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Le 5
janvier dernier, au Palais des Congrès, les 1 566 élèves-avocats du tout
nouveau cru de l’EFB ont prêté leur « petit » serment à l’unisson,
devant la cour d’appel de Paris délocalisée et les acteurs phares de leur
formation.
C’est
une certaine effervescence, que cachaient mal des airs faussement détachés, qui
s’est emparée du Palais des Congrès. Ce jeudi 5 janvier, un mois après leur
réussite à l’examen d’entrée, les 1 566 élèves-avocats de la promo 2023-2024
de l’École de formation des barreaux (EFB) du ressort de la cour
d'appel de Paris avaient rendez-vous avec un moment important de leur vie
professionnelle : la prestation, devant la juridiction délocalisée, de
leur « petit » serment – « qui n’a de petit que le nom »,
les a-t-on rassurés. Au moment de lever la main à l’unisson, sur les coups de
11h, l’émotion était palpable.
« Ce
serment, ce n’est pas celui d’avocat, mais il vous engage et vous oblige. Il
vous permettra de participer à toutes les activités de formation en vous
soumettant aux exigences du secret professionnel auxquelles sont tenus ceux qui
vous formeront et vous accueilleront en stage » a rappelé le Premier
président Jacques Boulard lors de cette rentrée. « La solennité de
cette cérémonie marque la portée des valeurs d’éthique et de déontologie de la
profession. Ces principes constitueront des balises qui vous guideront tout au
long de votre formation et de votre pratique professionnelle », a-t-il
assuré.
En
effet, s’il s’agissait là d’une promesse collective, le procureur général Rémy
Heitz a insisté : celle-ci ne doit pas « masquer l’engagement
individuel » de chacun, puisqu’elle implique le respect du secret
professionnel. « Au cours de vos stages, vous allez avoir accès à des
informations particulières touchant à la vie d’hommes et de femmes. Vous devrez
toujours choisir de faire primer votre serment sur tout autre intérêt, car vous
aurez entre vos mains ce qui pour toute personne est le plus important :
son honneur », a martelé le magistrat, qui a résumé les choses
ainsi : « Le commencement de votre parcours professionnel va
[donc] vous lier à jamais à la justice. »
« On
s’exerce, on s’exerce, et un jour on devient avocat »
À
compter de ce mois de janvier, les élèves de la promotion Dominique Simonnot,
du nom de leur marraine contrôleure générale des lieux de privation de liberté,
bénéficieront de 18 mois de formation théorique et pratique. « Vous
n’en serez pas seulement les consommateurs, mais les acteurs », a fait
valoir lors de la rentrée le directeur de l’EFB, Gilles Accomando.
Objectif : « acquérir un savoir-faire et un savoir-être »
via des enseignements qui se sont « beaucoup professionnalisés ».
Jacques
Boulard a de son côté enjoint les futurs avocats à suivre « avec une
attention particulière », pendant leur scolarité, les modules
consacrés à la déontologie, qui englobent des problématiques variées :
blanchiment, protection des données personnelles, relations avec les clients,
confrères et autres acteurs judiciaires. « Appropriez-vous les réflexes
déontologiques qui feront de vous des avocats droits et compétents ;
forgez-vous une posture professionnelle, avec la juste distance nécessaire,
pour exercer avec respect, rigueur et passion vos missions », a abondé
Rémy Heitz.
Jacques
Boulard les a par ailleurs encouragés à découvrir leur nouvel environnement
professionnel avec « humilité », en faisant preuve « d’écoute
et d’ouverture d’esprit », et à effectuer leur stage « PPI »
(« projet pédagogique individuel ») de six mois au sein d’une
juridiction. « Opportunité unique », selon le Premier
président de la cour d'appel de Paris, pour découvrir de l’intérieur le
fonctionnement des juridictions, travailler aux côtés des magistrats et
appréhender le processus d’élaboration d’une décision de justice. De l’avis de
Julie Couturier, bâtonnière de Paris et présidente de l’EFB, cela permet
notamment de comprendre ce que les magistrats attendent des avocats – « c’est
utile pour ne pas faire fausse route » –, et de développer une culture
commune.
Culture
commune « très prégnante » à l'École, la plupart des
formations étant assurées en binôme par des avocats et des magistrats, a-t-elle
mis en exergue. « Vos professeurs, professionnels aguerris, auront
comme mission de participer à votre entraînement, qui vous amènera à choisir
vos combats », a ajouté l’avocate, dans une métaphore digne de
George Lucas. Et de préciser : « On n’apprend pas à être
avocat : on s’exerce, on s’exerce, et un jour on devient avocat. »
L’entrée
dans une « famille soudée »... mais un chemin
« long et tortueux »
À ses
pairs, Julie Couturier a promis qu’ils faisaient leur entrée dans une « famille
soudée et conviviale » où se rencontrent « les personnalités
et les profils les plus divers » : « ceux qui pratiquent
avec délectation la joute verbale, ceux qui ont la passion du mot juste, ceux
qui vivent le code à la main, ceux qui ont des intuitions fulgurantes, ceux qui
voyagent, ceux qui arbitrent, ceux qui ont le goût du contentieux, ceux qui
conseillent, ceux qui courent après la lumière, ceux qui n’aspirent qu’à
l’ombre et au secret ». En bref, « une somme hétéroclite
d’individus qui, ensemble, forment une profession exceptionnelle »,
leur a-t-elle garanti.
Pour la
bâtonnière, l’avocature a le mérite d’offrir, à qui l’épouse, un monde de
liberté. Toutefois, a-t-elle nuancé, il faut « du courage »
pour exercer une profession libérale à notre époque. « Mais vous ne
serez pas seuls ! La confraternité existe toujours, son cœur bat vite et
fort », a-t-elle promis.
Quant
au quotidien de ces futurs avocats, il s’annonce… chargé. Là encore, Julie
Couturier a eu des mots forts. Pour la bâtonnière, hors de question de faire
dans la demi-mesure : « Vous passerez des jours entiers plongés
dans d’autres vies que la vôtre », a-t-elle prédit. « Le
chemin sera long, tortueux, parfois grisant, souvent épuisant, mais il en vaut
la peine. Vous évoluerez dans un univers où l’humain occupe la place centrale,
où l’autre n’est jamais oublié. Vous devrez être capable de vous mettre à sa
place. Vous devrez comprendre pour pouvoir défendre. C’est l’engagement des
avocats », a appuyé l’avocate.
Jacques
Boulard a également rappelé que les avocats doivent « se conformer aux
règles régissant la profession », notamment un devoir de dignité, de
probité, de respect mutuel. « Ce devoir vous imposera d’entretenir des
relations empreintes de délicatesse avec vos interlocuteurs, il vous conduira à
maintenir intacte en toute circonstance la loyauté de vos échanges avec vos
contradicteurs, et à faire une application exacte de la règle de droit. Vous
devrez également maintenir éveillée votre conscience professionnelle »,
a annoncé le Premier président.
Surpopulation
carcérale : les avocats appelés à « ne pas fermer les yeux »
Tout
naturellement, la présence de Dominique Simonnot a mis le focus sur le sujet de
la surpopulation carcérale, qui a atteint « un niveau inégalé », a
déploré Jacques Boulard. Comme l’a rapporté Julie Couturier, au
1er décembre 2022, 72 836 personnes étaient détenues dans les prisons
françaises, alors que l’administration pénitentiaire ne déclare que 60 698
places opérationnelles.
« À
l’heure où je vous parle, 12 138 hommes et femmes sont emprisonnés sans
bénéficier d’une place à proprement parler. Cela signifie dormir sur un matelas
à même le sol, subir le froid, la promiscuité, l’humidité, la cohabitation avec
puces et poux, ne jamais avoir aucune intimité, d’un instant pour s’écouter
penser. En somme, des hommes et des femmes à qui, au prétexte qu’ils doivent
être punis, est renié le droit à la dignité », a déploré
l’avocate. « Depuis un an, les bâtonniers bénéficient d’un droit de
visite : je peux témoigner de l’insalubrité, de la violence, de la peur
qui règnent dans certaines cellules de commissariat, dans certains centres de
rétention administrative, dans certaines prisons… Comment s’étonner que la loi
du plus fort remplace toutes les autres ? La peine ne peut avoir de sens
dans ces conditions. »
Si
cette situation est connue – les magistrats tirent la sonnette d’alarme depuis
des années, et la France a été condamnée en 2020 par la Cour européenne des
droits de l’homme sur ce point –, les conditions d'exercice de la peine « n’intéressent
personne », a regretté la bâtonnière. « Pourtant, avant de
légiférer, de condamner, d’enfermer, encore faut-il avoir les moyens de punir,
de surveiller et de réinsérer. Cela devrait être un préalable au prononcé de
toute peine », a-t-elle revendiqué. « Ce qui est en jeu,
c’est notre avenir. Avocats, nous ne pouvons pas fermer les yeux, car nous
sommes les premiers témoins de cette situation et avons la capacité de
comprendre ce qui se joue. »
Par
ailleurs, selon Jacques Boulard, « aujourd’hui encore plus qu’hier, l’enjeu
du procès pénal n’est pas seulement le débat judiciaire indispensable sur la
culpabilité, c’est la détermination de la juste peine ». De
l’avis du Premier président, les avocats doivent à ce titre prendre toute leur
part à cette démarche, et « s’emparer des textes ».
Une
marraine « engagée » au regard « sans concession »
C’est
pourquoi la marraine de la promotion 2023-2024 n’a pas été choisie par Julie
Couturier par hasard. « Pour toi, la dignité, le respect dû à chacun
n’est pas un concept abstrait, c’est un combat », s’est adressée la
bâtonnière à la contrôleure générale des lieux de privation de liberté. « Ton
abnégation, ta voix sont précieuses par les temps qui courent. »
Gilles
Accomando a quant à lui dépeint « une femme engagée, une femme d’action,
qui joue un rôle essentiel pour faire évoluer la situation dans les prisons
françaises ». Pour Jacques Boulard, son regard « sans
concession » invite les acteurs judiciaires à s’interroger sur leurs
pratiques, « même si la dimension systémique du problème et le manque
de moyens ne sauraient être occultés ».
« Au
cours de sa précédente vie professionnelle, Dominique Simonnot était mobilisée
auprès des invisibles, auxquels elle donnait vie dans ses chroniques
judiciaires », a également rappelé Rémy Heitz, en écho à sa longue
carrière de journaliste. « Ce combat que nous mènerons ensemble, comme
celui de la protection des droits fondamentaux, nous honore autant qu’il nous
oblige. »
De son
côté, Dominique Simonnot, qui a fait savoir qu’elle serait une
marraine « exigeante et présente », a indiqué qu’elle
souhaitait attirer ses filleuls vers ce qui a été sa « passion »,
son « obsession » : la comparution immédiate, puisque
cette procédure remplit la grande majorité des places de prison. « Même
si beaucoup d’entre vous se destinent à être avocats d’affaires, il n’y a pas
de meilleure école que la comparution immédiate pour apprendre le métier
d’avocat, pas de meilleure école que d’assister aux audiences, que de se
passionner pour ce qui fait le fond de votre serment : les plus démunis,
c’est-à-dire ceux, ne nous le cachons pas, qui défilent aux comparutions
immédiates. »
Bérengère Margaritelli
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