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Authentique et captivante. Devant le Club de l’audace de Thomas Legrain, Hélène Bourbouloux n’en a pas démordu : oui, il est possible de faire de l’expérience d’une procédure collective une force, et on ne demande qu’à la croire. Il faut dire qu’outre son charisme pétulant, l’administratrice judiciaire affiche un parcours impressionnant.
Diplômée d’HEC en 1995 et de la Sorbonne, classée « incontournable » par le magazine Décideurs, régulièrement consultée par les pouvoirs publics, la Corrézienne d’origine s’est notamment vue distinguée par le prix Trajectoires et par le prix Femme d’influence économique. En 2013, elle fonde l’étude FHB, qui compte aujourd’hui 8 associés, 50 collaborateurs et pas moins de 14 bureaux, et intervient sur des dossiers de procédures judiciaires particulièrement sensibles, de Pétroplus à Morgan en passant par BFM.
« Relativiser l’imaginaire désastreux »
« L’entreprise en difficulté est une expérience vécue par beaucoup comme un handicap, mais si on change un peu de point de vue, c’est une chance », a assuré Hélène Bourbouloux. Cette dernière a souligné que le handicap était une perception nourrie d’a priori et d’erreurs. « Le dépôt de bilan est assez peu connu, et peu de gens ont envie de le connaître. Mais dès qu’on le connaît, on se l'approprie et on relativise l’imaginaire désastreux. »
Afin de « restaurer des réalités », l’administratrice judiciaire est revenue sur quelques chiffres.
Alors qu’en moyenne, on observe 48 000 faillites par an en France (60 000 au pire de la crise, en 2012), ces données sont à rapporter aux quelque 650 000 créations d’entreprises par an, a-t-elle nuancé.
Par ailleurs, un pourcentage bien connu indique que 95 % des entreprises qui déposent bilan finissent en liquidation judiciaire. Pour Hélène Bourbouloux, celui-ci a des effets délétères : « Vous dites cela à un chef d’entreprise, évidemment, il ne va pas se précipiter au tribunal. Or, malheureusement, ce faisant et reportant sa décision, il réduit les chances qu’il a de s’en sortir. »
Pourtant, des chiffres bien plus rassurants démontrent que 55 % de l’emploi est conservé. « Cherchez l’erreur ! Eh bien l’erreur est simple : sur 48 000 faillites annuelles, près de 40 000 concernent entre 0 et 1 salarié », a avancé l’administratrice. Les entreprises de plus de 50 salariés représentent pour leur part 300 à 350 dossiers par an sur toute la France. Les entreprises de 300 salariés, une trentaine de cas. Au-delà de 1 000 salariés, ce sont seulement 3 à 4 entreprises qui sont concernées chaque année. « Donc plus les entreprises sont structurées, plus leurs chances de réussite sont importantes », a commenté Hélène Bourbouloux. D’autant que ces chiffres n’intègrent pas tous les dossiers en prévention (mandat ad hoc et conciliation). Si tel était le cas, on pourrait alors considérer que l’emploi conservé atteint près de 90 %. « Il faut connaître ces données, se les approprier, les utiliser à bon escient », a-t-elle recommandé.
Le système français, complexe mais complet ?
Le système français, souvent perçu comme inefficace, est beaucoup comparé au système anglo-saxon, a indiqué Hélène Bourbouloux. La grande différence entre les deux, jusqu’à dernièrement, résidait dans la liberté de choisir – la liberté de disposer de son avenir, en somme. Chez les Anglo-Saxons, le créancier est ainsi beaucoup plus impliqué dans cette procédure. En France, à l’inverse, ce n’est pas lui qui décide. Or, « quand on compare le taux de répartition actifs/passifs dans les procédures étrangères, on n’a pas une moins bonne performance en France », a appuyé l’administratrice. « La seule chose, c’est qu’en France, on a toujours l’impression que ce sont les mêmes qui touchent : l’AGS, subrogée dans les droits des salariés, le Trésor public avec ses privilèges généraux… En réalité, c’est plus l’échantillonnage des droits et sûretés des créanciers entre eux privant certains créanciers d’un quelconque retour qui donne une perception négative du système », a-t-elle estimé.
Pour Hélène Bourbouloux, au contraire, le dispositif français apparaît efficace et complet. Cependant, complexe et non intuitif, il nécessite d’avoir recours à « des conseils qui décryptent et donnent les outils nécessaires aux dirigeants ». Par ailleurs, pour être optimal, il faudrait selon elle qu’il offre les moyens d’imposer une solution à un actionnaire qui la refuse sans proposer une alternative, et qu’il améliore le système des classes de créanciers afin de « refléter la granularité des droits entre eux ». Et justement, a-t-elle ajouté, c’est tout l’objet d’une récente directive européenne, qui doit être mise en conformité avec la loi nationale dans l’année, et qui rendra le système français compatible avec tous les autres dispositifs.
« Un accident de parcours n’est pas une condamnation »
Si le système n’est donc pas à blâmer, selon Hélène Bourbouloux, ce serait plutôt toute la culpabilité véhiculée par le concept même de faillite qui serait en cause.
En effet, qui porte le handicap de la société en faillite ? a interrogé l’administratrice. Le dirigeant, en tête de liste, mais aussi l’actionnaire (« il a investi dans une boîte qu’a déposé le bilan, il n’est quand même pas bien futé »), le salarié (« on lui avait bien dit de partir ! »), le client, qui porte la responsabilité d’avoir signé avec le débiteur en faillite, le fournisseur, qui n’a pas mesuré son risque : « il n’aurait pas dû continuer à lui faire du crédit », etc. « Finalement, toute la communauté économique porte le handicap de la faillite. Le réflexe naturel pour se dédouaner est de se dire “ce n’est pas moi, c’est le dirigeant”. En réalité, le dépôt de bilan n’a jamais une cause unique : c’est un cumul de changement radical dans les modes de consommation, de développement de la concurrence, de rupture du concours bancaire… »
C’est pourquoi Hélène Bourbouloux l’a martelé : un accident de parcours ne devrait jamais être une condamnation et alors que le chef d’entreprise se sent généralement obligé d’assumer la faillite dans son origine, « il doit seulement l’assumer dans sa gestion ».
« La mort n’est pas un handicap, c’est juste le bout du chemin, a protesté l'administratrice judiciaire. Cela fait partie des étapes de la vie d’une entreprise, et cela ne mérite pas qu’un chef d’entreprise porte une culpabilité et des boulets au pied, “c’est ma faute”, dans une culture judéo-chrétienne très lourde. »
Une « faute » qui pèse d’autant plus que la loi prévoit l’inscription de la faillite dans l’extrait Kbis. D’ailleurs, « jusqu’à pas si longtemps, un dirigeant qui avait déposé le bilan était identifié pendant 10 ans, alors que celui qui était interdit de gérer n’était inscrit dans aucun fichier. D’autre part, celui qui avait déposé le bilan voyait sa cote dégradée au bout de trois liquidations judiciaires, alors que les faillites concernent fréquemment un seul et même groupe. Pire, ceux qui avaient un plan de cession étaient quand même liquidés et se retrouvaient épinglés, alors qu’ils avaient sauvé leur boîte. » En outre, les procédures collectives étant publiques, cette publicité ne facilite pas l’acceptation du « problème », a reconnu l’administratrice. En effet, cela induit la mise au ban de la société, a-t-elle regretté.
« Mise au ban », « banqueroute » ... La banqueroute, terme initial de la faillite, était d’ailleurs très personnalisée dans ses responsabilités en portant sur le chef d’entreprise, a analysé l'administratrice.
Historiquement, en effet, le débiteur était déjà fort mal perçu, à tel point que « dans les temps les plus anciens, on le coupait en morceaux pour la satisfaction du créancier », a rapporté non sans malice Hélène Bourbouloux. Malgré diverses évolutions au cours des siècles derniers, a-t-elle précisé, il faut attendre une loi de 1985 pour que l’on perçoive que l’entreprise doit être dépersonnalisée, qu’elle ne peut être rapportée à son dirigeant et doit être considérée dans son ensemble. Mais l’évolution la plus récente, a ajouté l’administratrice, est de considérer le concept du rebond, un mouvement européen dont la loi PACTE fait un objectif. « Il me semble qu’on doit passer à l’étape suivante : la valorisation de ce handicap. Être capable d’aller plus loin : se dire que c’est une expérience riche que d’être passé par là, quels sont les enseignements que l’on peut en tirer », a jugé l’administratrice.
Par ailleurs, la conception même du dirigeant est à revoir, a-t-elle prôné. Aux USA, par exemple, celui-ci est perçu comme une personne ayant une expérience riche et rare, qui abrite un environnement complexe, a-t-elle mis en exergue. À l’inverse, en France, le dirigeant est très isolé, quelle que soit la taille de l’entreprise. Et cela ne va pas en s’arrangeant lorsqu’il fait faillite. « Les trois D : dépôt, dépression, divorce, caractéristiques dont on affuble un chef d’entreprise failli, sont de moins en moins vrais, mais tout le monde se dél
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