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Acquérir de nouvelles compétences, augmenter ses chances de trouver un emploi ou se reconvertir : quel que soit l’objectif, depuis le début de la crise sanitaire, les Français sont de plus en plus nombreux à vouloir se former. En octobre dernier, au Club de l’audace, Olivier Faron, administrateur général du Cnam, défendait sa vision d’une formation innovante, inclusive et pas uniquement réservée aux métropoles.
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La formation professionnelle a la cote, et c’est tant mieux : devant le Club de l’audace de Thomas Legrain, Olivier Faron martèle que la montée en compétences « est incontournable » dans « un univers très mondialisé », et particulièrement à l’heure de la crise sanitaire. « En ces temps de tempête, c’est la solution pour consolider les emplois et les insérer dans les transitions numérique et écologique. »
Bonne nouvelle : pour affûter la professionnalisation, les outils ne manquent pas, affirme l’administrateur général du Conservatoire national des arts et métiers. À l’instar de l’apprentissage, qui connaît un succès certain. Aujourd’hui, 8 000 à 9 000 alternants et contrats pro sont ainsi formés par le Conservatoire. De son côté, l’action de formation en situation de travail (ou Afest), parcours pédagogique permettant d'atteindre un objectif professionnel, est en train de se développer, quant au conseil en évolution professionnelle, ce dispositif d’accompagnement « a trouvé ses marques », assure Olivier Faron.
Mais selon ce dernier, l’outil central, désormais, n’est autre que le compte personnel de formation, utilisable par tout salarié du privé durant sa vie active et crédité non plus en heures mais en euros depuis la loi Avenir professionnel du 5 septembre 2018.
Pourtant, alors que 9 millions d’actifs ont activé leur compte depuis la création du CPF, « moins de 3 % se mobilisent pour faire valoir leurs droits en termes de formations », pointait Forbes au début du mois. Il en faut cela dit plus que cela pour décourager l’administrateur général du Cnam, qui n’en démord pas : « Le CPF est un enjeu majeur dans l’organisation et la structuration de la formation professionnelle dans les années à venir dans notre pays. »
Un enjeu majeur, car l’État investit beaucoup : à hauteur de 500 euros par an, 800 pour les demandeurs d’emploi et les personnes en situation de handicap.
Par ailleurs, le dispositif bénéficie « d’une nouvelle dynamique », indique Olivier Faron : la logique d’abondement. Les entreprises peuvent ainsi abonder votre compte, tout comme les collectivités territoriales. D’autant que, l’administrateur général du Cnam s’en réjouit, l’Île-de-France va « mettre le paquet » sur les secteurs pour lesquels la région va financer la formation – en substance, la santé, le bâtiment, le numérique, l’IA et la sécurité.
Quelques points noirs
Si le CPF représente « l’avenir », c’est aussi, admet-il, « une inconnue », car l’outil « s’appuie sur un principe philosophique voire politique de dérégulation ou d’individualisation totale ». En effet, chacun peut choisir la formation qu’il souhaite. Or, s’il s’en félicite, Olivier Faron craint également un effet d’aubaine : « Beaucoup utilisent le compte professionnel de formation pour se former à des compétences linguistiques. Sauf que, souvent, c’est un choix par défaut, une réponse toute faite. » Dommage, estime-t-il, alors même que plus de 3 000 formations sont éligibles au CPF.
Autre ombre au tableau de la formation professionnelle : celle-ci n’est pas encore suffisamment un outil d’accompagnement social, regrette Olivier Faron, qui dénonce ce qui est « probablement l’une des pratiques sociales les plus discriminatoires ». Paradoxe : la formation semble réservée aux insiders. « Toutes les discriminations pèsent : par exemple, plus on vieillit, moins on est formé », souligne l’administrateur général du Cnam. Inégalités liées à l’âge, mais aussi inégalités liées au diplôme – plus on est diplômé, plus on sera formé dans sa période professionnelle – et inégalités géographiques : au cœur de Paris, l’offre de formation est sans commune mesure par rapport aux autres villes de France. Pour Olivier Faron, cette problématique pèse notamment sur le sujet de la reconversion, et plus particulièrement en cette période marquée par la pandémie de coronavirus. De nombreuses entreprises connaissent ou vont connaître des crises : cela va nécessairement mener à des changements de profession. Il va donc falloir que le système français facilite et accompagne ces reconversions, « alors même que les millennials commencent à vouloir se reconvertir entre 25 et 30 ans », observe-t-il.
De l’audace dans la formation professionnelle
Pour faire de la formation professionnelle un véritable tremplin, clin d'œil au Club qui le reçoit, Olivier Faron plaide « pour l’audace ». Objectif : se distinguer. Comment ? Via « la qualité du service rendu ». Et qui dit qualité du service, dit qualité de la formation. Pour l’administrateur général du Conservatoire, il faut donc poursuivre les efforts en ce sens, bien que « la formation privée ait globalement accepté le virage de la qualité », après avoir été pointée du doigt par la Cour des comptes. Pour s’assurer du niveau des formations, Olivier Faron estime qu’il faudrait davantage prendre en considération les retours de ceux qui sont formés. « En 1995, on a annoncé que les enseignants des universités seraient évalués par les enseignants : rien n’a été fait depuis », déplore-t-il. Il appelle notamment à s’inspirer d’Anotéa, un dispositif lancé par la région Île-de-France et Pôle Emploi, sorte de « TripAdvisor » des formations.
Par ailleurs, Olivier Faron pense que la qualité doit être nourrie par l’innovation ; et notamment l’innovation dans les modes de transmission. « Le Conservatoire fait le pari des fronts technologiques », assure-t-il. L’établissement public a notamment fondé, aux côtés d’une série d’acteurs dont le groupe Orange, un pôle de compétences intitulé « Immersive Learning Lab », afin de développer l’apprentissage immersif, lequel utilise la réalité virtuelle pour améliorer la mémorisation, la concentration, etc. « Nous faisons aussi le pari des travaux pratiques virtuels, des formations à distance », ajoute l’administrateur général du Cnam. Ce dernier accuse la France d’avoir « un retard colossal » sur « la transmission du geste de façon virtualisée » : « Nous avons beaucoup à apprendre des Coréens, qui apprennent à construire un pont sur leur ordinateur très facilement », illustre-t-il.
Autre axe de développement : la recherche. « On ne fait pas suffisamment le lien entre la formation, même professionnalisante, et la recherche », considère Olivier Faron. Pourtant, alors que les data scientists font partie des professionnels les plus demandés en France, le métier se heurte au manque de formation. « Il y a 50 000 postes qui ne sont pas pourvus en France », rapporte-t-il. Sans compter que la plupart des data scientists partent dans la Silicon Valley. Selon lui, former les spécialistes de la data et de l’IA doit donc se faire en « imbrication avec la recherche la plus pointue ». L'administrateur général du Cnam prend également l’exemple de l’hydrogène, au cœur du plan de relance 2020-2022 : « L’hydrogène suppose aussi un effort de recherche et de développement colossal ». Le conservatoire en a pris acte, et a lancé une chaire sur le sujet fin octobre pour être « acteur de la transition énergétique, tout en organisant un lien entre les entreprises et les territoires. »
La montée en qualité est également dépendante du numérique qui, pour Olivier Faron, n’est « pas un choix, mais une nécessité absolue ». Ce dernier en profite pour mettre les points sur les « i » : non, une bonne formation à distance ne consiste pas en une simple continuité pédagogique : « Un enseignant qui se met devant Zoom pour faire son cours à ses étudiants, ce n’est pas de la digitalisation, c’est de la continuité pédagogique. » Il soutient qu’une bonne digitalisation, « c’est une scénarisation pour du distanciel ». Toutefois, il ne plaide pas pour le « tout distanciel ». « La bonne transmission, c’est l’hybride. Quand on étudie les cohortes, les résultats sont clairs : quand vous prenez une cohorte qui ne fait que distanciel, une qui ne fait que du présentiel, une qui fait de l’hybride, c’est cette dernière qui marche le mieux », affirme-t-il.
Le Cnam mise en outre beaucoup sur ceux qui « malgré leur potentiel, ne trouvent pas de place dans un système de formation trop académique ». « Les bacheliers professionnels avec une mention passable, on ne s’y intéresse pas beaucoup », souligne Olivier Faron. L’établissement a donc créé à leur intention l’école Vaucanson, qui dispense des licences en apprentissage pour ces bacheliers « mal-aimés ». Résultat : « 80 % de ceux que nous prenons dans cette école obtiennent une licence générale en trois ans », se félicite l’administrateur général, lorsqu’en licence générale, ils sont moins de 5 % à décrocher un diplôme trois ans après s’être inscrits en première année. « Un de nos jeunes est même le n° 2 de Safran Asie, alors que pas grand monde n’avait cru en lui », se targue-t-il. Le Conservatoire vient également de créer un dispositif bac+1, en partenariat avec Naval Group, « même si cela ne va pas dans le sens de l’histoire, car les DUT se feront bientôt en 3 ans », note Olivier Faron, amusé. Mais le Cnam juge que le niveau de technicien est absolument nécessaire. Le leader européen du naval de défense a la spécificité de présenter un carnet de commande jusqu’en 2040 : « Sur le site de Cherbourg, ils ont besoin de former des jeunes pour devenir techniciens. Quitte après à ce que ces techniciens évoluent. L’idée, c’est que l’entreprise construise sa politique de RH en donnant leur chance tôt aux jeunes, en les fidélisant et en les accompagnant. »
Dernier point évoqué par l’administrateur général : « L’audace, c’est aussi de faire le pari des territoires ». Il s’explique : « La stratégie des grands groupes de formation, généralement, est plutôt de basculer des métropoles vers l’international – typiquement, Paris, Lyon ou Marseille vers l’Afrique –, car ce sont des bassins de population où les marges de rentabilité sont plus fortes. Nous, nous choisissons de nous implanter dans les villes petites et moyennes, dans le cadre de l’opération “Au cœur des territoires” ». Le projet consiste à créer des pôles de compétences « au plus près des besoins », à travers 150 centres d'enseignement déjà disséminés dans toute la France. 100 nouveaux centres devraient par ailleurs voir le jour. « Cela nécessite de s’interroger sur les besoins des entrepreneurs », détaille Olivier Faron, soucieux d’éviter les délocalisations. « Nous devons écouter les chambres de commerce et les chambres des métiers, travailler avec les sociétés de travail temporaire. Nous nous lançons le défi de placer la montée en compétences au niveau local, et d’accompagner les actifs et les demandeurs d’emploi dans ces territoires, affirme-t-il. Le bon parcours, c’est un parcours qui rassemble l’individu, l’entreprise, le territoire et la relance de l’économie. »
Bérengère Margaritelli
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