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L’influenceur exerçait, avec une
liberté relative, une activité à mi-chemin entre celles du VRP et du
publiciste. Mais après des abus retentissants, les législateurs lui ont
récemment imposé des règles dédiées. Les textes adoptés à l’unanimité
auront-ils les effets escomptés ?
Ce vendredi 1 mars 2024,
l’Université de Strasbourg organisait une conférence, en présence de
professeurs en droit, de représentants de YouTube, de l’ARCOM et de la DGCCRF,
notamment. Sous le thème « droit et influenceurs », les invités ont débattu des
lois s’appliquant à ce secteur économique moderne.
Mais qu’est-ce qu’un
influenceur ? Il s’agit d’une personne active sur les réseaux sociaux, qui
présente des produits ou services pour le compte de marques à son audience («
les abonnés »). Grâce à cette pratique commerciale, certains
influenceurs peuvent vivre des réseaux sociaux. Entre deux contenus qui leur
sont propres, ils sont payés par des marques - parfois très généreusement -
pour des placements de produit. Selon la grille tarifaire de 2022, établie par
la plateforme de marketing d’influence Kolsquare, un influenceur suivi par plus
de 100 000 abonnés peut toucher jusqu’à 5 000 euros pour un post sponsorisé sur
Instagram et jusqu’à 18 000 euros sur YouTube.
Les marques sont loin d’être
perdantes : selon l’enquête 2023 Influencer Marketing Hub, les entreprises qui
ont investi dans une stratégie de communication d’influenceurs ont profité d’un
rendement de 5,78 dollars pour chaque dollar investi. Un secteur juteux, donc.
Mais les influenceurs ont fait beaucoup de faux pas. Par exemple, en faisant la
publicité de produits et services dangereux avec les bougies « nettoyantes » à
insérer dans l’oreille avant d’y mettre le feu à son extrémité ou encore en
promouvant des services illégaux tels que des actes de chirurgie esthétique
prodigués par des esthéticiennes (et non des médecins).
Face à ce type de dérives qui
pullulent sur internet, le rappeur Booba décide de les dénoncer. Il nomme, sur
son compte X aux 6,3 millions d’abonnés, les influenceurs qu’il considère
coupables de profiter de la confiance de leur communauté. Les posts du rappeur
prennent de l’ampleur et le hashtag #influvoleurs naît en 2022. Résultat des
courses : le ministre de l’Économie, Bruno Lemaire, fait pression sur les
influenceurs pour qu’ils se mettent en règle. En parallèle et pour répondre à
cette vague d’indignation publique, les parlementaires s’activent à l’écriture
d’une loi pour tenter d’encadrer le marché de l’influence. Effectivement, la
loi « sur l’influence commerciale » est votée en juin 2023, à la majorité à
l’Assemblée nationale et à l’unanimité au Sénat.
Emmanuel Netter, professeur
de droit privé, spécialisé en droit du numérique et co-organisateur du colloque
tenu à Strasbourg, ouvre les discussions en rappelant la définition de
l’influence commerciale. Elle est inscrite dans la loi « sur l’influence commerciale
» : « Les personnes physiques ou morales qui, à titre onéreux, mobilisent
leur notoriété auprès de leur audience pour communiquer au public, par voie
électronique, des contenus visant à faire la promotion, directement ou
indirectement, de biens, de services ou d'une cause quelconque ». Emmanuel
Netter remarque le flou autour du terme « notoriété ». En effet, la loi entend
qu’un influenceur se définit en fonction de son nombre d’abonnés, sans préciser
ce nombre ni un seuil. Pourtant, une personne active sur les réseaux sociaux,
mais avec très peu d’abonnés, peut, elle aussi, être considérée comme un
influenceur si elle a une importante force de persuasion auprès de ces quelques
followers.
A l’inverse de cette critique
de manque de précision, Emmanuel Netter regrette une « longue liste
incroyablement hétéroclite construite sur des renvois tous azimuts »,
dressée au sein de l’article 4. Pour Emmanuel Netter, les renvois permanents à
d’autres textes législatifs rendent difficile la compréhension et la lisibilité
de la loi « sur l’influence commerciale » par les influenceurs
eux-mêmes. Le professeur de droit regrette également que l’article 4 établisse
des « exemples » de produits interdits de promotion, tels que
la chirurgie esthétique et les cryptoactifs. Des règles « qui vont très vite
se périmer, donc la loi va devoir être retouchée en permanence pour rester à
jour ».
Le cœur des débats de ce
vendredi 1 mars 2024 ? La raison d’être de cette loi « sur l’influence commerciale
». Selon Emmanuel Netter, un arsenal législatif était déjà apte à agir et à
contrôler le secteur. Par exemple, l’article 3 de la loi d’influence rappelle
que les dispositions législatives nationales et européennes déjà existantes et
encadrant la publicité en ligne s’appliquent aux influenceurs. S'ensuit, à
nouveau, une liste d’exemples d’interdictions (telles que la publicité du
vapotage ou de boissons sucrées et alcoolisées). Le maître de conférences
s’interroge alors : « est-ce le rôle de la loi que de vous rappeler ce qui
existait auparavant en choisissant des extraits ? »
Nicolas Ereseo, maître de
conférences en droit des affaires, abonde en ce sens. Selon lui, l’article
L.121 du Code de la consommation définit précisément les pratiques commerciales
déloyales et trompeuses. Un texte législatif qui suffit pour encadrer les
pratiques commerciales déloyales et trompeuses des influenceurs puisqu’il prend
en compte, entre autres, le délit de « dissimulation de l’intention commerciale
». Une critique longtemps faite aux influenceurs qui partageaient à leur
communauté différents produits et services, sans même l’informer qu’ils étaient
payés pour cela. De quoi faire passer une publicité par un conseil d’ami
désintéressé, ce qui est illégal. Nicolas Ereseo ajoute : « la loi sur
l’influence était condamnée soit au silence, soit à la redondance, soit à la
contrariété ». Selon lui, elle jongle entre les trois.
Pour Emmanuel Netter, la loi
sur « l’influence commerciale » est décevante et illustre le «
déclin du droit commun ». Il ajoute : « Ne faut-il pas des moyens de
rendre le droit effectif, plutôt que de sécréter plus de droit ? » Même
s’il dit « accepter l’idée que la loi soit un outil de communication »,
qui aura permis au secteur d’être sensibilisé au droit en matière d’influence
commerciale, il précise tout de même : « ce que je conteste, c’est qu’elle
ne soit plus que cela ».
Mêmes observations du côté
des instances européennes. La Commission européenne a déjà planché sur le
sujet des influenceurs et bon nombre de textes encadrant leurs pratiques
commerciales existent dans le « DSA » (Digital Service Act), entré en application
le 16 novembre 2022. Par exemple, l’article 26 du DSA prévoit qu’un influenceur
doit « par tout moyen » prévenir sa communauté qu’il a été rémunéré pour faire
la promotion d’un produit ou d’un service. Un texte qui oblige les plateformes
en ligne à mettre à disposition « une fonctionnalité leur permettant de
déclarer si le contenu qu’ils fournissent constitue une communication
commerciale ».
Or, l’article 5 de la loi sur
les influenceurs les oblige à apposer les termes exacts de « publicité » ou de
« collaboration commerciale » sur toute la durée du placement de produit.
L’article, plus sévère que la directive européenne, n’est donc plus conforme au
droit européen. En conséquence, le 14 août 2023, Thierry Breton, commissaire
européen au marché intérieur a adressé une lettre à la Catherine Colonna,
ministre de l’Europe et des affaires étrangères dans laquelle il écrit : «
ces lois françaises risquent de fragmenter le marché unique européen que le DSA
vise à harmoniser, en imposant des restrictions injustifiées à la libre
prestation de services ».
La loi des influenceurs est
en cours de révision et sera prochainement modifiée par ordonnances. L’un des
rapporteurs de la loi des influenceurs, Arthur Delaporte, a déclaré à l’AFP : «
Il s'agit avant tout de supprimer des articles redondants avec le DSA ».
Un point tout de même positif
pour Emmanuel Netter : l’article 6 de la loi « sur l’influence commerciale »
rend responsable l’influenceur de sa communication, en cas de défaut de
livraison, s’il a promu des produits issus du dropshipping. Cette logistique
commerciale - légale - permet à une marque de commercialiser des produits
fabriqués et envoyés par un fournisseur étranger. Durant le scandale des «
influvoleurs », des produits issus de ce modèle ont été pointés du doigt pour leur mauvaise
qualité, leur prix surévalué par rapport à leur coût de production (souvent
effectuée en Chine) ou pour leur nature contrefaite. De plus, de nombreux
abonnés n’ont jamais été livrés.
Des dispositions qu’Emmanuel
Netter juge « pas inintéressantes », car les influenceurs devront avertir leur
communauté des longs délais de livraison. Mais une question subsiste, selon le
professeur : « Pourquoi règle-t-on cette question dans un texte chez les
influenceurs ? Pourquoi on ne s’attaque pas ici au dropshipping de manière
générale ? »
Paul-Emmanuel Piel fait
partie des représentants d’administrations conviés aux débats. Il est chef de
bureau chargé des médias, des télécoms et des marchés numériques à la DGCCRF
(Direction générale de la Concurrence, de la consommation et de la Répression
des fraudes). Selon lui, la loi de l’influence commerciale est « utile »
parce qu’elle est « une clarification pour beaucoup d’entreprises du secteur
et d’influenceurs qui pouvaient croire qu’ils étaient dans un vide juridique.
Et là, on leur dit qu’il y a tout le droit de la publicité et des promotions
qui s’applique. »
En attendant la clarification
avec la Commission européenne, la DGCCRF applique le droit commun préexistant
et notamment la directive européenne relative aux pratiques commerciales
trompeuses et agressives. Si la DGCCRF observe des manquements de la part des
influenceurs, celle-ci a la possibilité de dresser un procès-verbal pénal
qu’elle soumettra au procureur. Il se chargera de statuer sur les sanctions,
telles que des amendes.
Paul-Emmanuel Piel précise
que grâce à la loi relative aux influenceurs, la DGCCRF peut engager des «
suites correctives », en obligeant l’influenceur à se mettre, le plus
rapidement possible, en conformité avec la loi. Si la faute est moins grave, le
chef de bureau de la DGCCRF assure que son administration régule au cas par cas
et opère avec pédagogie « une sorte de rappel à la loi. Parce que tous les
influenceurs ne sont pas les mêmes. »
Paul-Emmanuel Piel se
félicite du bilan de son administration. En 2023, la DGCCRF a surveillé 200
influenceurs, dont 47%, à date, « étaient en anomalie » avec la loi. Une
trentaine d’avertissements, 60 injonctions et une vingtaine de procès-verbaux
pénaux ont été dressés par son administration. Pour les faits les plus graves,
la DGCCRF a épinglé des placements de produit feignant des services licites alors
qu’ils étaient illicites, tels que les fausses formations du Compte de
formation professionnelle et la promotion de compléments alimentaires
prétendant soigner le cancer du côlon.
Paul-Emmanuel Piel conclut
son intervention en insistant sur le fait que la loi sur l’influence
commerciale « a été utile dans le débat public. Il y a eu une vraie prise de
conscience des acteurs (…) qui essaient de sensibiliser les influenceurs. Il y
a un essaie de comprendre et de respecter la réglementation. »
Les contours d’une régulation
du marché de l’influence sont encore en cours de définition, ce qui n’a pas
empêché la création de l’UMICC (l’Union des métiers de l’influence et des
créateurs de contenu), en janvier 2023. Il s’agit de la première fédération
professionnelle regroupant des agences d’influence, de créateurs de contenu et
des influenceurs. Leur objectif affiché : informer les influenceurs sur leurs
droits et leurs devoirs en adhérant notamment à une « charte des bonnes
pratiques » pour rendre, à terme, le secteur plus responsable.
Inès
Guiza
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