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Le 9 juin 2024, Fratelli d'Italia a remporté les élections au Parlement européen. Le parti nationaliste de Giorgia Meloni a obtenu la majorité des votes avec 24 sièges devant les démocrates qui en reçoivent 21.
Alors qu'en France la majorité présidentielle
ne convainc pas au profit du RN, qu'est-ce qui explique que malgré un paysage
politique différent de l'autre côté des Alpes, le nationalisme l'emporte
aussi ?
Bien que les partis d'extrême droite
aient atteint un score important, cette victoire n'est pas l'annonce d'un
changement fondamental de la politique européenne. Au sein de l'Union, « L'ascension
du national populisme est résistible », selon Marc
Lazar, professeur en sociologie politique à Science-Po et
spécialiste de l'Italie. Pour que cette ascension soit réelle, il faudrait une
majorité de blocage associant l'ensemble des nationalistes.
Pour l'heure, Giorgia Meloni n'entend pas
s'associer au groupe de Jordan Bardella. Contrairement au vote sanction des
Français contre l’exécutif, ce résultat apparaît comme la confirmation du
nationalisme en Italie puisque ses leaders dirigent le pays depuis près de deux
ans. Le vote italien en faveur des nationalistes aux élections européennes ne
correspond pas à une défiance envers son gouvernement, mais plutôt envers
l'Union européenne. Comment Giorgia Meloni a-t-elle obtenu puis conservé la
confiance de ses électeurs ?
L'action gouvernementale transpartisane
est structurelle de l'État italien. Ce n’est pas ce que souhaite Giorgia
Meloni. Elle entend en effet réformer la Constitution afin que soit élu au
suffrage direct le chef du gouvernement. Les coalitions sont habituelles dans
le pays, car elles sont favorisées par la Constitution. Ce fut notamment le cas
avec le pentapartito (cinq partis au gouvernement) de 1981 à 1991, et
encore aujourd'hui avec la coalition de trois partis de droite.
Comparativement, ces conglomérats en France ignorent les partis les moins
représentatifs. Cette inclusion de toutes les tendances dans l'échiquier
politique permet l'investiture d’un gouvernement avec des mouvements moins
populaires que par exemple Forza Italia (le parti de Silvio Berlusconi), tels
que la Lega menée par Matteo Salvini, ou plus récemment Fratelli d'Italia (le
parti de Giorgia Meloni).
La Constitution italienne imprime un
régime parlementaire influencé par le modèle de la troisième République
française, où le gouvernement est formé des parlementaires des partis les plus
représentés dans l'hémicycle de la Chambre des députés.
Cette représentation proportionnelle des
électeurs, à la différence du régime français, laisse une place aux partis
minoritaires. C'est ainsi que la visibilité de Frères d'Italie a pu prendre de
l’importance au sein de la Chambre des députés, et dans la participation aux
coalitions gouvernementales. Cette différence fait que le système français a
laissé jusqu'à présent peu de responsabilités au Rassemblement national.
Même si les résultats des élections
législatives prochaines plaçaient en tête le Rassemblement national conduisant
un de ses membres à Matignon, ce dernier serait-il pour autant aux manettes de
l'État français ? Le pouvoir du chef du gouvernement français n'est pas le
même que celui du gouvernement transalpin. Malgré un régime français, qualifié
de « présidentiel », le pragmatisme politique oblige le chef de
l'État à nommer et à conserver à la tête du gouvernement un Premier ministre
issu de la majorité parlementaire pour que soient acceptés les projets de lois.
De plus, si Emmanuel Macron nommait un ministre issu d'une minorité
parlementaire, il agirait ouvertement contre le choix des électeurs après
l'ultimatum qu'il a lui-même imposé.
L'Italie est un État récent. Le royaume
n'a été unifié qu'en 1861. Avec l'ascension du fascisme après la Première Guerre mondiale, émerge une véritable conscience nationale face au reste du
continent. Le parti des « fasci » (pour faisceaux des combattants de la
grande guerre), prend le pouvoir après la marche sur Rome en 1922. Le parti
fasciste fut ensuite interdit par la Constitution après la défaite du pays dans
la Seconde Guerre mondiale, et lorsque les Italiens ont opté pour la République
en 1948. Mais malgré l'existence d'un bouclier constitutionnel contre le
fascisme, qui d’ailleurs n'existe pas en France, le nationalisme demeure.
C'est de ce besoin d'unité et
d'impossibilité d’un parti fasciste qu'est né le nationalisme, émanant du
concept de nation, de peuple uni. Le nom « Fratelli d'Italia » fait
appel à cette unité. Il a été emprunté à l'ode de l'unification italienne, qui
sert d'hymne national.
D'un État régionaliste inspiré par la
seconde république espagnole, encore dispersé, éclot un nationalisme incarné
par une droite radicale avec la création du Mouvement Social Italien (MSI). Ce
parti a été qualifié de néofasciste, ce qui a limité son accès au pouvoir.
Qu'est-ce qui a alors changé avec Fratelli d'Italia ?
FI ne nait pas directement des cendres du
fascisme, mais de l'Alliance nationale, qui est un mouvement décrit comme
post-fasciste, mais qui succédait lui-même au MSI, et à une portion de la très
populaire Forza Italia au centre-droit. Tout en gardant une empreinte
néofasciste, avec la conservation de la flamme du MSI pour symbole, le groupe
s’est rendu plus acceptable en s'alliant au pouvoir avec une droite plus
modérée.
De la même famille qu'Antonio Gramsci qui
avait créé le Parti communiste italien (PCI) en 1921, Giorgia Meloni a créé Fratelli d'Italia en 2012. Elle dénonce le communisme pour sa politique
qu'elle qualifie de « totalitaire ».
La présidente du Conseil prétend vouloir
éliminer l'hégémonie culturelle de gauche (un équilibre institutionnel qui
irait de soi et auquel se plierait le peuple aux mains de la classe
dirigeante). Le père de la théorie de l'hégémonie culturelle est justement
Gramsci son cousin éloigné. En ce sens, Fratelli d'Italia représente le pouvoir
contre-révolutionnaire que ledit militant décrivait dans ses célèbres Cahiers
de prisons à propos du fascisme.
Frères d'Italie ne renie pas la totalité
de ses racines, mais y dénonce toutefois le totalitarisme. La condamnation de
cet aspect du fascisme rend admissible la vision nationaliste auprès des
Italiens, malgré les liens évidents avec le néofascisme d’une partie de son
électorat.
Fratelli d'Italia apparaît comme un parti
à la droite de la droite pour son conservatisme contre l'avortement et ses
amalgames contre les migrants. Il est plus populaire que la Lega (anciennement
Lega Nord), issue à l'origine un parti sécessionniste du Nord de l'Italie,
historiquement moins populaire au Sud.
FI a réussi à faire converger les
droites. Il rassemble l'extrême droite et le centre-droit dans sa coalition.
Une autre façon essentielle de se démarquer du fascisme consiste à reconnaitre
le système démocratique, notamment celui du Parlement européen. S’agissant des
institutions européennes, plutôt que d'en faire sortir l'Italie, Giorgia Meloni
préfère y participer pour les réformer de l'intérieur.
La présidente du conseil italien milite
pour un système confédéral plutôt que fédéral de l'Union, c'est-à-dire une
association d'États plutôt qu'un État européen superposé à l'État italien. Le
slogan du parti, tout au long de la campagne, était « L'Italie peut
changer l'Europe ». C'est aussi pour satisfaire cette idée que FI ne s'est pas
associé au groupe nationaliste Identité et Démocratie, mais plutôt aux
Conservateurs et réformistes européens, qui rejettent aussi le choix du
fédéralisme européen. L'idée de s’introduire dans l'UE pour la modifier en
profondeur constitue le projet qui distingue véritablement Fratelli d'Italia du
Rassemblement national français.
La situation géopolitique de l'Italie
aussi est singulière. En 2022 et 2023 Istat a recensé un demi-million
d'immigrés de plus que d'émigrés pour une population italienne qui a diminué
ces dernières années. Le solde migratoire est élevé dans la péninsule à cause
de la proximité géographique de la Tunisie et de la Lybie. Ce flux perceptible
pour les Italiens renforce leur sentiment que le pays est laissé pour compte
par l'Union, et dédiabolise le nationalisme réformateur de l’Europe.
D'autre part, la Ligue a été soupçonnée
d'être financée par la Russie, ce qui a pu amener certains de ses électeurs à
s'en détourner au profit de Frères d'Italie. D’autant que FI reste le
successeur du MSI, allié des services secrets américains. La présidente du
Conseil s'est prononcée contre la Russie et pour la défense de la population
ukrainienne. Cette position a amélioré sa popularité auprès des citoyens
italiens. Elle profite également du soutien ancien des États-Unis, qui ont agi
durant la guerre froide et les années de plomb contre le communisme dans la
péninsule (opération Gladio).
Giorgia Meloni n'a pas fait d'études
supérieures. Pour beaucoup, elle incarne bien le visage italien. « On
dit de Fratelli d'Italia qu'il n'a pas de classe dirigeante »,
a-t-elle dit à son meeting de Pescara. Populaire, la cheffe du gouvernement est
appelée par les Italiens par son prénom plutôt que par son titre de
« Premierato ».
La force du nationalisme italien repose à
la fois sur son absence de technocrates et sur sa proximité sur le terrain avec
la population. Les résultats aux élections, en France comme en Italie, révèlent
une crise de confiance envers l'establishment européen. Elle donne du poids aux
partis souverainistes, longtemps inenvisageables au pouvoir, mais dont
l’acceptation est de plus en plus décomplexée.
Antonio
Desserre
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