affaire. Il y a les faits du 22 octobre et ceux qui courent sur une période du 1er janvier 2019 au 22 octobre 2023, soit 4 ans de « violences habituelles » dénoncées par Sylvie. « Les violences passées que madame a pu décrire, vous en dites quoi ? », demande la présidente. « J’en dis que c’est complètement faux, répond le mis en cause. Déjà, je travaille énormément, je suis souvent en voyage au Mali et à Dubaï. Elle aurait pu profiter de mes absences pour partir. » Voilà pour sa défense.
Sylvie, elle, déclare que « quand monsieur rentrait de déplacement, il posait ses bagages et me tapait la tête contre les murs ». Elle ne lui faisait jamais aucun reproche, de peur qu’il explose. Il restreignait ses mouvements, l’empêchait de voir sa famille autant qu’elle l’aurait voulu (sa soeur fait un grand oui de la tête). Lorsqu’elle l’interroge, l’avocate de Simbala l’attaque sur le fait qu’aucun fait n’est daté, qu’aucune main courante n’a été déposée, et donc que cela n’est que du « déclaratif » dont elle pense que ce n’est que pour enfoncer son client.
Et puis il y a l’adolescent, que l’on appellera Jason. La présidente l’invite à venir à la barre pour témoigner des violences que son père lui aurait infligées au mois de septembre 2023. Jason déclare : « Je confirme deux gifles, mais ce sont des évènements isolés qui n’avaient jamais eu lieu auparavant. Mon père c’est un homme compréhensif qui va essayer de communiquer. La première année où j’ai été au domicile avec mon père j’étais assez difficile et il n’a jamais levé la main sur moi. Il a toujours été dans le dialogue. »
La présidente lui demande de préciser un épisode un peu trouble, lorsque la conseillère principale d’éducation de son collège et sa belle-mère avaient insisté pour qu’il témoigne à charge contre son père. « Elles voulaient que je change la vérité pour témoigner contre lui.
- Comment vous l’expliquez ?
- Pour avoir un témoignage contre mon père. »
Si la fille est du côté de la mère, le fils paraît vouloir défendre son père. On assiste alors à une insistance incommodante de la part du tribunal, qui fait tout pour infléchir son discours et lui faire admettre que, le jour des faits, il a vu son père agresser sa belle-mère (c’est ce que Sylvie prétend). Ce qu’il infirme : il était dans sa chambre, il n’a rien vu.
Il ajoute même que Sylvie avait un comportement envers lui qui lui laissait bien comprendre qu’il n’était pas le bienvenu. En fait, il avait quitté sa mère qui souffre de graves troubles psychiatriques, et avait rejoint le domicile de sa belle-mère alors qu’elle ne vivait déjà plus vraiment avec son père – qui avait déjà débuté sa relation avec son actuelle compagne.
Au mois de novembre 2023 – après les faits, donc – elle ne supportait plus la présence de Jason et avait appelé les gendarmes ; Jason avait été escorté chez sa tante, chez qui il a vécu ensuite. Comme l’avocate de Simbala s’empare de ces faits pour la faire passer pour la méchante belle-mère qui règle ses comptes, Sylvie donne quelques explications.
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« Si Jason a été placé chez nous, c’est que la justice avait confiance en nous. Je précise que je me suis occupé de lui et de son AEMO [assistance éducative en milieu ouvert, ndlr], alors que son père était soit en voyage, soit trop occupé à s’installer avec sa nouvelle compagne. Le jour des faits, il l’a ramenée, et j’ai estimé que c’était un manque de respect. Moi je ne suis sorti que pour dire au revoir à mon fils, le raccompagner à la voiture. J’ai juste demandé à Monsieur ce qu’elle faisait là, et là il m’a craché dessus, m’a poussée. Jason et notre fille ont tout vu. Elle s’est levée et a attrapé le bras de son père, c’est ça qui l’a arrêté. »
Cela fait près d’une heure que les acteurs de ce procès se prennent à partie avec une certaine véhémence, tandis que Jason est là, immobile au milieu de cette violence. Finalement, la présidente met fin aux débats et passe à la personnalité du prévenu.
Trois enfants, dont Jason et deux avec la plaignante. 1600 euros de revenus et propriétaire de la maison dans laquelle Sylvie habite encore. Sa dernière condamnation remonte à 2014 : deux ans pour arrestation, enlèvement et séquestration, pour des faits qui datent de 2009. Auparavant, il avait été condamné à 6 ans par les assises du Val-de-Marne pour des coups mortels – les faits datent de 2001, et il avait purgé une partie de sa peine au Mali, où il avait fui.
L’avocate de Sylvie demande 50 000 euros pour le préjudice morale. Celle de l’administrateur ad hoc de Jason dit qu’on ne devrait pas demander à un enfant de prendre position dans une telle situation. « Dans la procédure un policier a demandé à Jason : ‘souhaitez-vous déposer plainte contre votre père ?’ À quel moment on pose cette question à un mineur ? On laisse cet enfant à sa place d’enfant, quand bien même il a 17 ans aujourd’hui. »
La procureure se dit « un peu catastrophée par cette audience, alors que le dossier était particulièrement limpide ». Elle ajoute que « le parquet pensait que le dossier devait être jugé en comparution immédiate, pourquoi ? Parce qu’un mandat de dépôt doit être requis aujourd’hui. » Quatre ans de violences, 15 jours d’ITT, les antécédents et la possibilité que le prévenu a de fuir au Mali la conduisent à demander 18 mois de prison avec incarcération immédiate.
L’avocate de la défense fait une longue plaidoirie, et commence par se défendre elle-même : « Ce n’est pas la défense qui a demandé à interroger Jason. » Puis elle rejette les faits de violences habituelles, aucun d’entre eux n’étant caractérisé selon elle en dehors de ceux du 22 octobre.
Elle accuse la plaignante de « maltraiter Jason psychologiquement », et d’être une profiteuse : elle savait depuis longtemps que Simbala avait une maitresse et s’en contentait, bien contente de vivre dans une grande maison avec beaucoup d’argent de poche, dit-elle en substance. Elle lui reproche d’instrumentaliser l’audience pénale pour régler des affaires de famille. « Et après ? Après, elle partira en vacances aux frais de Monsieur. »
Pendant la suspension, Simbala, son fils et sa compagne attendent ensemble la décision. Cela dure des heures avant que le prévenu soit invité à se positionner à la barre pour entendre le tribunal le condamner à 12 mois de prison et décerner un mandat de dépôt. Il est menotté devant tout le monde et surtout son fils forcé de témoigner contre lui, puis conduit dans les geôles, au sous-sol, en attendant son transfert à Fleury-Mérogis.
Julien Mucchielli
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