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Le cabinet Jeantet a
organisé, le 14 décembre dernier, une conférence virtuelle intitulée «
Experts-comptables et entreprises familiales face au risque fiscal et sa
pénalisation : le risque de la complicité ». Les avocats ont notamment évoqué
la place prépondérante des entreprises familiales dans l'économie, et les
nouveaux enjeux auxquels elles devront faire face en 2022. Nous revenons ci-dessous
sur les relations et les situations à risque entre experts-comptables et
entreprises familiales.
La conférence « Experts-comptables et entreprises familiales
face au risque fiscal et sa pénalisation : le risque de la complicité »,
organisée par le cabinet Jeantet a été animée par les avocats Jacques-Henry de
Bourmont, associé en droit fiscal et pénal, Jean-Guillaume Follorou, associé en
droit fiscal, ainsi que Philippe Portier, associé en Corporate M&A, en
charge de l’offre « Jeantet Family », qui représente les entreprises
patrimoniales et familiales. 
« La relation de proximité entre
l’expert-comptable et le dirigeant peut conduire à des situations à risque, et
les meilleurs amis peuvent devenir les pires ennemis, puisque le jour où une
infraction pénale a été commise, et qu’elle est poursuivie par un procureur, ou
qu’elle fait l’objet d’un procès, le dirigeant va essayer de se défausser de sa
responsabilité sur l’expert-comptable, et vice-versa » a déclaré en
préambule Jacques-Henry de Bourmont. Par conséquent, ce dernier conseille aux
experts-comptables d’entretenir des relations « amicales, mais franches » avec leur client, pour alerter comme « on
alerte son meilleur ami, dès qu’il prend une décision pouvant conduire à un
risque pénal ». 
Si l’expert
laisse faire, sa responsabilité peut en effet être engagée sur le chef de la
complicité. Celle-ci est définie à l’article 121-7 du Code pénal : « est complice d’un crime ou d’un délit, la
personne qui sciemment, par aide ou par assistance, en a facilité la
préparation ou la consommation ». En ce qui concerne le terme « sciemment », la jurisprudence, notamment
celle de la chambre criminelle de la Cour de cassation, est extrêmement large.
La Cour retient souvent « un dol de
fonction », c’est-à-dire que le dirigeant est présumé connaître l’ensemble
des obligations de la société, et l’expert-comptable est également présumé
avoir connaissance pleine et entière du droit des sociétés et du droit fiscal.
Bref, l’élément intentionnel est très souvent présumé par la Cour. 
La complicité, en
matière de fraude fiscale, est aussi définie à l’article 1742 du Code général
des impôts. Cet article indique que les sanctions pénales sont « sans préjudice des sanctions disciplinaires
s'ils sont officiers publics ou ministériels ou experts-comptables ». On
voit bien que l’expert-comptable joue un rôle central dans cette complicité.
Complicité qui est d’ailleurs l’axe qui structure la responsabilité de ce
dernier en cas de fraude fiscale. Lors de cet événement, les intervenants ont présenté
une cartographie des risques sur laquelle ils ont indiqué un certain nombre
d’infractions qui peuvent être retenues à l’encontre des experts-comptables. 
Parmi ces infractions, on peut citer : délit de présentation de comptes ne montrant pas une image fidèle de la société (un grand nombre de cas de jurisprudence illustrent ce type de complicité) ; délit de non-dénonciation au parquet d’informations mensongères ; délit de bien social ; complicité de fraude fiscale ; complicité dans le manquement à des dispositions légales et réglementaires, notamment en matière de droit social.
Ces infractions
ont été illustrées par deux arrêts choisis par les avocats du cabinet Jeantet.
Le premier est celui du 24 septembre 1987 (Cour de cassation, chambre criminelle,
86-95.480, Inédit). Dans cette affaire, l’expert-comptable a non seulement
facilité les dissimulations comptables opérées par les cogérants en négligeant
les contrôles élémentaires, mais a aussi sciemment apporté son concours actif à
cette fraude via la tenue d’une comptabilité irrégulière en ayant délibérément
fait apparaître une grosse somme sur le compte passif afin de faire disparaître
la dette envers le Trésor. Le deuxième exemple est l’arrêt du 6 septembre 2000 (Cour
de cassation, chambre criminelle, 99-85.434, Inédit). La chambre criminelle a
condamné un expert-comptable qui avait l’obligation professionnelle de vérifier
la comptabilité de son client. Celui-ci a passé des écritures d’après les
documents fournis pas son client sans les redresser et en acceptant de laisser
figurer au bilan de la société, la prise en charge de dettes qu’il savait
personnelles à son client. Par son abstention, l’expert-comptable a donc aidé
et assisté son client dans la réalisation d’un abus de bien social. 
Les obligations de l’expert-comptable 
Pour ne pas être
poursuivis pour complicité, les experts-comptables doivent respecter leurs
obligations. Celles-ci sont de trois natures, ont précisé les intervenants. Il
y a les obligations légales, les obligations contractuelles, et les obligations
spécifiques. Les obligations légales découlent des articles 2 et 22 de
l’ordonnance de 1945 qui concerne en réalité l’obligation d’information et de
conseil de l’expert-comptable. Du fait de cette obligation, les professionnels
du chiffre doivent conclure des lettres de mission qui contiennent des
obligations contractuelles. La lettre de mission doit être rédigée avec
beaucoup de soin, de sorte à limiter les risques d’actions en responsabilité de
l’expert. Enfin, il y a les obligations spécifiques qui viennent souvent de
textes européens. Le dernier d’entre eux est la directive DAC 6 qui oblige les
experts-comptables à déclarer les informations relatives à certains dispositifs
fiscaux transfrontières considérés comme agressifs. 
Pour en revenir à
la lettre de mission, celle-ci permet de formaliser l’engagement et de définir
les obligations des différentes parties. Elle est donc primordiale pour bien
cadrer et limiter les actions en responsabilité des experts, comme indiqué
ci-dessus. Il faut faire très attention à la rédaction de cette lettre, sans
toutefois imaginer qu’on puisse échapper à toute action en responsabilité seulement
grâce à cette lettre. Rappelons tout de même que de manière générale, le
principal responsable en cas de fraude fiscale est le dirigeant de
l’entreprise. Ainsi, la responsabilité pénale du dirigeant va être engagée même
s’il n’a pas participé à l’infraction. « Il
est au cœur du principe de responsabilité », ont insisté les avocats. 
Pour mettre en
œuvre la responsabilité fiscale du dirigeant, il est nécessaire que
l’administration ait épuisé tous les moyens de poursuite dont elle dispose pour
obtenir le paiement des impôts. Dans les entreprises familiales, ont ajouté les
intervenants, il est en tout cas nécessaire d’exiger de tous les membres qu’ils
respectent scrupuleusement la loi fiscale, car sinon la loi peut considérer que
tous sont complices, même s’il n’y en a qu’un qui commet l’infraction. Bref, en
faisant preuve de complaisance envers un des membres de la famille, on risque
d’être soi-même condamné pour complicité. 
Il existe un seul
moyen pour le dirigeant de droit de s’exonérer de sa responsabilité, c’est la
délégation de pouvoir. Si celui-ci a donné une vraie délégation de pouvoir à
son expert-comptable, il peut en effet écarter cette présomption de
responsabilité qui pèse sur ses épaules. Cette délégation de pouvoir doit
cependant être pleine, entière et clairement contractualisée. Cette situation
n’étant évidemment pas la norme, la plupart du temps, quand une infraction est
découverte, « il y a un ping-pong de
responsabilité, ou une boxe thaï. Un des deux va trinquer, peut-être pour
l’autre, peut-être les deux s’il y a complicité, ou notion de co-auteurs »,
ont assuré les avocats. L’amitié entre l’expert-comptable et le dirigeant ne
sera alors plus qu’un lointain souvenir… 
Maria-Angélica Bailly
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