Enquête harcèlement : « l’entreprise doit se montrer exemplaire »


mercredi 9 mars 20224 min
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Face à la multiplication des cas supposés de harcèlement au travail, les entreprises sont appelées à se structurer pour être réactives en cas de situation problématique. Lors de la survenue d’une telle situation, et en dépit d’une législation lacunaire, les spécialistes en la matière recommandent une enquête interne transparente et la plus objective possible pour « restaurer la confiance ».

 



Depuis quelques années, le nombre d’alertes concernant des faits de harcèlement explose dans les entreprises. Pourtant, le mécanisme n’est pas nouveau, rappelle David Guillouet, avocat associé au cabinet MGG Voltaire, spécialiste en droit du travail. Le droit d’alerte est issu d’une loi du 31 décembre 1992, qui a créé l’article L. 2313-2 du Code du travail. Ce dispositif s’inscrit dans la mission des délégués du personnel de veiller au respect des droits et libertés des personnes dans l’entreprise et de signaler à l’employeur une situation urgente telle qu’une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l'entreprise. « Cette prérogative, nous n’en avons jamais vu de traces jusque dans le courant des années 2010 », pointe l’avocat. « Le texte a mis 18 ans à trouver son public, mais le droit d’alerte s’est finalement développé et devient aujourd’hui monnaie courante dans les entreprises ». Comment l’expliquer ? Pour David Guillouet, c’est « un tout », il ne s’agit pas forcément d’une augmentation de comportements problématiques, mais plutôt d’un accroissement de la sensibilité du public et d’une meilleure connaissance des dispositifs juridiques ; « On l’a vu avec le harcèlement moral dans les années 2000. » Si la notion de harcèlement moral a été introduite dans le Code du travail et dans le Code pénal en 2002, « l’effet de mode » vient surtout du fait que la problématique est de plus en plus connue et relayée dans les médias, déliant les langues des salariés qui s’estiment victimes de ces faits. Les comportements liés au harcèlement sexuel au travail sont eux aussi particulièrement visés. « On a des dossiers qui ressurgissent avec la libération de la parole », témoigne David Guillouet. Notamment des dossiers « anciens, assez similaires à celui de Nicolas Hulot, récemment accusé dans la presse ». Toutefois, précise-t-il, ces dossiers s’avèrent « délicats » à traiter, au-delà de la problématique de la prescription, puisqu’en droit du travail, la prescription court à partir du moment où l’employeur a connaissance de la qualification des faits fautifs. « La difficulté que l’on rencontre, lorsque les faits allégués remontent à 15 ans, c’est qu’il n’y a généralement plus de témoins, et l’historique est impossible à retracer. Cela reste la parole de l’un contre la parole de l’autre. L’arbitrage est très complexe. »



L’employeur obligé de diligenter une enquête

Face à la multiplication des alertes, les entreprises ont un rôle primordial à jouer. Au titre de son obligation de sécurité, l’employeur doit, en amont, prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment via des actions de prévention des risques professionnels, sous peine de voir sa responsabilité engagée. En outre, la Cour de cassation estime qu’il est tenu, dès lors que des faits de harcèlement lui sont rapportés, de mettre en œuvre une enquête interne pour vérifier si les agissements dénoncés sont avérés. Cependant, le Code du travail ne prévoit pas les modalités de cette enquête. Pour David Guillouet, la réglementation est « lacunaire », et seule la jurisprudence permet « d’y voir plus clair ». L’avocat estime également que l’ « on fait reposer sur les entreprises un rôle compliqué, car on leur demande de mener un travail de police en n’ayant aucune prérogative de police judiciaire, simplement au travers de leur pouvoir de subordination ».

L’enquête, qui ne lie pas le juge, peut être menée « par n’importe qui » – en pratique, le plus souvent, par les RH. David Guillouet précise qu’elle peut aussi être diligentée par un binôme employeur/représentant du personnel, « mais l’expérience montre que lorsque celui-ci finit par constater en interne à quel point l’enquête est difficile, il confie à un tiers indépendant sa réalisation. C’est souvent le cas dans les entreprises de petite dimension où tout le monde se connaît ». Ce tiers va être par exemple un avocat. Les robes noires ont effectivement investi aujourd’hui le marché des enquêtes internes, témoigne David Guillouet. L’employeur peut également faire appel à des cabinets spécialisés sur la question du harcèlement. À l’instar d’Egidio, créé en 2020, qui réunit une équipe de psychologues enquêteurs formés aux méthodologies d’investigation et en contact régulier avec des juristes. « On rend à nos clients des éléments d’aide à la décision, y compris ce qui ne fait pas plaisir à entendre », rapporte son fondateur, Gilles Riou, ancien expert-psychologue auprès de la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

 

 



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