Changer de nom, un droit simplifié… et plébiscité


lundi 16 octobre 20235 min
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Alors que le nombre de Français entreprenant cette démarche a été multiplié par près de 17 en un an, démontrant son franc succès, la professeure Sophie Prétot remarque que l’« on n’hérite plus de son état, on en est acteur », et qu’il y a désormais un détachement vis-à-vis du nom de famille.

Le nom, ainsi que le prénom, sont des éléments d’identification qui constituent l’état des personnes. L’état civil est ce qui atteste de l’ensemble des éléments de l’état des personnes. Changer son nom consiste donc à modifier son état civil. À la différence du surnom, notre nom et notre prénom, permettent de nous identifier officiellement.

L’occasion a été donnée de s’interroger sur le droit au changement de nom, et plus largement de l’état civil, lors d’une conférence au Pavillon Lecoq, à Clermont-Ferrand, organisée par le Café des juristes (association du barreau clermontois), en collaboration avec le Centre de recherche universitaire Michel de l’Hospital. Animé par Aurélie Prades, avocate, et Sophie Prétot, professeure de droit privé à l’Université Clermont-Auvergne, l’évènement, intitulé « Nom, prénom, un choix sans limite ? Réflexion sur l’évolution de l’état civil », a rassemblé une cinquantaine de participants, dont des professionnels du droit et des étudiants.

Les deux intervenantes ont commencé par évoquer l’indisponibilité de l’état des personnes. Selon ce principe, le prénom et le nom ne peuvent être modifiés qu’à titre exceptionnel, et cette modification doit être motivée par un intérêt légitime.

De 4 000 demandes à presque 70 000

« Chaque Français pourra choisir son nom de famille une fois dans sa vie » annonçait le Garde des sceaux Éric Dupond-Moretti lors d’une entrevue avec le magazine Elle publiée le 19 décembre 2021. Choisir son nom de famille est-il pour autant un droit absolu ? Qu’en est-il aujourd’hui de cet engagement du ministre de la Justice ?

Avant la réforme, c’était systématiquement au juge aux affaires familiales de statuer sur une demande de changement de nom – procédure qui pouvait d’ores et déjà constituer un premier obstacle. Par ailleurs, la demande devait être obligatoirement justifiée auprès du ministre de la Justice. Désormais, ces difficultés sont révolues.

Depuis la loi Vignal du 2 mars 2022, entrée en vigueur le 1er juillet de la même année, le changement de son nom par un majeur ne relève en effet plus de la compétence du juge aux affaires familiales, mais de l’officier d’état civil de son lieu de résidence ou de naissance. Le nouveau nom de famille s’étend alors automatiquement aux enfants du bénéficiaire, mais les mineurs de plus de 13 ans ont aussi droit au chapitre dans ce cadre, puisque la loi requiert leur consentement.

« C’est une grande révolution », selon Aurélie Prades, à en juger par le nombre de demandes, avant, et après ladite réforme. Alors qu’ils étaient en moyenne 4 000 à entreprendre la démarche avant que la loi du 2 mars 2022 ne soit publiée, ils ont été 70 000 en 2023 selon les statistiques du ministère, mises à jour le 6 juillet dernier.

La déjudiciarisation du changement de nom, qui fait suite à celle du prénom (en vertu de la loi du 18 novembre 2016) garantit-elle une acceptation automatique de ce choix par l’administration ? Un participant de la conférence s’interroge sur le rejet de la demande par l’officier d’état civil. Quelles sont les voies de recours contre une telle décision ? Ce refus peut faire l’objet d’un examen par le juge aux affaires familiales, explique l’avocate, qui motivera sa décision par l’intérêt légitime d’une telle mutation de l’état civil. Ce critère de légitimité était déjà un motif de jugement sous l’empire de la législation antérieure. Le plus grand changement de la loi Vignal est que le juge n’est plus saisi automatiquement, mais de façon exceptionnelle.

Une révolution amorcée par la justice européenne

L’indisponibilité de l’état des personnes est une limite consacrée par la Cour de cassation en 1991, réaffirmée en 2011, écartant dans les deux affaires la possibilité d’une reconnaissance de filiation issue d’une gestation pour autrui. Qu’est-ce qui a finalement permis une évolution du régime juridique après deux décennies de droit constant ? Parmi les demandeurs au pourvoi en cassation de l’arrêt de 2011, certains ont saisi la Cour européenne des droits de l’Homme.

Entre l’arrêt de 2011 et la décision de la Cour européenne, la Cour de cassation a eu à se prononcer sur le droit des parents d’attribuer le prénom « Titeuf » à leur enfant. Par une décision du 15 février 2012, les juges suprêmes ont rendu un arrêt allant dans le sens de la cour d’appel qui considérait comme contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant le choix d’un tel prénom.

C’est précisément sur ce fondement que les juges européens ont condamné la France en 2014 suite à l’arrêt contesté de 2011. Se fondant sur cette décision, la Cour de cassation n’a pu qu’opérer en 2015 un revirement de sa jurisprudence en obligeant l’État à inscrire la filiation des enfants concernés. La plus haute juridiction française a donc fini par faire primer l’intérêt supérieur de l’enfant sur le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes.

« On n’hérite plus de son état, on en est acteur »

Ce principe d’indisponibilité a donc été mis à mal par l’évolution du droit au changement de son nom, selon Sophie Prétot. « On n’hérite plus de son état, on en est acteur », conclut-elle. Le nom est un héritage qui désigne la famille. Il y a maintenant un détachement du nom de la famille. Un enfant de 13 ans ou plus peut demander un nom de famille différent de celui de ses frères et sœurs, et même ne choisir que le nom de l’un de ses deux parents si l’un des deux change de sexe.

La loi du 1er juillet 2022 a également supprimé la dévolution automatique du nom du père en premier pour l’enfant. Le mineur de plus de 13 ans peut aussi changer son nom en accolant en second celui de son père. Ce changement de cadre résulte de l’évolution récente du droit civil en faveur de l’égalité des genres que l’on a connu, notamment avec le délaissement du « patronyme », devenu « nom de famille ».

C’est aussi la reconnaissance des personnes transgenres et de leurs changements d’état qui a amorcé cette révolution. La loi de 2015 avait supprimé l’opération chirurgicale comme condition du changement de sexe pour modifier son état civil. L’intérêt légitime n’était donc plus autant à démontrer pour les personnes transsexuelles devant les juges que l’apparence suffisait désormais à convaincre d’un genre plutôt que l’autre.

Cette évolution découle de la subordination du droit français au droit européen, ainsi que d’une volonté politique d’inclusion sociale. Ce droit n’est pas sans limites puisque si on peut changer plus facilement son nom et son prénom, on ne peut le faire qu’une seule fois. Parallèlement au droit français, le droit italien, historiquement influencé par le Code civil français, a aussi évolué en ce sens. Désormais, le nom du père n’est plus automatiquement donné à l’enfant. Le 28 avril 2022, la Cour constitutionnelle italienne a considéré illégitime le fait d’attribuer le patronyme d’office. Cette réforme démontre que l’intérêt de l’enfant porté par le droit supranational s’impose aux droits nationaux. La simplification du droit à changer son nom sera-t-elle, par analogie, étendue à tous les États membres du Conseil de l’Europe ?

L.R.

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