Entretien avec Arnaud Gauffier, responsable des Programmes Agriculture et Alimentation chez WWF France


jeudi 2 janvier 20208 min
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Arnaud Gauffier est ingénieur agronome. Il travaille pour l’association WWF depuis sept ans et supervise des programmes sur des sujets agriculture-pêche-alimentation, mais aussi sur l’océan, la vie sauvage, le climat et l’énergie. Il revient pour le JSS sur les actions entreprises par WWF, notamment concernant la protection des forêts.



Pouvez-vous globalement présenter l’association ainsi que ses principales missions ?


L’association WWF mène des projets partout dans le monde dans une centaine de pays. Elle est la plus importante ONG de conservation et de protection de l’environnement dans le monde. Elle emploie environ 6 000 salariés, 130 dans l’Hexagone. Son siège en France est situé au Pré-Saint-Gervais (93) et possède des bureaux à Lyon, Marseille, Nouméa (Nouvelle-Calédonie) et Cayenne (Guyane).


L’objectif général de WWF est de faire en sorte que l’humain vive en harmonie avec la nature, que ce dernier cesse de dégrader les territoires, mais aussi qu’il vive le mieux possible sans brusques changements climatiques.


WWF travaille également sur la préservation de la biodiversité au sein des forêts, des océans (WWF lutte ainsi contre la surpêche), pour la protection de l’eau douce afin que l’on ait des fleuves les plus sauvages possible (sans barrages par exemple).


WWF travaille également à l’élaboration de catalyseurs pour améliorer l’agriculture et le climat. Par exemple, faire en sorte que les pays se dotent de systèmes agricoles qui favorisent le bio, qui incitent à manger moins de viande…


Concernant le climat, WWF incite à consommer moins d’énergie et mieux. L’association souhaite ainsi atteindre les 100 % d’énergie renouvelable à l’horizon 2050.


Concernant les secteurs de la finance, de la gouvernance et des marchés, WWF souhaite réorienter les flux financiers, notamment par la promotion des green bank afin de financer des investissements verts. L’association a aussi créé des reporting à propos des changements climatiques à destination des investisseurs, mais aussi des rapports sur la biodiversité.


L’association participe également à l’élaboration des COP, aux forums Davos, aux congrès de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) dont la prochaine rencontre aura lieu en juin 2020 à Marseille.


 


Sommes-nous, selon vous, davantage sensibilisés aux problématiques écologiques que nos parents et grands-parents ?


Nous sommes globalement plus sensibilisés. Cependant, on continue à détruire chaque année près de 9 millions d’hectares de forêts (soit la taille d’un pays comme le Portugal). Cette sensibilisation ne change donc pas vraiment nos habitudes, même si tout n’est pas entre nos mains. Par exemple au Brésil, les problèmes rencontrés par la forêt amazonienne sont liés au fait que le gouvernement n’assure plus aujourd’hui sa protection.


 


Quelle est l’importance de la forêt en général pour notre planète, pour la faune et la flore ?


La forêt représente le deuxième plus grand puits de carbone de la planète (derrière les océans). Chaque année, ce sont des millions de tonnes de CO2 qui sont captées par la forêt, permettant ainsi de lutter contre le réchauffement climatique. En outre, la forêt abrite une diversité inimaginable de plantes et d’animaux. La moitié de la biodiversité de la terre vit en effet en forêt. La forêt rend également aux hommes de nombreux services : rejet de molécules pour la production de certains médicaments ; régulation des inondations, etc. Enfin, des millions de personnes dans le monde tirent leurs revenus de la forêt (chasse et habitat). L’humanité a donc un lien très privilégié avec la forêt.


 


Quelle est la stratégie de WWF en termes de protection de la forêt dans le monde, mais aussi en France ?


Nous travaillons notamment sur l’identification des zones à Haute Valeur de Conservation (HVS), qui sont les plus riches en biodiversité. Elles existent un peu partout en France. L’association WWF a également augmenté ces dernières années le taux de certification FSC (forest stewardship council), qui permet ainsi de préserver les zones concernées par ce label : interdiction de faire des coupes rases, obligation de respecter la faune qui y vit…


WWF travaille en outre sur la naturalité des forêts, c’est-à-dire sur sa diversité, sa complexité, sur son micro habitat…


Souvent, on nous dit qu’en France, la forêt n’est pas assez exploitée, mais ce n’est pas tout à fait vrai. Par exemple dans les Landes, l’exploitation est très intensive, et souvent sans respect de la naturalité des zones forestières : on y plante une seule espèce d’arbres, on coupe de manière régulière, on fait de la monoculture… or dans une forêt, il est essentiel qu’il y ait du bois mort et du bois nouveau, et également une diversité d’espèces d’arbre.


Dans les autres pays du monde, comme en France, WWF agit pour la préservation des forêts en luttant contre la déforestation à travers des engagements zéro-déforestation, la sanctuarisation des forêts à grandes valeurs de conservation, la gestion forestière durable, la restauration des forêts dégradées…


 


« La forêt représente le deuxième plus grand puits de carbone de la planète (derrière les océans) ».


 


 


Quelle est la place de la forêt et de la filière bois aujourd’hui en France ? Est-elle suffisamment valorisée à votre avis ?


En France, on entend souvent des critiques sur le fait qu’on ne mobilise et n’exploite pas suffisamment la forêt, or le problème, c’est surtout la manque de valeur ajoutée de l’exploitation elle-même. On exploite des grumes pour en faire principalement des plaquettes de bois. Nous avons également une filière qui se développe de plus en plus en France, la biomasse. Mais en général, nous avons beaucoup d’acteurs qui veulent développer la même chose. Or, il est essentiel de ne pas mobiliser une seule ressource. Bref, il est urgent de ramener de la valeur ajoutée sur la filière bois dans notre pays.


 


Quels sont les avancées et les objectifs récemment atteints, en lien avec la protection des forêts, dont WWF peut s’enorgueillir ?


Les forêts sont de plus en plus attaquées, donc globalement nous avons peu de raisons de nous réjouir. Cependant, dernièrement, nous avons empêché des destructions de zones forestières en Slovaquie. Nous œuvrons également pour que de plus en plus de forêts soient identifiées FSC. Autre exemple : au Costa Rica, nous avons protégés des zones avec l’aide des autorités territoriales.


En ce qui concerne la France, on travaille avec des industriels sur l’identification des zones à Hautes Valeur de Conservation. Dans cette optique, nous allons bientôt sortir un guide à destination de ces industriels. Nous en sommes fiers, car il s’agit d’un outil très intéressant. Nous sommes également fiers de notre travail sur la naturalité des forêts, sujet sur lequel nous avons été les pionniers. Nous avons en outre signé en janvier un partenariat avec International paper qui vise notamment à appuyer et développer la certification FSC en France, accompagner IP dans l’identification des zones à Hautes Valeur de Conservation dans les forêts exploitées par IP, développer des modes de production écologiquement compatibles dans les nouvelles plantations envisagées par IP en France. 


 


Vous avez mis en place le Réseau international forêt et commerce, pouvez-vous nous en dire plus ?


Ce réseau mondial (en anglais GFTN pour Global Forest & Trade Network) a été mis en place en 1994. Il permet de mettre en réseau les entreprises impliquées dans la commercialisation du bois et les entreprises d’exploitation forestière afin d’améliorer la gestion de l’exploitation forestière. Ce réseau compte aujourd’hui 100 entreprises. Il a généré des résultats intéressants bien qu’il se développe de moins en moins ces derniers temps depuis l’adoption du Règlement Bois de l’Union européenne (RBUE), outil essentiel de l’Union pour lutter contre le commerce de bois illégal.


 


Que pensez-vous justement de la législation française et européenne sur le Bois ? Et que pensez-vous du Label bas carbone récemment mis en place en France ?


La loi est satisfaisante sur les points dont elle s’occupe, mais globalement il y a de « gros trous ». Il reste que le FSC a de nombreux avantages, notamment celui de pouvoir donner aux industriels les clés de lecture pour identifier les lieux à préserver, les lieux de nidification par exemple.


Quant au Label bas carbone, il peut apporter quelques éléments de réponses en ce qui concerne la protection de la forêt. Cependant, cette dernière ne se résume pas au carbone. La forêt, c’est aussi la biodiversité, la naturalité, la protection des populations autochtones…


 


Pensez-vous que des manifestations comme Earth hour ou les campagnes contre les déforestations ont un réel impact sur la protection de la forêt ?


À propos de Earth hour, son message ne concerne pas seulement la protection de la forêt, il s’agit d’un message très global. Nous n’avons pas d’indicateurs précis pour savoir si cela fonctionne réellement, même si de plus en plus de monuments s’éteignent lors de cette manifestation.


Les campagnes contre la déforestation fonctionnent beaucoup plus. En novembre 2018, nous avons ressorti un rapport sur la déforestation importée liée à l’agriculture (Déforestation importée : arrêtons de scier la branche !). Grâce à ce dernier, nous avons pu faire prendre des engagements zéro déforestation à de nombreux pays.


Vous avez récemment publié un rapport qui s’intéresse aux impacts de l’édition jeunesse sur les forêts, pouvez-vous nous en dire ?


Dans ce rapport intitulé "Les livres de la jungle : l’édition Jeunesse française abime-t-elle les forets ?", on explique que globalement, on ne sait pas quelle est l’origine des fibres utilisées dans la plupart des titres. Or, si on ne nous donne pas cette information, c’est qu’il y a un souci. Bien souvent, on ne connaît pas non plus l’imprimeur dont le nom n’est pas indiqué sur les livres.


Chez WWF, nous avons donc créé un outil en ligne intitulé Check Your Paper qui permet de vérifier l’origine du papier. Il s’agit aussi d’une base d’informations qui regroupe les fournisseurs et producteurs qui se sont engagés à ne pas participer à la déforestation.


 


Enfin, avez-vous des conseils à donner aux citoyens pour agir pour la planète au quotidien ?


En ce qui concerne la protection de la forêt, mes conseils seraient de n’utiliser que des papiers recyclés, de viser le réemploi, et également d’acheter d’occasion le plus souvent possible.


Au quotidien, les citoyens peuvent limiter leur empreinte forêt en mangeant moins de viande par exemple, ou plutôt de la meilleure viande, c’est-à-dire plus de bœuf charolais que de bœuf qui vient du Macdo, plus de poulet bio que des nuggets. Évidemment c’est plus cher, mais il vaut mieux manger moins de viande, que de la viande issue d’une agriculture peu attentive à la protection de l’environnement.


En effet, la déforestation mondiale est due à 70 % à l’agriculture. En France par exemple, nous avons des poulets et des cochons qui sont nourris avec du soja qui vient du Brésil (productions qui détruisent de nombreuses forêts là-bas). Pourquoi ? Car ce soja est moins cher et que nous n’avons pas suffisamment de place ici pour stocker toute la nourriture qu’il faudrait pour nourrir ces bêtes. Or, la solution n’est pas d’importer leur nourriture, mais tout simplement d’en manger moins afin d’avoir moins besoin d’en produire. D’où les campagnes menées par WWF pour inciter à manger moins de viande, surtout dans nos pays occidentaux.


 


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