Entretien avec Pierre Lumbroso, Avocat spécialisé en droit pénal


dimanche 27 janvier 20197 min
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Avocat au barreau de Paris depuis 1990, spécialiste en droit pénal, Maître Pierre Lumbroso est notamment l’auteur de l’ouvrage « Libre d’être putain ? Manifeste pour une prostitution choisie ». Entretien.



Maître Lumbroso, vous êtes avocat au barreau de Paris. Pourriez-vous présenter votre cabinet en quelques mots ?


Je suis né le 30 octobre 1963 à Boulogne-Billancourt. Je suis titulaire d’un DEA de Droit des affaires de Paris 1 et diplômé de l’Institut de criminologie de Paris 2. J’ai prêté serment au mois de janvier 1991. J’ai été collaborateur de Maître Joseph Cohen-Saban, puis de Maître Henri Leclerc, et je me suis installé à mon compte en 1995. Je suis

avocat spécialisé en droit pénal. J’ai eu à connaître, au cours de ma carrière, différents dossiers dont celui « des Muses », celui des « réseaux Chalabi », celui du « sang contaminé », celui « des attentats de Marrakech », le dossier « du Temple Solaire », le dossier « des frères Khider », celui des réseaux de prostitution albanais, chinois et d’Amérique du Sud basés au bois de Boulogne, et enfin, plus récemment, le dossier « AZF ».

J’ai écrit plusieurs livres et notamment « En quête de justice » (Éditions Gammaprim), « La légitimité du juge d’instruction » (Éditions du Rocher), « La prison, une machine à tuer » (Éditions du Rocher), « Libre d’être putain » (Éditions L’Harmattan), et « Condamné à vivre » (Éditions Flammarion). J’ai en préparation un nouveau livre qui s’appellera… « Et le cœur de la justice s’est arrêté de battre ».




Vous êtes intervenu dans des procès de prostitution. Quel est, selon vous, l’élément le plus marquant dans ce type d’affaire ?


Pour bien comprendre la prostitution dans notre pays, et plus précisément en Europe occidentale, il faut faire la différence aujourd’hui entre les prostituées qui travaillent pour leur compte, et souvent à domicile, ou dans des camionnettes, des réseaux de prostitution internationaux qui fonctionnent sous forme pyramidale et qui est assimilable à de l’esclavage.


Les dossiers qui sont renvoyés dans des tribunaux correctionnels sont dans 99 % des cas des dossiers de proxénétisme aggravé visant les réseaux de prostitution internationaux.


L’élément le plus marquant et qui est commun à tous ces réseaux est certainement la puissance des mafias, qu’elles soient albanaises, chinoises ou africaines, qui exercent une pression sur la famille des prostituées, puisque la tête du réseau reste en règle générale basée dans son pays d’origine et n’hésite pas à menacer de mort la famille de la prostituée, si cette dernière refusait de continuer à se prostituer.


Le deuxième élément commun à ce type de prostitution réside dans le fait qu’il s’agit de « cheptel », qui est ou bien pour les réseaux d’Europe de l’Est acheté à des vendeurs d’esclaves aux frontières de la Biélorussie et dont le passeport est confisqué dès l’arrivée en Europe, ou bien pour ce qui concerne l’Asie, l’espoir de trouver un travail en Europe et donc l’achat par les filles de leur voyage, puis du logement et de la nourriture ainsi que de la drogue dont elles auront besoin pour pouvoir travailler en Europe, avec le même mode opératoire qui est la confiscation du passeport jusqu’au complet remboursement des frais engagés.


Ce cheptel est envoyé successivement dans plusieurs pays d’Europe occidentale et notamment suit les filières de l’Italie et de la France.


 


Il semble que les victimes soient souvent étrangères. Les modes opératoires suivis par les proxénètes engendrent-ils des difficultés spécifiques pour la défense ?




La prostitution n’est pas une infraction pénale prévue par le Code pénal français mais que seul le proxénétisme simple ou aggravé est répréhensible par la loi puisqu’elle fait encourir une peine d’emprisonnement de cinq ans pour les proxénètes qui travaillent avec une seule prostituée, et de dix ans pour les proxénètes qui ont plusieurs prostituées.




Ce qui est compliqué dans la défense des proxénètes qui sont interpellés et renvoyés devant le tribunal correctionnel pour lesquels, en règle générale, plusieurs filles étrangères travaillent, c’est que la tête du réseau fait partie d’une mafia locale qui reste dans son pays d’origine et qui empêche donc les services de police de pouvoir les interpeller. Les proxénètes qui sont arrêtés en France sont le plus souvent des hommes de main qui sont envoyés par les mafias pour chaperonner les filles, leur permettent de trouver un local pour se prostituer, de la nourriture, de l’alcool, de la drogue, et, le cas échéant, qui les véhiculent d’un endroit à un autre, pour qu’elles puissent effectuer le plus de passes possibles. Ce sont donc souvent des personnages peu érudits qui craignent les mafias locales autant que les prostituées, et qui sont menacés de la même manière que ces dernières. Ils sont souvent condamnés à de lourdes peines alors qu’en fait, sans vouloir dire qu’ils sont autant victimes que les prostituées, ils sont souvent très proches des filles qu’ils font travailler.


En second lieu, lorsque leur proxénète est arrêté et placé en détention, les prostituées étrangères sont totalement perdues, puisqu’elles n’ont pas de moyen de retourner dans leur pays d’origine, étant démunies de papiers d’identité, elles parlent rarement la langue française et se rapprochent donc, en règle générale, de l’avocat du proxénète afin de savoir ce qu’elles doivent faire, ce qui me pose souvent des cas de conscience terribles puisque je serai bien évidemment tenté de leur dire d’aller chercher un laissez-passer à leur ambassade ou à leur consulat pour rentrer le plus vite possible dans leur famille. Malheureusement, l’emprise est souvent tellement forte qu’elles s’obligent à continuer à se prostituer pour payer les charges courantes et les honoraires de l’avocat du proxénète.




Entre les « michetonneuses », les réseaux organisés ou encore la prostitution occasionnelle, comment cartographeriez-vous le phénomène ?


Il faut bien faire la différence entre ce que l’on peut appeler la prostitution contrainte et la prostitution choisie. Les réseaux de prostitution organisés, tels qu’ils existent en Europe de l’Est ou en Asie, sont des réseaux de prostitution où les filles sont contraintes de se prostituer, puisque des proxénètes les obligent à travailler un certain nombre de jours par semaine, faire un certain nombre de passes à un certain tarif, et ne leur laissent qu’un très faible pourcentage de ce qu’elles ont pu gagner pour éviter qu’elles ne s’émancipent.


La prostitution dite occasionnelle, ou celles qu’on appelle « les michetonneuses » relève d’une prostitution choisie. Ces filles n’ont pas de proxénète et choisissent de travailler à la carte, c’est-à-dire via des sites Internet où elles proposent leurs charmes à des tarifs qui sont souvent plus élevés que dans les réseaux organisés et où elles touchent bien évidemment la totalité des recettes.


En ce qui concerne les « michetonneuses », il est beaucoup plus difficile de les catégoriser dans la mesure où il peut s’agir d’étudiantes, de femmes célibataires –  souvent avec des enfants –, ou des femmes mariées qui travaillent en complet accord avec leur mari ou compagnon pour obtenir des faveurs, des cadeaux ou de l’argent de la part d’hommes riches.


Les femmes qui travaillent à leur compte sont souvent parfaitement organisées et espèreraient pouvoir obtenir un statut social comme il en existe en Allemagne, aux Pays-Bas ou en Belgique. Elles revendiquent le fait qu’il s’agit d’un travail comme un autre qui peut être assimilé à celui d’une assistante sociale ou d’une psychologue puisque bien souvent, dans les témoignages que j’ai pu recueillir, elles disent avoir une clientèle régulière d’hommes qui viennent régler leurs problèmes psychologiques liés à leur sexualité ou aux difficultés qu’ils peuvent rencontrer avec leur compagne.


Enfin, il est impossible de donner une carte exacte du nombre de prostituées qui sont attachées aux réseaux organisés comme celles qui pratiquent une prostitution choisie compte tenu du fait que le contrôle de ces dernières par les services sociaux existe peu ou pas.


Depuis la loi Marthe Richard de 1947 et la fermeture des maisons closes qui permettaient de pouvoir comptabiliser et protéger les prostituées, il n’est plus possible de réellement définir une cartographie de ces travailleuses du sexe.


 


La loi est-elle adaptée à chacune de ces situations ?


Le principe étant que la prostitution n’est pas une infraction pénale mais que seul le proxénétisme est réprimé par la loi, la prostitution reste dans une zone grise. Elle est tolérée mais il n’existe pas de législation à proprement dit sur le contrôle, la prévention ou la répression de la prostitution.


C’est la raison pour laquelle la loi sur le proxénétisme paraît aujourd’hui complètement inadaptée aux situations des prostituées, dans la mesure où la seule infraction qui pourrait être reprochée aux prostituées faisant parties des réseaux organisés serait le racolage actif qui est une contravention de 5e classe.


Il serait important de mettre en place une réelle législation européenne et internationale de coopération et d’entraide policière et judiciaire afin de pouvoir couper à la source cette délinquance. Il faudrait, pour cela, que la législation européenne et internationale donne les moyens aux services de police et aux juges français d’aller arrêter en collaboration avec leurs homologues des pays d’origine, les mafias qui mettent en place ces réseaux structurés.


En ce qui concerne la prostitution choisie, de quelque forme qu’elle soit, la législation me paraît encore une fois inadaptée, puisque ces filles n’ont pas de proxénète et qu’elles peuvent donc pratiquer leur activité sans grande difficulté. Depuis les années 70 et les premières revendications des prostituées à Lyon, puis à Paris, et des manifestations qui s’en sont suivies devant le Sénat, la France n’a pas cru bon de devoir donner un vrai statut social aux travailleuses du sexe. Elles ne peuvent pas se déclarer comme profession indépendante ou autoentrepreneur, ce qui leur permettrait de bénéficier des mêmes avantages sociaux que ces catégories : être affiliées à une caisse de sécurité sociale, bénéficier des allocations familiales, d’une retraite et le cas échéant d’une assurance chômage.


Il faudrait peut-être que nos législateurs se rendent compte du rôle social que peuvent avoir certaines de ces prostituées, et même s’il est impossible de savoir le nombre d’agressions sexuelles et de viols évités grâce à leur travail, elles permettent, en tout état de cause, à des hommes, souvent dans une misère sexuelle importante, de trouver chez ses femmes un peu de réconfort.


 


L’usage d’Internet modifie les pratiques, les avocats doivent-ils revoir leur approche ?


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