CHRONIQUE. (93) Tribunal de Bobigny : « La prison ou la mort ? »


vendredi 20 septembre 20245 min
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A Bobigny, une chambre correctionnelle est exclusivement dédiée aux infractions liées à la législation sur les stupéfiants. Le 6 septembre, différents profils ont défilé devant les juges.

La jeune femme dans le box parle en sanglotant, l’interprète s’adapte en prenant un petit ton plaintif. Veronica, 25 ans et trois enfants, est une « mule » que les douaniers ont cueillie à l’aéroport avec 1,9 kilo de cocaïne incorporée sous formes d’ovules, 62 au total. Elle en a ingéré la plupart, sous la contrainte de trafiquants qui la rémunèrent 1 000 euros, dit-elle, pour exporter cette quantité entre le Brésil et l’Europe. Valeur marchande : 62 000 euros. C’est l’amende douanière requise par le procureur, qui, « eu égard aux quantités », requiert 18 mois de prison ferme, avec mandat de dépôt.

Pour quelles raisons a-t-elle participé à ce trafic ? La misère, dit-elle. Elle ajoute qu’elle préfère encore se prostituer que de faire la « mule », mais que son indigence chronique et la pression des narcotrafiquants ne lui a pas laissé le choix.

Quand elle revient dans le box après une courte suspension, Veronica est accompagnée d’une autre « mule », un homme dont le procès s’est déroulé juste avant le sien. Le président énonce les peines : 14 mois de prison pour Veronica, 50 000 euros d’amende. « Si vous formulez une demande de libération conditionnelle expulsion, vous pouvez être renvoyée au Brésil dans 6 mois environ. » Veronica pousse un gémissement lorsqu’elle est emmenée dans les geôles. L’autre prévenu est condamné à 12 mois de prison et à 30 000 euros d’amende. Lui aussi a le visage rougi par les larmes, et pourra être expulsé vers le Brésil dans environ 5 mois s’il en fait la demande.

Un manège de transactions bien connu

Les deux qui suivent et comparaissent ensemble ne viennent pas du Brésil mais de St-Ouen, secteur Aragon-Zola, haut lieu du trafic de stupéfiants. Lorsqu’ils atteignent le secteur, ce 3 juillet, les policiers aperçoivent le manège de transactions qu’ils connaissent bien et mettent en place une surveillance, finement détaillée dans un procès-verbal dont le président donne lecture aux prévenus.

Il voient Zacharie piocher des sachets dans sa sacoche pour les remettre à Julien, qui se dirige vers un attroupement de clients qu’il ravitaille à travers un grillage et s’en retourne vers Zacharie, lequel lui remet des sachets, et ainsi de suite. Zacharie, lui, récupère le produit dans diverses planques (tuyaux, pots de fleurs), afin d’éviter de transporter une trop grande quantité de cannabis sur lui.

S’estimant suffisamment renseignés, les policiers interviennent. Aussitôt, des jeunes crient « Artena », cri d’alerte habituel des guetteurs pour avertir d’une descente de policiers. Ils parviennent tout de même à interpeller les deux hommes.

« Y a pas de drogue, à Nanterre ? »

Julien, 35 ans, est positif au cannabis et détient 400 euros en petites coupures sur lui. Il nie participer à un trafic. À l’endroit où il se trouvait, les policiers ont ramassé 70 grammes d’herbe.

« Qu’est-ce que vous avez à dire pour votre défense ?

-      Déjà que j’étais là-bas pour acheter, on a trouvé soi-disant de la drogue mais y a pas de preuve que c’est à moi.

-      Et les 400 euros ?

-      J’ai été expulsé de chez moi, donc j’ai vendu des affaires sur Le Bon coin.

-      Vous avez des preuves sur votre téléphone ?

-      Je n’ai pas envie de donner mon code de téléphone.

-      Vous avez la possibilité de montrer votre bonne foi et vous décidez de ne pas le faire, vous comprenez que ça puisse interroger.

-      C’est ma vie privée.

-      Vous habitez à Nanterre, qu’est-ce que vous faites à St Ouen ?

-      Je suis parti acheté de la drogue

-      Y’a pas de drogue, à Nanterre ?

-      C’est pas la même.

-      Y’a pas de cannabis ?

-      Je sais pas moi, sûrement. »

Parmi les 15 mentions qui figurent à son casier, Julien a été condamné pour trafic de stupéfiants à Nanterre.

Le président se tourne vers Zacharie, 26 ans. « La surveillance décrit une vingtaine de transactions. Votre stratégie de défense consiste à dire que vous êtes simplement consommateur. Pourtant, les policiers ont épluché vos fadettes et constatent que vous êtes tous les jours sur le secteur, alors que vous êtes domicilié dans le Val-de-Marne.

-      Je dormais dans un hôtel, juste à côté.

-      Le policier vous voit sur la surveillance.

-      Pas possible, j’ai jamais fait ça. J’aimerais bien avoir une preuve !

-      Pourquoi il inventerait ça ?

-      Parce qu’il ne m’aime pas ? Mon apparence ? Je sais pas.

-      Et les messages sur votre téléphone, qui laisse clairement apparaître un trafic ?

-      Je l’ai prêté à des gens, je connais beaucoup de monde là-bas. »

« Vous avez été interpellé à Marseille puis à St-Ouen »

9 condamnations pour Zacharie, principalement pour du trafic de cannabis. Il a été récemment condamné par le tribunal de Marseille. « Vous êtes parti à Marseille pour vendre ?

-         Non, j’étais avec des gens et j’ai pris pour tout le monde.

-         Vous ne travaillez plus depuis 5 ans. Vous avez été interpellé à Marseille puis à St-Ouen. Votre avenir ça va être soit la prison, soit … à votre avis ?

-         La prison ou la mort ?

-         Absolument.

-         Vous avez arrêté l’école à 19 ans, en quelle classe ?

-         En terminale ES.

-         Vous avez passé le bac ?

-         J’ai eu un accident de scooter, j’étais dans le coma et pas pu le repasser.

-         Il y a un très grand écart entre passer le bac ES et vendre du shit à Marseille et St Ouen. »

Le président semble dépité. Le procureur demande 12 mois avec mandat de dépôt pour les deux. L’avocate de la défense conteste comme elle peut les éléments de preuve, mais la culpabilité ne fait aucun doute pour le tribunal. Julien écope des réquisitions, Zacharie est condamné à 8 mois de prison. « Vous êtes déjà aménageable, il faut proposer un projet de sortie au juge d’application des peines. » Après les bouches du Rhône, Zacharie est désormais interdit du département de Seine-Saint-Denis.

Julien Mucchielli


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