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Alors
que l’investissement et l’argent, de façon générale, restent encore des sujets
principalement masculins, l’éducation financière est l’un des moyens pour
parvenir à l’indépendance économique des femmes, comme l’ont rappelé les
oratrices engagées présentes à l’événement Women For Future.
Malgré
quelques progrès, le constat est inchangé en 2022 : les femmes investissent
moins que les hommes. Elles seraient ainsi 23 % à franchir le pas contre 37 %
chez leurs pairs masculins, révèle Bpifrance. Pourtant, l’investissement au
féminin est bénéfique pour l’économie et s’avère un moteur d’égalité des
genres, en contribuant à l’indépendance économique et financière des femmes.
Alors,
qu’est-ce qui bloque ? D’abord, il y a l’héritage d’une construction sociale
bien ancrée : parce qu’on les en a pendant très longtemps détournées, les
femmes sont traditionnellement moins portées sur les questions financières. À
tel point que « selon une étude américaine, la majorité d’entre elles dans
le monde préfèrent parler de leur mort plutôt que de parler d’argent »,
comme le rapporte Paloma Castro Martinez, fondatrice de Women Empowered To
Invest, lors de l’événement Women For Future, le 2 juin dernier, au Parc des
Princes. Les femmes s’auto-limitent et restreignent généralement leurs
compétences en gestion à la sphère domestique, regrette de son côté Sibylle Le
Maire, directrice exécutive du groupe Bayard, à l’occasion de cette
manifestation.
Même celles
qui voudraient sauter le pas n’osent pas, car elles ne savent pas où trouver une
information crédible, relève la plateforme de trading eToro, ou encore par
manque de capital. C’est le serpent qui se mord la queue : Sibylle Le Maire
remarque que les femmes ont encore des difficultés à assurer leur autonomie
financière, avec le « risque aigu de rester fragiles financièrement ».
Les raisons sont multiples : inégalités de salaire, temps partiels plus
nombreux, augmentation des familles monoparentales, gestion financière moins
avisée… Résultat, au moment du passage à la retraite, le couperet tombe : en
moyenne, 39 points d’écart entre hommes et femmes, souligne Sibylle Le Maire,
qui constate en outre que les inégalités commencent très tôt : « À l’âge de
15 ans, il y a déjà 46 euros d’écart d’argent de poche entre les jeunes garçons
et les jeunes filles. » Et cela va de pair avec la répartition genrée des
tâches domestiques, puisque « tondre la pelouse rapporte plus d’argent que
de débarrasser la vaisselle ».
De la
pédagogie financière pour briser les tabous
Pour Valérie
Vitter Mouradian, managing director, la clef réside dans la pédagogie
financière, « afin que les femmes sachent parler d’argent et comprendre les
enjeux ; pour ne pas être laissées sur le banc de touche ». Au sein de Bayard,
Sibylle Le Maire aussi croit fort en l’approche éducative pour faire bouger les
lignes. La directrice exécutive a justement fondé ViveS, un média digital
consacré aux femmes et à l’argent, dont la newsletter aborde avec simplicité
les questions que beaucoup ont du mal à formuler : « pourquoi est-ce que je n’ose
pas regarder mon compte ?» ; « pourquoi ai-je peur de vieillir pauvre ? » «
Le but est d’agir sur nos freins », explique-t-elle. Adossé au
pureplayer, le podcast « Osons l’oseille » entend lui aussi « décomplexer le
rapport à l’argent ». Enfin, Bayard prévoit de lancer un parcours
d’éducation financière à destination des salariés. Sibylle Le Maire « engage
fortement » les entreprises à proposer cette formation-là en plus des autres :
« On est formé à tout aujourd’hui, mais insuffisamment aux questions
d’argent et de financement. Or, le progrès des femmes passera par une
amélioration de leur expertise économique et financière. », estime-t-elle.
Cependant, le
sujet ne doit pas rester entre les mains des entreprises, des médias. Le cercle
familial doit également s’en saisir, insiste Sibylle Le Maire, « entre
conjoints, avec ses enfants, il faut oser parler d’argent. Par ailleurs, les
petites et les jeunes filles ont besoin de représentations féminines »,
ajoute-t-elle, en écho à la sous-représentation des femmes dirigeantes dans le
monde de la finance. En effet, si ce secteur professionnel est aujourd’hui
globalement féminisé, moins d’un tiers des entreprises de l’indice boursier
SBF120 comptent (minimum) 30 % de femmes aux postes à responsabilités, soit le
quota de représentation fixé à l’horizon 2027 par la récente loi Rixain,
révélait le cabinet de conseil Heidrick & Struggles en début d’année.
Pour une
finance « women friendly »
Davantage
d’exemples féminins, mais aussi un modèle plus inclusif : à ce titre, Paloma
Castro Martinez invite à revoir le marketing autour de l’investissement. Les
femmes ne sont pas poussées à investir, « car les personnes qui leur offrent
des produits sur lesquels investir ne les comprennent pas assez bien. Nous
vivons dans un monde financier dans lequel les produits et les services n’ont
pas été pensés, en termes de marketing, pour une femme »
C’est pourquoi
sa plateforme, qui accompagne les femmes sur le chemin de l’investissement et
vise la parité dans ce domaine, a créé l’indice « ESGF » (« ESG » pour les
fameux critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, « F » pour «
females », ou « femmes »), lequel classe les établissements financiers –
banques, gestion de patrimoine, assurances… – en fonction des attentes des
femmes. Objectif affiché : construire une finance « women friendly ». Ce qui
devrait également profiter aux entreprises, estime de son côté Valérie Vitter
Mouradian : « On ne peut être un(e) bon(ne) banquier(e), un(e) bon(ne)
assureur(e), que si l’on comprend l’environnement dans lequel on est et si nos
organisations sont le reflet de nos clients et de nos clientes. (...) Nous
devons cumuler nos forces et jouer en équipe pour porter la voix de notre
secteur. », assure-t-elle. La spécialiste de la finance est co-présidente
du réseau Financielles, une fédération qui regroupe 16 réseaux de promotion de
la mixité du secteur de la banque et de l’assurance. L’appel à investir dans
les projets féminins Parler des femmes financeuses amène inévitablement au
sujet des femmes financées. Sans surprise, il s’avère que les entrepreneures
rencontrent plus de difficultés que leurs pairs dans ce domaine. Les
fondatrices de start-up ont en effet levé quatre fois moins que leurs
homologues masculins en 2021, selon le dernier baromètre réalisé par le
collectif SISTA, co-fondé par Tatiana Jama, et le Boston Consulting Group
(BCG).
Multi-entrepreneure,
Tatiana Jama s’est aperçue il y a quelques années que seuls 2 % de l’argent de
l’investissement en capital-risque avaient été destinés à des entrepreneures en
l’espace de dix ans. « 2 %, c’est moins qu’un pourboire, alors que le
potentiel est immense », s’indigne-t-elle, tout en précisant que
l’entrepreneuriat est aussi une façon de s’émanciper. En 2019, Tatiana Jama a
donc donné naissance à SISTA, avec pour objectif de réduire les inégalités de
financement entre les femmes et les hommes dans les levées de fonds. Ce dernier
et le Conseil numérique ont lancé la charte CNNum x Sista. Le texte, qui
regroupe à ce jour environ 350 signataires, engage les fonds à financer 25 % de
sociétés avec au moins une femme cofondatrice à l’horizon 2025, et à féminiser
massivement leurs équipes d’investissement, « Car on sait que quand il y a
des équipes féminisées, il y a plus de portefeuilles féminins », ajoute
Tatiana Jama. L’entrepreneure en est convaincue : les choses sont en train
d’avancer. Toutefois, au sein de son collectif engagé, il manque encore des
hommes aux côtés des femmes. « C’est la prochaine étape sur laquelle je
réfléchis beaucoup : avoir des alliés. On n’a pas réussi à faire comprendre aux
hommes qu’ils avaient eux aussi un intérêt à l’égalité, et tant qu’il n’y aura
pas de soutien fort de leur part, on aura du mal à y parvenir. »
Bérengère Margaritelli
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