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Très attendue par les premiers concernés,
la réforme du statut des élèves avocats est devenue un enjeu de taille pour la
nouvelle mandature du Conseil national des barreaux. Avant la fin de l’année, la commission formation professionnelle de l’organisation représentative de la profession doit se
pencher sur l’écriture d’un rapport
afin de « lever certains verrous ».
MÀJ le 18/07/24 à 13h50 : ajout de précisions sur la position des élèves avocats
« Ni étudiants, ni travailleurs, ni avocats, ils ne disposent d’aucun statut ». Dans sa lettre d’information publiée en mai, le Syndicat des avocats de France (SAF) est revenu sur « l’urgence et la nécessité absolue » d’établir le régime de l’apprentissage pour les élèves avocats, notamment en raison de la précarité financière que certains subissent au cours de leur formation.
« Notre première difficulté est qu’on est sans statut. Nous ne sommes pas considérés comme des étudiants et à ce titre-là, nous ne pouvons pas avoir accès aux bourses du Crous, au repas à 1 euro ou encore à la gratuité des frais d’inscriptions », expose Mélanie Luce, 27 ans, élève avocate à l’École de formation des barreaux (EFB) et l’une des co-auteures, avec Amine Ghenim, ancien bâtonnier de Seine-Saint-Denis, de la lettre diffusée par l’organisation syndicale.
Si un rapport du Conseil national des barreaux (CNB) sur l’opportunité et la possibilité de conférer aux élèves avocats un statut d’alternant a été adopté par l’Assemblée générale du CNB en octobre 2023, plusieurs points concernant l’instauration de ce statut d’apprentissage restent aujourd’hui à approfondir.
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« Il y a au moins une base qui est acquise pour tout le monde, c’est qu’on ne peut rester en l’état, se félicite tout de même Paule Aboudaram, présidente déléguée de la commission de la formation professionnelle du CNB. La profession ne peut pas faire l’économie de réfléchir au statut de l’élève avocat. »
La recherche du consensus
La réforme du statut de l’élève avocat s’inscrit dans une réflexion plus large autour de la professionnalisation de la formation initiale des avocats et des ouvertures apportées par la loi du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », qui modifie le système de l’apprentissage et de la formation professionnelle continue. En 2019, une étude de faisabilité commandée par le SAF sur le sujet est conduite par le professeur de l’université de Nanterre, Cyril Wolmark. C’est sur cette base que l’ancienne mandature a débuté les travaux de réflexions sur la création d’un véritable statut pour l’élève avocat.
Après le rapport de 2023, « l’assemblée générale du CNB a donné mandat à la mandature suivante
(2024-2026) de continuer à investiguer à la fois sur le
contrat d’apprentissage et/ou toute autre
possibilité », résume Paule Aboudaram. Un groupe de
travail de la commission formation professionnelle, que le CNB a d’ailleurs « voulu très ouvert », s’est
ainsi constitué dès janvier 2024. Il s’est réuni «
quatre fois » afin de « continuer les travaux qui avaient été initiés
par la précédente mandature et s’attacher à
lever tous les verrous » contenus dans le premier rapport.
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Parmi ceux-ci : la différence de rémunération pour les apprentis, notamment entre les plus et moins de 26 ans, la question de l’application du code de travail pour l’apprenti, le problème de l’organisation de l’alternance pour les élèves avocats de l’outre-mer, le partage du temps entre l’école et les cabinets ou encore le sujet des bourses (d’un montant de 5000 euros) attribuées par le CNB aux élèves avocats… Actuellement, pour la nouvelle mandature, la priorité est de « rechercher un consensus », avance Paule Aboudaram.
L’ombre de la précarité
Statut étudiant, statut spécifique à l’élève avocat ou statut d'apprentissage ? Les trois propositions font partie des pistes qui ont été étudiées par le CNB avec l’appréciation et les observations d’autres acteurs, à savoir les membres de la Conférence des bâtonniers, les barreaux, les écoles, les cabinets d’affaires ou encore les syndicats.
Pour le SAF, qui milite depuis des années en « faveur d’un véritable statut d’alternant pour les élèves », le statut de l’apprentissage « présenterait de nombreux avantages pour les élèves avocats, les cabinets d’accueil, les écoles d’avocat et la profession en général », est-il précisé dans sa lettre de mai dernier.
Alors qu’ils rencontrent de nombreuses difficultés administratives au cours de leur formation, en particulier auprès des organismes publics délivrant des prestations sociales, avec l’apprentissage, les élèves-avocats auraient accès à un statut « protecteur » donnant accès à des « droits sociaux », explique l’élève avocate Mélanie Luce. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.
Celle qui s’est
engagée au SAF afin d’agir sur
la situation des élèves avocats évoque le cas de plusieurs d’entre
eux, à qui la Caisse d’allocations
familiales (Caf) a demandé le remboursement d’indus
de prime d’activité versée pendant un stage de
formation car ils n’y avaient pas le
droit. Et sur cette question, le Conseil d’État a
tranché. Dans un arrêt rendu le 29 décembre 2023, la haute juridiction a en
effet considéré que l’élève
avocat qui effectue un stage au cours de sa formation initiale est soumis au
code de l’éducation nationale en vertu de son statut de stagiaire, et ne peut
donc avoir accès à la prime d’activité.
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Plus récemment, les élèves-avocats ont également appris qu’ils n’ont pas le droit de bénéficier du revenu de solidarité active (RSA), malgré des discussions amorcées à ce sujet entre le CNB et la Caf. Or, défend Mélanie Luce, « beaucoup d’élèves avocats vivaient grâce au RSA ». L’absence de statut rend leur situation « vraiment compliquée », déplore la jeune femme, qui fait ce constat amer : « Le seul statut protecteur quand on est élève avocat aujourd’hui, c’est le fait d’être chômeur. »
Un nouveau rapport avant la fin 2024
À l’heure actuelle, la profession finance à hauteur de 11,1 millions d’euros la formation professionnelle des élèves-avocats. La part de l’État, quant à elle, « représente 9% », indique Paule Aboudaram. Ce à quoi s’ajoute le financement apporté par les droits d’inscriptions à l’examen d’entrée au Centre régional de formation professionnelle des avocats (CRFPA), qui sont de 1875 euros par élève.
Avec le régime de l’apprentissage, la profession pourrait bénéficier d’apports non négligeables de financements publics. Cela permettrait d'obtenir « des primes de l’OPCO, à la fois pour des écoles qui deviendraient des CFA et aussi des aides pour les cabinets qui accueilleraient ».
En juin dernier, consultés par le CNB, les représentants des élèves avocats auraient fait savoir que si l’apprentissage n’est pas la « solution idéale », il reste une des pistes possibles, selon Paule Aboudaram. Pourtant pour Victor Audubert, représentant des élèves avocats de l'EFB, « la seule solution à court et moyen terme, c'est l'apprentissage et il y a urgence ».
« Les élèves militent pour ça mais sans dogme, poursuit Paule Aboudaram. Ce qu’ils veulent c’est un statut et à mon sens c’est légitime. On voit bien qu’avec la professionnalisation des écoles, les élèves-avocats prennent une place un peu plus importante dans les cabinets, donc il est normal qu’on s’attache à leurs statuts. »
Dès cet été, la commission formation professionnelle du CNB va organiser des réunions et fera des propositions, à la suite de quoi elle rédigera avant la fin de l’année un rapport sur cette réforme d’importance. De son côté, Mélanie Luce estime qu’il « serait vraiment dommage que la profession passe à côté de la période ».
« On a un enjeu qui est très important, c’est celui de la précarité actuelle des élèves avocats mais aussi de l’image, de la manière dont on veut façonner cette profession pour l’avenir, assène l’avocate en formation. L’alternance, l’apprentissage, c’est simplement nous permettre de nous concentrer sur nos études pour qu’on soit de bons collaborateurs. »
Yslande Bossé
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