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Le premier vice-procureur de Marseille, Michel Sastre, a exprimé sa volonté de lutter plus efficacement contre les infractions environnementales, en soulignant la nécessité de mettre fin à « l’impunité » des pollueurs.
La
protection de la mer ne se fera pas sans des sanctions pénales plus sévères,
voici le message du parquet de Marseille. « Nous devons faire beaucoup plus
pour mettre fin au sentiment d’impunité des personnes qui polluent ou
détruisent l’environnement », a déclaré Michel Sastre, premier
vice-procureur. Une demande formulée jeudi 16 janvier, lors d’une soirée sur la
pollution plastique des mers, organisée par la société nautique de Marseille.
« Selon
moi, nous n’avons pas encore atteint un niveau de sanctions suffisamment
dissuasif », estime-t-il. « Il
faut que le particulier ou l’entreprise se dise que ça va lui coûter très cher,
même s’il se fait attraper une fois tous les dix ans. Je pense qu’il faut aller
jusqu’à fermer des entreprises si elles se rendent coupables d’infractions »,
rajoute-t-il.
Une des
principales actions des autorités en matière d’environnement est de procéder à
des relevés en mer, pour détecter d’éventuels rejets de matières toxiques et
polluantes. Cependant, le parquet ne peut poursuivre que si les rejets en mer
sont interdits par la loi.
« En
effet, certains rejets polluants et dangereux sont autorisés et nous ne pouvons
rien faire. Le parquet ne fait qu’appliquer la loi », souligne Michel Sastre. « On constate parfois des
actes de pollution de la part de grandes industries de la région, mais ces
sociétés ont obtenu un droit à polluer de la part de la préfecture. Ce n’est
donc pas à la justice d’intervenir sur ces sujets, mais à la société civile »,
développe-t-il.
Toutefois,
des procédures sont en cours contre des gros industriels de la pétrochimie et
de la métallurgie à Fos-sur-Mer, à la suite de relevés en mer qui ont montré
des rejets illégaux, indique Michel Sastre. « On sait que l’industrie de
Fos-sur-Mer rejette massivement des produits polluants depuis des décennies. »
Un autre
exemple de cette dichotomie, entre une pollution constatée et une incapacité à
poursuivre en justice, s’illustre par la pollution atmosphérique liée aux
cargos et ferries amarrés dans le grand port de Marseille. Ces immenses bateaux
rejettent énormément de particules, ce qui peut provoquer de réelles nuisances
pour les habitants et plus largement pour la planète. Une plainte contre X a
notamment été déposée en mars 2023 par des riverains et des associations.
Michel
Sastre rappelle que le parquet de Marseille n’a pas attendu le dépôt de
plaintes pour agir : « Nous avons vérifié à plusieurs reprises les rejets de
particules de ces bateaux à l’arrêt qui laissent tourner leurs moteurs.
Cependant, aucun n’était en infraction par rapport aux seuils autorisés et nous
n’avons pas eu matière à poursuivre. » D’une manière générale, les
infractions en matière de pollution de l’air sont très difficiles à poursuivre.
« Il est très dur de caractériser un rejet de particules, car il peut
disparaître en quelques secondes à cause du Mistral. Or, cette pollution
retombera bien un jour quelque part. »
« Depuis
quelques années, on sent que l’intérêt économique prime sur celui de la santé.
On le voit notamment en matière de pesticides où nous sommes en grande
régression », commente le premier
vice-procureur.
Si la
lutte contre les rejets en mer est difficile, des résultats tangibles ont été
récemment obtenus contre l’utilisation par les bateaux de carburants trop
riches en soufre. Le carburant des navires est beaucoup plus polluant que celui
des véhicules, d’autant plus lorsqu’il rejette une grande quantité de soufre
dans l’atmosphère.
Les
autorités maritimes contrôlent régulièrement les navires dans les ports
industriels de Marseille et de Fos-sur-Mer. « Dès lors que les propriétaires
de ces bateaux utilisent un carburant qui contient trop de soufre, nous les
poursuivons », explique Michel Sastre.
« C’est un contentieux un peu nouveau. La pratique est d’immobiliser le bateau et de demander le versement d’un cautionnement, le temps que l’enquête soit faite. » « L’immobilisation est la sanction la plus difficile, notamment parce que les cautionnements demandés sont généralement à six chiffres », précise-t-il. Habituellement, les sociétés maritimes qui utilisent du carburant trop soufré ne sont pas délibérément délinquantes. « Souvent, c’est une forme de négligence, et de non prise en compte de l’environnement. »
Selon le
parquet, ce travail a une certaine résonance et un effet dissuasif. « Nous
ne sommes pas là pour poursuivre tous les bateaux, mais nous observons de moins
en moins d’infractions », constate le vice-procureur.
Un autre
fléau contre lequel lutte le parquet de Marseille est l’arrachage des herbiers
de posidonie par des ancres et des chaînes de bateaux. Les rhizomes de ces
plantes aquatiques, essentielles pour l’écosystème de la Méditerranée, sont
parfois vieux de plus de 5 000 ans.
Les
poursuites sont possibles grâce à une nouvelle réglementation mise en place
depuis 2017 par la préfecture maritime. Celle-ci encadre les mouillages des
bateaux de grande plaisance (d’une taille supérieure à 24 mètres, comme les
yachts), avec notamment des zones d’ancrage strictement interdites.
«
Lorsque ces gros bateaux jettent leur ancre de plusieurs dizaines, voire
centaines de kilos, cela peut provoquer d’importants dégâts sur les herbiers de
posidonie », observe le premier
vice-procureur de Marseille. Grâce aux contrôles des brigades maritimes de
police ou de gendarmerie, de plus en plus de propriétaires de navires sont
condamnés pour préjudice écologique, après un mouillage dans une zone
interdite.
Ils sont
alors obligés de verser des indemnités dont le montant s’élève parfois à
plusieurs dizaines de milliers d’euros. « Ces sommes servent ensuite à
financer des opérations de restauration des herbiers de posidonie. » Michel
Sastre ajoute que le parquet peut poursuivre même si l’arrachage a été fait de
façon involontaire. En revanche, il n’y a pas d’infraction si le mouillage dans
une zone interdite a été fait par nécessité, par exemple en cas de panne moteur
ou de tempête.
Au
parquet de Marseille, trois magistrats s’occupent des questions
d’environnement. « Nous sommes spécialisés et ne faisons que cela »,
expose Michel Sastre. En plus de la pollution en mer (rejets toxiques,
hydrocarbures, etc.), le parquet de Marseille est compétent pour toute la
région du grand Sud-Est de la France, de Toulouse à Lyon, en ce qui concerne
les infractions relevant de la santé publique.
En cas
de suspicion de pollution, il peut saisir des services d’enquête spécialisés,
comme des offices centraux pour les sujets techniques et complexes. Il peut
également saisir la police et la gendarmerie, notamment pour faire des
constatations. De plus, le parquet de Marseille dispose de divers assistants
spécialisés pour ce qui relève du travail scientifique : un pharmacien, un
médecin, un ingénieur, et un vétérinaire pour les contentieux sur
l’alimentation. « Ces assistants spécialisés sont essentiels, car le droit
de l'environnement est avant tout un droit scientifique », considère le
premier vice-procureur.
Enfin, le droit de l’environnement est un « droit très diversifié et un petit peu obèse », avec une « quinzaine de codes ». Mais, la principale difficulté est de parvenir à obtenir des condamnations, en particulier en matière de santé publique. Cette difficulté tient notamment à la démonstration scientifique au pénal qui est longue et complexe pour prouver l’impact des pollutions sur la santé des populations. « Pour le moment, nous sommes au début de l’histoire en matière de jurisprudence », selon Michel Sastre.
Et pour
réussir à poursuivre davantage en justice les infractions environnementales, le
premier vice-procureur en appelle « aux scientifiques ». Ils doivent «
venir aider » à la justice par leur travail de mesure de l’impact de la
pollution sur la nature et sur notre santé.
Sylvain Labaune
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