Cercle des Stratèges Disparus - Le développement d’activités pour le retour à l’emploi


jeudi 28 juin 20185 min
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Thierry Bernard, président du Cercle des Stratèges Disparus, a accueilli, le 1er juin dernier, François Marty, président du groupe Chênelet, entreprise au service du solidaire. Dédiée au retour à l’emploi, la société propose depuis trente ans des parcours d’insertion dans une activité économique engagée pour un développement local et durable.



L’invité du Cercle dépeint sa jeunesse comme celle d’un gamin en difficulté de la région parisienne. Mal en famille, mal à l’école, sa sœur aînée l’installe chez les moines cisterciens de Tamié (Haute-Savoie) à l’âge de seize ans. Là, pour la première fois, on l’intéresse à ce qu’il apprend. Le labeur lui est présenté comme une solution et non pas comme une condamnation. Et les moines, aussi érudits soient-ils, travaillent vigoureusement aux tâches les plus simples. Il découvre aussi, à ce moment-là, l’écologie qui, alors, se nomme juste la nature. Il rêve de devenir chauffeur-routier. À vingt ans, il quitte le monastère et rejoint un temps les communautés baba-cool du Larzac, avant de se lier avec l’abbé Tiberghien, dans le Nord. Là, ils fondent ensemble une communauté catholique pour venir en aide, d’abord, aux premiers réfugiés iraniens, à l’époque de la chute du shah d’Iran, et plus tard, aux loubards en déshérence. Pour occuper ces personnes, il se lance dans l’industrie de la palette. Il leur fournit un emploi et se retrouve ainsi parmi les pionniers de l’insertion en France. Les entrepreneurs établis ne prennent pas au sérieux cette initiative et les professionnels du social la vivent comme une « traîtrise » économique.


Le jeune homme suit une formation à HEC, où il apprend les codes et les méthodes. Après cette étape, son ambition n’est pas d’entreprendre pour de l’argent, mais pour des idées. Associé à quelques amis, il imagine de créer les entreprises à but social en France. Le groupe écrit un texte de loi qui passe entre les mains de Guy Hascoët peu avant qu’il soit appelé à devenir ministre de l’Économie solidaire. Le ministre intègre François Marty dans son cabinet. Sa première mission est de définir le social et le solidaire. Dietrich Von Hofer disait que le social corrige une société : santé, âge, anomalie, etc. Le chef de cabinet, lui, pense que le solidaire, c’est faire avec. Conseiller au ministère, il conçoit la loi sur l’épargne salariale solidaire. L’invité ironise qu’il est « un des rares citoyens français à vivre d’une loi qu’il a écrite sans être en taule ». Il a le goût des formules crues telle : « si t’étais dans la m… c’était peut-être pas de ta faute, si tu y restes, ça le devient ». Son action a entraîné la réinsertion d’environ sept mille personnes.


Puis, il quitte Guy Hascoët et retourne au privé pour monter un nouveau projet de maisons à basse consommation énergétique, financièrement raisonnable. Il faut savoir que deux tiers des dons du Secours Catholique en France servent à régler des factures d’énergie pour des familles pauvres. L’idée est qu’un couple avec trois enfants doit disposer de tous les flux indispensables au fonctionnement du bâtiment pour 50 euros par mois. Grâce à ce concept, même avec un faible revenu, l’habitant reste solvable. Il conserve sa dignité. Parallèlement, ses proches et les ingénieurs de la société développent les machines pour normaliser la paille, la terre crue, les toitures végétalisées, les bois locaux…


Aujourd’hui, le groupe Chênelet compte trois cents salariés, quatre sites en France : séminaire, formation à la cuisine et au service, usine de chocolat (fournie en matière première par Forest Invest qui fait du commerce équitable), et enfin scierie, palette, construction de maisons, logistique.


François Marty observe l’apparition rapide de liens entre structures de l’économie solidaire et entreprises de l’économie classique. Il parle d’une « économie positive ».


Chênelet érige des logements écologiques, équipés pour les personnes âgées, à très faible charge. La construction coûte 3 000 euros HT du m², le loyer s’élève à 4,16 euros du m². Il n’y a pas de rentabilité. Pourtant, avec 40 % de fonds propres, 25 % de la Caisse des dépôts (comme tout bailleur social), et des financements hybrides, les budgets sont atteints.
Le financement hybride mélange des sociétés privées et des associations.


L’investissement donne naissance à un logis qui servira pendant au moins quarante ans et génèrera des économies en termes d’EPAHD ou d’accueil des handicapés. Et donc, finalement, il est profitable. Le concept est baptisé « activation des dépenses passives ». Ces modèles économiques sans bénéfice n’existent pas. Il faut les inventer parce qu’ils ont une vraie pertinence. Autre exemple, l’association Siel Bleu dénombre cent soixante mille adhérents en France qui font de la gymnastique chaque semaine. Le fondateur énonce que dix années de cotisations représentent 4 000 euros et évitent à 80 % les fractures du col du fémur. L’opération du col du fémur coûte 19 000 euros dans le public, 27 000 euros dans le privé.
La Sécurité sociale refuse de rembourser l’inscription, par contre, les assureurs et les mutuelles, mieux avisés, paient. Là aussi, une petite dépense anticipée se substitue à une autre bien plus chère.


Sur les questions du logement ou de la santé, les réponses de la société et de l’État pourraient emprunter ce type de voies. D’autant que les moyens pécuniaires semblent réduire quand les besoins augmentent. « Innovons et pensons autrement la société », martèle l’intervenant. Les patrons ont eu tendance à embaucher du personnel surqualifié alors même que robotisation et automatisation simplifient les process. Cette attitude a favorisé un courant de pensée qui stipule que beaucoup de chômeurs ne pourront pas retravailler. Il faut sortir des idéologies anesthésiantes.


Pour François Marty, la philanthropie est essentielle et rémunérer ses actionnaires lui a demandé un effort personnel. Militant pour cette économie de demain, il veut prouver que ça marche. Y parvenir, lui demande cette concession en contradiction avec la vision habituelle du milieu solidaire. Mais c’est ainsi, les discussions d’aujourd’hui s’apparentent à des combats de points de vue parce que notre civilisation est dure, raciste, fermée.



C2M


 


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