Le réchauffement climatique, un facteur supplémentaire d’inégalités dans les milieux carcéraux


lundi 22 juillet 20246 min
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Alors que l’ensemble des prisons françaises sont exposées aux risques climatiques et environnementaux, et principalement au risque caniculaire, l’association Notre Affaire à Tous préconise notamment d’améliorer le système d’alerte du plan canicule pour une application efficace des dispositifs de protection contre la chaleur dans ces établissements.

Si « la crise climatique est un incubateur d’inégalités », dans les lieux de privation de liberté, c’est la « double peine ». C’est ce que pointe l’association qui défend une vision du droit en faveur de la justice Notre Affaire à Tous, dans un rapport publié en juin portant sur les risques climatiques et environnementaux dans les prisons françaises.

Au-delà des conditions indignes de détention dénoncées à de multiples reprises par les professionnels du droit et l’Observatoire international des Prisons (OIP) notamment, le réchauffement climatique et ses risques pourraient bien rendre ces conditions encore plus difficiles, aussi bien pour les personnes détenues que pour le personnel pénitentiaire.

En effet, d’après le rapport, aucune des 188 prisons de l’Hexagone ne semble échapper aux risques climatiques et environnementaux. 15 établissements cumulent même les huit facteurs aggravants étudiés à l’occasion de ce rapport, parmi lesquels la vétusté des bâtiments, les problèmes d’accès à l’électricité ou encore la surpopulation chronique.

Et la création de nouvelles prisons ne devrait pas endiguer le phénomène, estime le groupe de travail, dans la mesure où ces nouveaux et futurs établissements, dont la construction est prévue plus loin des villes et sur des parcelles naturelles et fertiles, à l’instar de la celle de Noiseau dans le Val-de-Marne, seront elles aussi exposées à ces risques. D’autant que « cet isolement pose question en cas de besoin d’évacuation », avec « un impact tant sur la sécurité des personnes que sur les conditions de travail du personnel pénitentiaire et sur l’exercice de leurs droits par les prisonniers [et prisonnières] ».

100 % des prisons concernées par les risques caniculaires

Au titre des risques climatiques, les vagues de chaleur et canicules constituent les principaux risques et concernent 100 % des prisons françaises et ses quelque 76 000 personnes détenues, révèle le rapport, avec des risques moyens à forts. Les « études scientifiques sont formelles : même dans le cas d’un scénario optimiste, les périodes caniculaires vont augmenter sur l’ensemble du globe, y compris en France hexagonale et ultramarine », à l’heure où le pays enregistre déjà des records de température.

À Tarascon, un pic à 43°C a par exemple été enregistré en 2019, et un autre à 40,1°C à Aix-en-Provence. Par ailleurs, selon les projections Météo France, les températures moyennes pourraient être de +7°C par rapport aux températures de référence en Provence-Alpes-Côte-d’Azur. « Les établissements situés dans cette région seront donc particulièrement concernés par des températures élevées et des vagues de chaleur régulières et soutenues » alerte le rapport, et ce, alors que les personnes détenues « étouffent » dans leur cellule partagée et suroccupée.

Néanmoins, si tous les établissements pénitentiaires sont concernés par le risque caniculaire, « ils ne le sont pas tous au même degré », nuance le rapport. Le centre de détention de Saint-Pierre-et-Miquelon, situé dans l’Atlantique Nord, à proximité du Canada, serait par exemple touché dans une moindre mesure, subissant peu de vagues de chaleur contrairement aux régions du sud, à l’image d’autres établissements plus au nord.

Mais certains établissement doivent également faire face à d’autres risques, à l’instar des risques d’inondations, puisque les crues, qui peuvent parfois survenir très rapidement, mettent en danger la vie des personnes détenues, estime le rapport. L’évacuation peut alors s’avérer problématique en cas de crue très intense ou de feu de forêt notamment, autre risque significatif pour 12 % des 188 établissements pénitentiaires.

Le droit à la santé des personnes détenues n’est pas respecté

Des risques qui ne sont pas sans conséquences sur la santé des personnes détenues et qui posent la question du respect du droit à la santé. Comme le rappelle Notre Affaire à Tous, ces personnes « sont davantage exposées aux risques que représente le changement climatique par rapport au reste de la population », étant « souvent soumis[es] à de mauvaises conditions, à la surpopulation, au risque de pénurie de nourriture et d’eau et avec peu de moyens pour faire face à des événements météorologiques de plus en plus extrêmes », pointait en 2023 l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime.

« L’architecture vétuste et inadaptée aux vagues de chaleur des prisons associée à la surpopulation carcérale exposent les [personnes] détenues à des problèmes sanitaires : ils “suffoquent”, confinés dans leur cellule de 9 m² 22h sur 24 » est-il détaillé. Même chose lors des périodes de grand froid, la vétusté des bâtiments - autre facteur aggravant des risques climatiques - ne garantissant pas une isolation adéquate au confort et à des conditions de détentions dignes.

Par ailleurs, en raison de la localisation de certains établissements pénitentiaires, les personnes qui y sont détenues sont également exposées à des risques environnementaux pouvant avoir des conséquences sur leur santé dues à certaines activités. D’après le rapport, 7 établissements sur 10 sont ainsi situés sur des sols potentiellement pollués pouvant gravement affecter la santé de 47 937 personnes détenues ainsi que du personnel pénitentiaire. Ces derniers peuvent alors développer certains cancers voire le saturnisme, cette maladie d’intoxication par le plomb, selon un rapport de Santé Publique France de 2019.

Le trafic aérien - et la pollution qui en découle - est également un risque susceptible d’influer sur la santé des personnes incarcérées, la pollution de l’air faisant des dizaines de milliers de morts chaque année selon Santé France Publique. Ces pollutions sont à même d’entrainer des problèmes respiratoires comme des crises d’asthme, des otites, un vieillissement prématuré des yeux, une exacerbation de troubles cardio-vasculaires, entre autres complications.

En France, 41 établissements sont ainsi concernés par ces risques, soit près de 29 000 personnes détenues. Côté pollution industrielle, 18 établissements sont plus exposés que les autres, dont sept situés à proximité directe d’une usine classée SEVESO, autrement dit des sites identifiés comme à risque « du fait de la production, de l’utilisation ou du stockage de certaines substances dangereuses ». Les risques d’explosion, d’incendies et d’émanations toxiques notamment peuvent mettre en péril la vie de ces personnes.

Améliorer les connaissances sur le lien entre changement climatique et droits fondamentaux des détenus

Avec comme principale recommandation celle de revoir l’enfermement massif face aux conséquences du changement climatique, puisqu’il n’est « ni compatible avec le respect des droits humains, ni compatible avec la nécessaire adaptation de notre société », le groupe de travail propose 17 pistes d’action pour « répondre rapidement et spécifiquement aux enjeux climatiques et environnementaux auxquels font face les prisons françaises ».

La toute première préconisation consiste à identifier les établissements les plus vulnérables aux risques climatiques et environnementaux, et ce afin de prioriser leur fermeture, réfection ou aménagement.

Le rapport recommande de s’assurer de la prise en compte de tous les établissements pénitentiaires dans les différents plans d’urgence ORSEC (Organisation de la Réponse de Sécurité Civile) de gestion de crise afin de prévenir au mieux toute catastrophe « grave et soudaine », et recommande d’éviter l’implantation de nouveaux établissements en zone inondable notamment.

Est également pointée l’importance d’améliorer l’état des connaissances sur le lien entre changement climatique et droits fondamentaux des personnes détenues, et d’étudier comment mieux protéger ces droits, mais aussi de prendre en compte les pathologies et troubles physiologiques et psychiques associés aux changements climatiques.

La 11e recommandation portant sur les actions à mettre en place pour adapter les prisons aux impacts des canicules – principal risque – se décline en une quinzaine de préconisations, parmi lesquelles adapter les bâtiments actuels à l’enjeu climatique, améliorer le système d’alerte du plan canicule pour une application efficace des dispositifs de protection contre la chaleur, garantir l’accès aux douches, à l’eau potable et à un réfrigérateur en cas de canicule, mais aussi adapter les horaires de promenades, les conditions d’accueil des familles et les conditions de travail du personnel pénitentiaire (aménagement des horaires, adaptation des tenues pour le personnel…).

Pour Notre Affaire à Tous, il est urgent d’agir, à l’heure où « la Justice climatique ne peut pas s’envisager sans Justice sociale ».

Allison Vaslin

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