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A
Bobigny, une chambre correctionnelle est exclusivement dédiée aux infractions
liées à la législation sur les stupéfiants. Le 6 septembre, différents profils
ont défilé devant les juges.
La jeune
femme dans le box parle en sanglotant, l’interprète s’adapte en prenant un
petit ton plaintif. Veronica, 25 ans et trois enfants, est une « mule » que les
douaniers ont cueillie à l’aéroport avec 1,9 kilo de cocaïne incorporée sous
formes d’ovules, 62 au total. Elle en a ingéré la plupart, sous la contrainte
de trafiquants qui la rémunèrent 1 000 euros, dit-elle, pour exporter cette
quantité entre le Brésil et l’Europe. Valeur marchande : 62 000 euros. C’est
l’amende douanière requise par le procureur, qui, « eu égard aux quantités
», requiert 18 mois de prison ferme, avec mandat de dépôt.
Pour
quelles raisons a-t-elle participé à ce trafic ? La misère, dit-elle. Elle
ajoute qu’elle préfère encore se prostituer que de faire la « mule », mais que
son indigence chronique et la pression des narcotrafiquants ne lui a pas laissé
le choix.
Quand
elle revient dans le box après une courte suspension, Veronica est accompagnée
d’une autre « mule », un homme dont le procès s’est déroulé juste avant le
sien. Le président énonce les peines : 14 mois de prison pour Veronica, 50 000
euros d’amende. « Si vous formulez une demande de libération conditionnelle
expulsion, vous pouvez être renvoyée au Brésil dans 6 mois environ. » Veronica
pousse un gémissement lorsqu’elle est emmenée dans les geôles. L’autre prévenu
est condamné à 12 mois de prison et à 30 000 euros d’amende. Lui aussi a le
visage rougi par les larmes, et pourra être expulsé vers le Brésil dans environ
5 mois s’il en fait la demande.
Un manège de transactions bien connu
Les deux
qui suivent et comparaissent ensemble ne viennent pas du Brésil mais de
St-Ouen, secteur Aragon-Zola, haut lieu du trafic de stupéfiants. Lorsqu’ils
atteignent le secteur, ce 3 juillet, les policiers aperçoivent le manège de
transactions qu’ils connaissent bien et mettent en place une surveillance,
finement détaillée dans un procès-verbal dont le président donne lecture aux
prévenus.
Il
voient Zacharie piocher des sachets dans sa sacoche pour les remettre à Julien,
qui se dirige vers un attroupement de clients qu’il ravitaille à travers un
grillage et s’en retourne vers Zacharie, lequel lui remet des sachets, et ainsi
de suite. Zacharie, lui, récupère le produit dans diverses planques (tuyaux,
pots de fleurs), afin d’éviter de transporter une trop grande quantité de
cannabis sur lui.
S’estimant
suffisamment renseignés, les policiers interviennent. Aussitôt, des jeunes
crient « Artena », cri d’alerte habituel des guetteurs pour avertir d’une
descente de policiers. Ils parviennent tout de même à interpeller les deux
hommes.
« Y a
pas de drogue, à Nanterre ? »
Julien,
35 ans, est positif au cannabis et détient 400 euros en petites coupures sur
lui. Il nie participer à un trafic. À l’endroit où il se trouvait, les
policiers ont ramassé 70 grammes d’herbe.
« Qu’est-ce
que vous avez à dire pour votre défense ?
-
Déjà que j’étais
là-bas pour acheter, on a trouvé soi-disant de la drogue mais y a pas de preuve
que c’est à moi.
-
Et les 400 euros ?
-
J’ai été expulsé de
chez moi, donc j’ai vendu des affaires sur Le Bon coin.
-
Vous avez des
preuves sur votre téléphone ?
-
Je n’ai pas envie de
donner mon code de téléphone.
-
Vous avez la
possibilité de montrer votre bonne foi et vous décidez de ne pas le faire, vous
comprenez que ça puisse interroger.
-
C’est ma vie privée.
-
Vous habitez à
Nanterre, qu’est-ce que vous faites à St Ouen ?
-
Je suis parti acheté
de la drogue
-
Y’a pas de drogue, à
Nanterre ?
-
C’est pas la même.
-
Y’a pas de cannabis
?
-
Je sais pas moi,
sûrement. »
Parmi les 15 mentions qui figurent à son casier, Julien a été condamné pour trafic de stupéfiants à Nanterre.
À lire aussi : CHRONIQUE. (93) « J’suis morte » : à Bobigny, un viol glaçant correctionnalisé en agression sexuelle
Le
président se tourne vers Zacharie, 26 ans. « La surveillance décrit une
vingtaine de transactions. Votre stratégie de défense consiste à dire que vous
êtes simplement consommateur. Pourtant, les policiers ont épluché vos fadettes
et constatent que vous êtes tous les jours sur le secteur, alors que vous êtes
domicilié dans le Val-de-Marne.
-
Je dormais dans un
hôtel, juste à côté.
-
Le policier vous
voit sur la surveillance.
-
Pas possible, j’ai
jamais fait ça. J’aimerais bien avoir une preuve !
-
Pourquoi il
inventerait ça ?
-
Parce qu’il ne
m’aime pas ? Mon apparence ? Je sais pas.
-
Et les messages sur
votre téléphone, qui laisse clairement apparaître un trafic ?
-
Je l’ai prêté à des
gens, je connais beaucoup de monde là-bas.
»
« Vous
avez été interpellé à Marseille puis à St-Ouen »
9
condamnations pour Zacharie, principalement pour du trafic de cannabis. Il a
été récemment condamné par le tribunal de Marseille. « Vous êtes parti à
Marseille pour vendre ?
-
Non, j’étais avec
des gens et j’ai pris pour tout le monde.
-
Vous ne travaillez
plus depuis 5 ans. Vous avez été interpellé à Marseille puis à St-Ouen. Votre
avenir ça va être soit la prison, soit … à votre avis ?
-
La prison ou la mort
?
-
Absolument.
-
Vous avez arrêté
l’école à 19 ans, en quelle classe ?
-
En terminale ES.
-
Vous avez passé le
bac ?
-
J’ai eu un accident
de scooter, j’étais dans le coma et pas pu le repasser.
-
Il y a un très grand
écart entre passer le bac ES et vendre du shit à Marseille et St Ouen. »
Le
président semble dépité. Le procureur demande 12 mois avec mandat de dépôt pour
les deux. L’avocate de la défense conteste comme elle peut les éléments de
preuve, mais la culpabilité ne fait aucun doute pour le tribunal. Julien écope
des réquisitions, Zacharie est condamné à 8 mois de prison. « Vous êtes déjà
aménageable, il faut proposer un projet de sortie au juge d’application des
peines. » Après les bouches du Rhône, Zacharie est désormais interdit du
département de Seine-Saint-Denis.
Julien Mucchielli
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